Le tumulte s'apaise, le calme renaît, les poignards et les épées rentrent dans leurs fourreaux. Alors l'Abbé fait à l'Empereur le récit exact de l'événement. La persuasion était sur ses lèvres ; mais hélas ! le corps du fils est là et crie vengeance ! “Voyez ce cadavre, s'écrie le malheureux père, et prononcez la sentence à l'assassin de mon fils, prononcez-la pour moi. Oui, mon fils, son sang apaisera tes mânes irrités ! Qu'il meure et que son corps serve de pâture aux bêtes sauvages.” À ces mots, la colère s'empare de tous mes sens. – “Non, je ne suis point un assassin, m'écriai-je d'une voix de tonnerre ; la justice ne préside jamais aux arrêts de celui qui prononce dans sa propre cause. Amory, mon accusateur, est un traître, Seigneur ; je suis venu de plein gré dans ces lieux, j'y suis libre, et je veux au péril de ma vie prouver à cet homme perfide qu'il est un fourbe, un imposteur, et qu'il le sera aussi longtemps que son souffle impur empoisonnera les airs. Le malheur dont vous gémissez est son ouvrage, c'est lui qui en a ourdi la trame. Comme lui je compte des Princes parmi mes aïeux, je suis Pair du Royaume, j'en réclame les droits, l'Empereur ne peut me les refuser ! Voilà mon gant ! Qu'il ose le relever, et que le ciel dans sa justice décide contre lequel de nous deux la voix de ce sang doit tonner dans les enfers ! Je dois mon courage à mon innocence, Seigneur, la foudre vengeresse ne peut m'effrayer.”

Les Princes de l'Empire se rangent de mon côté ; chacun d'eux voit dans mon arrêt ses droits attaqués. Ils murmurent comme la mer, quand la tempête gronde au loin. Ils pressent, ils conjurent, ils font parler les lois, mais en vain ! Rien ne peut émouvoir le père, dont les yeux sont fixés sur le corps sanglant de son fils : il est sourd aux prières de Hautefeuille lui-même, qui regarde une victoire à remporter sur moi comme un jeu facile. “Souffrez, dit-il, Seigneur, que je punisse ce téméraire ; dans ce combat j'aurai pour soutien le devoir et la justice. – Ah ! m'écriai-je enflammé de honte et de colère, tu veux railler, perfide ! Tremble, la foudre du Dieu vengeur ne sommeille pas toujours. – Mon glaive, lâche assassin, reprit Hautefeuille, va tomber sur ta tête à coups redoublés.” Cependant Charles, que mon courroux irrite de plus en plus, ordonne à sa garde de me saisir. Cet ordre violent excite de nouveau l'indignation de l'assemblée ; le fer brille, il est prêt à défendre les droits de la chevalerie. “Qu'on l'arrête !” dit encore une fois l'Empereur ; mais les chevaliers m'entourent ; la fureur se peint sur son visage ; en vain le saint ministre menace des censures de l'Église, sa voix se perd dans la foule. Le destin de l'Empire semble ne tenir qu'à un fil. Les vieux Conseillers se jettent aux genoux du Prince ; ils le conjurent d'avoir égard aux droits de la chevalerie ; plus ils l'implorent et plus il est inflexible ; enfin le Duc Nayme qui, dans le cours de sa vie, a souvent aidé Charles de ses conseils, lui parle en secret, et, se retournant vers nous, il annonce que l'Empereur consent au combat.

À ces mots, le tumulte cessa, et les chevaliers se retirèrent. L'empereur fixa le combat à huit jours ; sa colère semblait plus tranquille, et son regard moins sévère ; mais ce n'était qu'en apparence. Mon orgueilleux adversaire se pavanait d'avance, en homme sûr de la victoire, quoiqu'au fond de son âme un accusateur secret ébranlât son courage ; mais il connaissait toute la vigueur de son bras : il avait déjà brisé des forêts de lances ; jamais ennemi ne l'avait fait trembler ; il se plaisait surtout dans les combats à outrance. Toutefois sa fierté et saforce gigantesque le trahirent dans cette occasion.

Il arrive ce jour tant attendu ; le peuple s'assemble. Couvert de mon bouclier d'argent, encouragé, j'ose le dire, par des regards bienveillants, je parais devant la barrière ; mon accusateur y était déjà. Le vieux Charles, entouré de ses pairs, était placé sur un balcon ; il semblait altéré de mon sang, et jetait sur Amory des regards d'intelligence. Le soleil est au milieu de son cours ; les juges prennent leurs places. Le fier Hautefeuille attend, avec impatience, que la trompette donne le signal ; elle sonne, et nous nous précipitons l'un sur l'autre avec tant de violence, que nos coursiers tombent sur leurs genoux, nous quittons à la hâte les étriers, et, dans un clin d'œil, l'épée brille dans nos mains. Amory me surpassait en vigueur, en colère, en expérience. Mon innocence me soutenait ; elle rendait ma force égale à mon courage. Le combat fut longtemps douteux. Le sang du traître coulait déjà par plus d'une blessure ; j'étais encore frais. En voyant sa cuirasse teinte de son sang, une fureur nouvelle s'empare du farouche Amory ; il s'élance sur moi, tel qu'un ouragan qui renverse et dévaste tout ce qui s'offre sur son passage. Les coups se succèdent avec la rapidité de l'éclair ; je résiste avec peine à une force si supérieure ; je cède, mais sans perdre de terrain ; mes yeux jugent les coups qu'on va me porter, et mon bras les prévient.