Au reste, mon cher maître, si l'espérance est un bien pour vous, espérez ; la santé ne peut qu'y gagner.”

Tandis que Schérasmin parlait, le chevalier avait la tête baissée ; mais dans son cerveau malade d'amour, la scène venait tout à coup de changer.

“Ah ! s'écria-t-il, ne cherche pas à me tromper par de vaines consolations ! Parle, que puis-je espérer ? L'orage qui l'arrache de mon sein ne me laisse que trop entrevoir la destinée qui m'attend. Oui, je la vois encore au milieu des flots tendre vers moi ses bras ; mon sang se glace encore en y songeant : il me semblait que j'étais attaché à la terre par une chaîne invisible, et dans l'impuissance de la sauver.

– C'était un rêve, reprit Schérasmin. À quoi bon se tourmenter, sans nécessité, par de noirs pressentiments ? Un rêve n'est jamais qu'un rêve. Le mieux, croyez-moi, c'est de n'en prendre que ce qui nous convient. Qu'un génie bienfaisant vous montre, pendant votre sommeil, celle qui doit un jour régner en souveraine sur votre cœur, je lui en sais bon gré, il est permis d'en croire quelque chose ; mais laissons là ce torrent, ces chaînes aux pieds et aux mains, dont on vous a présenté l'image. J'ai souvent, dans ma jeunesse, éprouvé des choses semblables quand j'avais le cauchemar. Par exemple, allant un jour, Dieu sait où, je me vois barré dans mon chemin par un vilain ours noir. Saisi d'effroi, je veux m'armer de mon épée ; une impuissance soudaine s'empare de tous mes membres. L'ours, cependant, grossissait à vue d'œil ; il ouvrait une gueule plus hideuse que celle de l'enfer. À cette vue, ma peur redouble ; je veux fuir et ne puis bouger de ma place. Quelquefois, en dormant, vous croyez revenir d'un bon souper, et, en passant près d'une vieille boutique, une petite fenêtre s'ouvre tout à coup avec grand fracas ; il en sort un nez long comme le bras. À demi-mort de frayeur, vous cherchez à fuir, et vous vous trouvez environné, de tous côtés, de spectres qui vous regardent au visage, en tirant d'énormes langues de feu de leurs vastes gosiers. Vous vous jetez, tout tremblant, contre la muraille voisine ; une main sèche et glacée se glisse par un trou rond, se promène le long de votre dos, puis sur votre ventre, et de là pénètre jusqu'à votre cœur. Les cheveux vous dressent à la tête ; pas de moyens de fuir ; la rue semble devenir toujours de plus en plus étroite, la main plus froide et le nez plus long. Je vous le répète, toutes ces apparitions ne sont que de vains fantômes, que la nuit fait éclore dans notre cerveau ; mais le réveil les dissipe et chasse la terreur de nos âmes. Croyez-moi, n'y pensez plus, et tenez-vous-en aux promesses du nain. Allons, courage ; j'ai un certain pressentiment… oui, j'ai dans l'idée que nous trouverons cette belle dame à Bagdad.

Ranimé par ces mots, le chevalier se lève aussi dispos que s'il n'avait pas fait un mauvais songe. Son coursier s'offre à lui, hennissant aux premiers rayons de l'aurore ; il s'élance dessus, et, jetant un regard en arrière, la tente a déjà disparu. En un clin d'œil elle était sortie du sein de la terre, en un clin d'œil elle y rentra.

Ils suivent le cours de l'Euphrate et traversent le plus beau pays de la nature ; des bosquets de palmiers les garantissent de l'ardeur du soleil. Mais il gardent le silence ; aucun des deux n'est tenté de le rompre, et cependant mille objets divers pouvaient fournir à la conversation. D'autres soins alors les occupaient profondément. L'air pur, une matinée agréable et fraîche, le chant des oiseaux, le doux murmure de l'onde, éveillent leur imagination. Dans ce miroir magique, le chevalier ne voit que l'image de celle qu'il adore ; il la peint sur son bouclier luisant ; il vole sur ses traces ; il franchit le Taurus escarpé ; il va la demander jusque dans le tombeau du redoutable Merlin ; il combat les dragons et les monstres qui veillent à l'entrée du château où elle languit ; l'enfer même ne peut enchaîner sa valeur.

Tandis que, jouet d'une félicité imaginaire, il presse contre son sein l'épouse qu'avec tant de peine il vient d'enlever à ses gardiens, le vieillard, enchanté du spectacle que lui offrent les rives de l'Euphrate, se transporte, en pensée, sur celles de la Garonne, où, dans son enfance, il cueillit le premier bouquet.

“Non, se dit-il à lui-même, le soleil n'est nulle part aussi beau que dans les lieux où je l'ai vu pour la première fois. Nulle part les prairies ne sont aussi riantes et la verdure n'est aussi fraîche. Humble demeure où j'ai reçu le jour, où j'ai senti les premières douleurs et les premiers plaisirs, quelque obscure et inconnue que tu sois, mon cœur te sera éternellement dévoué ; en quelque lieu que je me trouve, mes soupirs seront pour toi, et je regarderais le paradis même comme un lieu d'exil. Ah ! que du moins mes pressentiments ne me trompent pas, que mes restes puissent reposer un jour parmi ceux de mes pères, dans le sein de ma patrie !”

En rêvant de la sorte, l'espace qui les sépare de Bagdad s'abrège insensiblement. Les rayons ardents du midi les forcent de chercher un abri dans un bois voisin. Assis mollement sur un épais lit de mousse, au pied d'un vieil arbre touffu, la coupe d'Obéron rafraîchit leurs gosiers desséchés. Prêts à la vider pour la troisième fois, un épouvantable cri retentit à leurs oreilles. Ils se lèvent.