Vis-à-vis l'on voit s'ouvrir la porte d'ivoire du harem, et Rézia s'avance, plus belle que les houris de Mahomet. Un voile, semblable à un nuage d'un gris argentin, tempère l'éclat éblouissant de sa figure angélique, et cependant, à son approche, une lumière céleste semble remplir aussitôt toute la salle. En contemplant de si touchants attraits, le cœur du prince et s'élève et s'affaisse tour à tour : il cherche dans ses yeux ce qu'il brûle d'y voir ; mais il n'y rencontre qu'un regard glacé. Cependant la vanité, cette éternelle trompeuse, persuade à cet insensé que la froideur de Rézia n'est qu'un jeu, qu'une feinte ; il se dit à lui-même qu'une nuit suffit pour amollir des monceaux de neige. Personne n'ignore combien est vain l'espoir dont il se berce ; et sans nous arrêter à décrire comment, après la prière de l'iman, on se mit à table au bruit des timbales et des clairons, comment le calife fit placer sa fille à sa droite et son gendre à sa gauche, et cent autres choses que l'on sait sans qu'on les dise, revenons, il en est temps, à notre paladin.

Vous vous rappelez qu'échauffé par son impatience et par divers pressentiments, il avait passé la nuit sur son lit de paille aussi peu tranquillement qu'un matelot balancé sur la hune pendant la tempête. Cependant l'aurore paraît à peine, qu'une vapeur de pavots et de lis se répand sur les yeux du guerrier ; il s'assoupit, et déjà le soleil est au milieu de son cours qu'il dort encore. Pendant son sommeil, Schérasmin va se promener aux environs du palais pour en observer la position et prévoir d'avance les moyens de mettre à fin l'œuvre de l'enlèvement. De son côté, la bonne vieille, auprès de son petit foyer, apprête le dîner, en murmurant un peu de ce que son hôte repose si longtemps. Puis elle se tapit derrière la porte, pour l'épier à travers les fentes. Il venait de s'éveiller à l'instant même. Frais comme le printemps quand il se dispose à danser avec les grâces, le beau guerrier soulève à demi son corps ; et devinez ce qui d'abord frappe ses yeux ? Un caftan, tel qu'en portent les principaux émirs dans les fêtes solennelles. Étalé sur un siège, il offre à ses regards un fond brillant d'or, brodé en perles précieuses : auprès, il voit un turban aussi blanc que la neige, une ceinture de diamants à laquelle est suspendu un sabre si riche, que le fourreau et la poignée éblouissent les regards. Il trouve tout ce qui, de la tête aux pieds, doit compléter sa parure : les bottines de cuir doré, le bouton de diamant du panache élevé qui décore le turban. Le bon chevalier croit rêver encore. D'où lui vient un vêtement si magnifique ? La vieille demeure immobile d'étonnement.

“C'est un enchantement, s'écrie-t-elle, sinon j'en saurais quelque chose !

Schérasmin voit, à n'en pouvoir douter, le nain dans cette aventure. Huon est de son avis, et pense que ce vêtement lui frayera, au milieu des païens, un chemin jusqu'à la salle du festin. Il a bientôt endossé le caftan et la ceinture. L'hôtesse se donne mille peines pour l'habiller en vrai musulman.

“Mais que ferons-nous de ce turban ? nous faudra-t-il couper ces beaux cheveux blonds ?

– Pour le monde entier je n'y voudrais consentir !

– Ne vous fâchez pas ! il entre ; on le dirait fait tout exprès pour votre tête.”

Ainsi vêtu, messire Huon a l'air d'un sultan, si ce n'est que ses joues sont blanches, encore imberbes, et unies comme le lis. Cependant, la bonne vieille l'examine en tous sens, et retrouve toujours quelque chose à refaire à sa parure ; mais le fidèle Schérasmin lui ayant dit quelques mots à l'oreille, il se dispose à partir, présente avec grâce une bourse pleine d'or à son hôtesse, et prend congé d'elle.

Ce n'est pas la coutume des Génies de faire les choses à demi. Un coursier richement harnaché se trouve à la porte. Deux pages beaux, bien faits et vêtus d'étoffes d'argent tiennent les rênes d'or. Le chevalier s'élance dessus, les pages courent légèrement devant lui, et le conduisent, par un chemin détourné et des prairies émaillées de fleurs, sur les bords de l'Euphrate, en face du palais du calife. Il a déjà franchi la première cour, dans la seconde il met pied à terre et entre dans la troisième. Partout on le prend pour un convive du rang le plus élevé, partout la garde s'ouvre pour lui faire passage : il marche fièrement et s'avance vers la porte d'ébène. Douze Maures de taille gigantesque, l'épée nue à la main, en défendent l'entrée à tous les profanes ; mais à l'aspect majestueux du chevalier, ils baissent subitement la pointe de leur glaive, et se prosternent du plus loin qu'ils le voient. Les battants s'ouvrent en gémissant sur leurs gonds, le héros les entend se refermer derrière lui et le cœur lui bat. Une longue galerie, ornée de colonnes et bordée de jardins, le conduit encore à une porte d'airain doré ; c'était celle d'une avant-salle remplie d'esclaves de toutes les nations et de toutes les couleurs, infortunés toujours languissants quoique à la source des plaisirs. Dès qu'un homme couvert de l'éclat d'un émir s'offre à leurs yeux creux, le sentiment de leur néant les leur fait baisser, ils croisent les mains sur la poitrine, à peine même s'ils ont la hardiesse de le regarder lorsqu'il est passé.

Déjà retentit dans la salle du festin le son bruyant des tambours, des cimbales, des voix et des instruments. Déjà la tête du sultan est appesantie par les vapeurs du vin, déjà les convives épanchent plus librement leur joie. Rézia seule ne partage point l'ivresse qui brille dans les yeux de son époux, les siens étaient fixés sur son assiette, quand Huon entra avec une noble liberté.