Cependant, il accepte le combat. Les trompettes sonnent, ils s'élancent l'un contre l'autre… Bref, messire Huon, d'un coup vigoureux porte rudement par terre le prince du Liban ; il en fait autant de tous ceux qui l'accompagnent, et, d'un air affable, les aide à se relever.
“Parbleu, seigneur, dit en boitant le prince des Cèdres, vous êtes un fier jouteur ! Mais c'en est assez ; touchez là ; la nuit approche, venez, mettons-nous à table, et, la coupe en main, oublions nos débats.”
Huon accepte son offre avec reconnaissance ; trois heures s'écoulent en festins, en bons mots, et les chevaliers trouvent leur vainqueur si beau, si poli, qu'ils lui pardonnent de bon cœur les douleurs qu'ils ressentent dans les côtes.
“Chers amis, leur dit-il, maintenant que j'ai rempli mon devoir envers vous, enseignez-moi bien exactement le chemin qui mène chez le géant. Mon intention était de m'y rendre, et j'y suis en ce moment d'autant plus déterminé, que cette entreprise pourra devenir utile à ce galant homme.”
Après ces mots, il les remercie de leur bon accueil, et les presse tour à tour contre son cœur. On lui indique la route et la forêt de pins qu'il faut traverser pour se rendre à la demeure du terrible Angulaffre. Le héros les quitte, et leur promet qu'ils auront incessamment des nouvelles de leur dame.
“Adieu, messieurs.
– Adieu, seigneur. Que le ciel seconde votre entreprise !”
Il part, et d'un temps de galop, il atteint la forêt.
L'aurore rougissait à peine la cime des arbres, que de loin il aperçoit une énorme tour, située dans une vaste plaine ; elle paraissait d'airain ; ses vastes contours, bien fortifiés, n'offraient, pour entrée, qu'une seule porte, large à peine de deux pieds. Devant cette porte, deux colosses de métal, animés par enchantement, agitaient les fléaux dont ils étaient armés avec une telle rapidité, que, dans l'intervalle d'un coup à l'autre, l'éclair n'eût pu pénétrer.
Le paladin s'arrête ; il réfléchit à ce qu'il doit faire. Une jeune femme se montre à la fenêtre, et, d'un air modeste, lui fait signe d'approcher.
“Cette jeune fille a beau nous appeler, s'écrie Schérasmin, vous ne serez pas assez téméraire, sans doute, pour hasarder une entreprise aussi périlleuse ? Voyez-vous ces Suisses avec leurs longues machines ? Jamais vous ne vous en tirerez sain et sauf.”
Fidèle aux statuts de son ordre, Huon n'aurait pas reculé devant Satan en personne.
“Il faut, sans hésiter, se dit-il à lui-même, s'élancer vers la porte à travers ces fléaux.”
L'épée haute et les yeux fermés, il se précipite : il entre ; sa foi ne l'a point trahi. Dès qu'il les a touchés, les colosses d'airain deviennent immobiles. Le héros est à peine entré que la belle captive vole à sa rencontre. Ses longs cheveux noirs flottent sur ses épaules ; une robe blanche, attachée avec une boucle d'or, cache à peine un sein d'albâtre. Elle eût pu servir de modèle aux Grâces ou aux Muses. Elle prend la main du guerrier, et son front se couvre aussitôt d'une aimable rougeur.
“Quel ange, dit-elle, vous amène vers moi, seigneur ? Quand vous parûtes, j'étais à la fenêtre, et j'implorais l'assistance du ciel ; envoyé par lui, Angéla accepte votre secours ; soyez mille fois le bienvenu. Mais partons sans différer, chaque instant que je passe dans cette prison est un supplice pour moi.
– Mon dessein, dit Huon, n'est pas de m'en aller si vite. Où est le géant ?
– Il est, en ce moment, plongé dans un profond sommeil ; rendons-en grâce au ciel ; car, s'il s'éveillait, nul espoir de le vaincre, tant qu'il possédera l'anneau enchanté ; mais on peut à présent, il est vrai, le lui ravir sans danger.
– Par quel moyen ? demande le guerrier.
– Le sommeil qui le surprend et l'accable trois ou quatre fois le jour, répond Angéla, n'est pas un sommeil naturel ; il doit durer encore deux heures, et je vais, en peu de mots, vous en dire la cause. Mon père se nomme Balazin de Phrygie ; il est seigneur de Jéricho, dans la Palestine. Depuis quatre ans, je suis aimée d'Alexis, le plus beau des princes du Liban. Il se plaignit longtemps de ce qu'il appelait mon indifférence. Ah ! croyez-moi : mon cœur était loin de se douter qu'il pût mériter ce reproche ; il ne me parlait que trop en sa faveur ; car, sitôt que cet amour commença, je fis vœu de n'être point à d'autre qu'au prince, si pendant trois ans il restait fidèle et soumis à mes volontés. De jour en jour il me devenait plus cher ; mais je n'avais garde de le lui dire. Le temps de l'épreuve fut long ; il passa cependant ; on nous unit. Déjà nous étions seuls dans la chambre nuptiale ; soudain, les portes s'ouvrent avec un fracas épouvantable, le géant s'élance sur moi, me saisit, disparaît, et, depuis plus de six mois, je languis prisonnière dans cette affreuse tour. Vous verrez le géant, seigneur, et vous jugerez s'il m'a été facile de lui résister. Que vous dirai-je ? Être souvent attaquée et toujours vaincre n'est pas chose aisée. Une nuit, j'en frissonne encore, la lune éclairait l'univers ; poursuivie plus vivement que jamais, je tombai à genoux, et, levant vers le ciel mes bras déchirés, j'implorai l'assistance de la mère du Dieu vivant ; elle exauça ma prière. Frappé comme par la foudre, mon persécuteur tombe à la renverse, et gît sur la terre, durant six heures, dans l'impuissance de me nuire. Depuis ce temps, toutes les fois qu'il renouvelle ses attaques, le prodige se renouvelle aussi, sa fureur s'apaise, et son anneau magique est sans vertu. Ce jour même, le miracle s'est manifesté ; et quand les six heures seront écoulées, il reprendra une nouvelle vie et toute sa vigueur, tant est grande la puissance de l'anneau. Protégé par lui, rien dans l'univers ne peut porter atteinte à ses jours. Si vous en doutez, vous pouvez vous en convaincre vous-même.”
Il en fut du chevalier comme de vous.
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