Certaines des dames eurent un petit sursaut, et parurent un peu honteuses de l’intérêt bien féminin qu’elles manifestaient pour la parure. Mrs Shaw tendit la main au nouveau venu ; Margaret resta parfaitement immobile, pensant que son rôle de mannequin n’était pas encore terminé, mais elle regarda Mr Lennox avec une expression animée et amusée, comme si elle était sûre qu’il serait de connivence et comprendrait son sentiment de ridicule à être surprise en pareille posture.
Sa tante était fort occupée à presser Mr Lennox, qui n’avait pu venir déjeuner, de questions concernant son frère le futur marié, sa sœur la demoiselle d’honneur (qui venait d’Écosse avec le capitaine pour la cérémonie), et les autres membres de la famille Lennox. Constatant qu’on n’avait plus besoin d’elle pour présenter les châles, Margaret se mit en devoir de distraire les autres visiteuses que sa tante avait momentanément oubliées. Quelques instants plus tard, Edith fit son entrée au salon, plissant les paupières et battant des cils à cause de la lumière plus vive de la pièce, et rejetant en arrière ses boucles légèrement ébouriffées. On eût tout à fait cru voir la Belle au bois dormant tout juste arrachée à ses rêves. Dans son sommeil même, elle avait senti d’instinct qu’un Lennox valait la peine qu’on se levât, et elle avait mille choses à lui demander à propos de Janet, sa future belle-sœur, encore inconnue d’elle et pour laquelle elle professait une telle affection que si Margaret n’avait été si fière, elle en eût presque conçu de la jalousie pour cette rivale de fraîche date. Lorsque sa tante se joignit enfin à la conversation, Margaret s’effaça et remarqua que Henry Lennox dirigeait son regard vers un siège vacant à côté d’elle ; elle savait pertinemment que dès qu’Edith le libérerait de son interrogatoire, il viendrait prendre possession de cette chaise. Compte tenu de la façon confuse dont sa tante avait fait état des engagements du jeune homme, Margaret ne savait pas au juste s’il leur rendrait visite ce soir-là ; d’abord surprise en le voyant arriver, elle acquit la certitude que la soirée serait agréable. Il partageait à peu près les mêmes goûts et les mêmes aversions qu’elle. Sur le visage de Margaret se peignit une honnête et franche animation. Il ne tarda pas à s’approcher d’elle. Elle l’accueillit avec un sourire totalement dénué de timidité ou d’embarras.
« Alors, j’imagine que vous êtes toutes fort accaparées par vos affaires… des affaires de femmes, s’entend. Très différentes des miennes, qui sont des affaires juridiques pures. Jouer avec des châles est une activité qui n’a rien à voir avec l’établissement de contrats.
– Ah, j’aurais parié que cela vous amuserait beaucoup de nous trouver toutes si occupées à admirer des fanfreluches. Mais en vérité, les châles indiens sont des articles parfaits en leur genre.
– Je n’en doute pas. Ils atteignent aussi des prix parfaits, il n’y a pas à dire ! »
Les messieurs arrivaient un par un et le bourdonnement des conversations devint plus sonore et plus grave.
« N’est-ce pas votre dernier dîner ici ? Il n’y en aura plus d’ici jeudi ?
– Non. Je pense qu’après ce soir, nous goûterons enfin le repos, ce que je n’ai pas fait depuis de nombreuses semaines ; en tout cas, ce repos qu’on éprouve lorsque les mains n’ont plus rien à faire et que sont terminés tous les préparatifs d’un événement qui doit vous occuper la tête et le cœur. Je ne serai pas fâchée d’avoir le temps de réfléchir, et je suis certaine qu’il en va de même pour Edith.
– Je n’en suis pas si sûr ; mais en ce qui vous concerne, j’en suis convaincu. Chaque fois que je vous ai vue ces derniers temps, vous étiez entraînée dans le tourbillon des activités de quelqu’un d’autre.
– Oui », admit Margaret non sans tristesse, songeant à l’incessante agitation autour de petits riens qui régnait depuis plus d’un mois. « Je me demande si un mariage est fatalement précédé par un tourbillon, comme vous dites, ou s’il arrive parfois qu’il y ait une période de calme et de paix avant.
– Pendant que la marraine de Cendrillon commande le trousseau, le repas de noces, et rédige les invitations, par exemple, dit Mr Lennox en riant.
– Toutes ces démarches sont-elles absolument nécessaires ? » s’enquit Margaret, qui le regarda droit dans les yeux en attendant sa réponse. Après de multiples préparatifs répondant au seul souci de produire l’effet le plus charmant, et sur lesquels Edith régnait en maîtresse absolue depuis les six dernières semaines, Margaret se sentait brusquement oppressée par un sentiment de lassitude indescriptible, et éprouvait un réel besoin de deviser tranquillement et agréablement avec quelqu’un sur le sujet du mariage.
« Oh, bien sûr, répondit-il, avec une soudaine gravité. Il faut respecter les formes et la manière, non pas tant pour son propre plaisir que pour faire taire le monde, car faute de lui clore le bec, on n’aurait guère de satisfactions dans l’existence. Mais comment organiseriez-vous un mariage ?
– Oh, je n’y ai jamais vraiment songé ; mais j’aimerais qu’il ait lieu par un beau matin d’été ; j’aimerais me rendre à l’église à pied, à l’ombre des arbres ; et éviter d’avoir autant de demoiselles d’honneur, et je ne veux pas non plus de repas de noces. Je crois que me voilà précisément en train d’éliminer tout ce qui vient de me donner tant de tracas.
– Non, je ne pense pas. L’idée d’une simplicité digne s’accorde bien à votre caractère. »
Ce discours ne plaisait guère à Margaret ; elle en éprouva d’autant plus de répugnance qu’elle se souvenait d’autres occasions où –de façon flatteuse – il avait déjà essayé de l’entraîner dans une discussion sur son caractère et ses façons de faire. Elle coupa court aux remarques de Mr Lennox en disant :
« Si je pense à l’église de Helstone et à l’allée qui y mène, plutôt qu’à une église londonienne à laquelle on accède en voiture par une rue pavée, c’est bien naturel.
– Parlez-moi de Helstone. Jamais vous ne me l’avez dépeint. J’aimerais avoir une idée de l’endroit où vous habiterez, alors que le quatre-vingt-seize Harley Street paraîtra sale et sordide, triste et confiné. Et d’abord, Helstone est-il un village ou une ville ?
– Oh, un simple hameau ; je ne pourrais assurément pas utiliser le mot “village” pour le décrire. Il y a l’église et quelques maisons à côté, des cottages plus précisément, sur la pelouse communale croulant sous les roses.
– Qui fleurissent toute l’année, et surtout à Noël.
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