Il percuta, examina, ausculta, mesura de nouveau, inspecta chaque joint, chaque fissure, ce qui accrut sa certitude de l’existence d’un tiroir et aussi sa conviction que son davenport était une rareté. Non seulement un casier se dissimulait dans le double dos du meuble, mais ce casier contenait évidemment quelque chose ! Peut-être un manuscrit perdu ! – quelque jolie histoire de tout repos, à l’ancienne mode, à laquelle Mr. Locket n’aurait rien à objecter ? Peter revint à la charge, se disant qu’il n’avait pas suffisamment exploré les petits tiroirs qui en deux rangées verticales – il y en avait six de différentes dimensions – s’inséraient dans les parois latérales de la structure qui formait le support du pupitre. Il les retira de nouveau, vérifia minutieusement l’état des charnières, avec l’heureux résultat qu’il découvrit un petit panneau à glissière dans le creux où s’enchâssait le troisième tiroir de gauche. Derrière le panneau, sous sa pression, un ressort plat comme un bouton céda avec un déclic et aussitôt se détacha l’une des pièces de l’étagère qui surmontait le bureau, – pièces qui s’emboîtaient avec la plus fallacieuse précision.

Celle-ci se trouva être, elle aussi, un panneau à glissière qui, poussé, révéla l’existence d’un plus petit casier, une boîte longue et étroite dans le dos postiche. De contenance limitée, si elle ne pouvait renfermer beaucoup de choses, elle pouvait du moins en abriter de précieuses. Voyant avec quelle ingéniosité on l’avait dissimulée, Baron comprit que sans le hasard du tambourinage du petit Sidney au moment même où il avait la tête enfouie dans le pupitre, il aurait pu rester des années sans en soupçonner l’existence. C’eût été sans doute une perte, car il avait deviné juste en pensant que le casier n’était pas vide. Son contenu – précieux ou non – avait du moins valu la peine que quelqu’un le cachât. C’était une collection de petits paquets, des liasses de lettres eût-on dit, enveloppées de papier blanc et soigneusement cachetées. Ni armoiries, ni initiales ne timbraient les cachets, les paquets pouvaient être là depuis une éternité. Baron les compta – neuf en tout, de formats différents. Il les tourna et les retourna, les palpa avec curiosité, flaira leur vague relent de moisi qui l’affecta comme la mélancolie d’une voix humaine étouffée. Ces petites liasses ne portaient ni nom ni numéro, pas un mot d’écriture sur leurs enveloppes mais elles contenaient manifestement d’anciennes lettres, triées et assemblées par dates et par auteurs. Elles racontaient quelque vieille histoire morte – c’étaient les cendres de feux éteints.

Tandis que Peter Baron maniait ses découvertes les unes après les autres, il se sentit pénétré d’une étrange émotion qui n’était pas de la joie et encore moins de la pure souffrance. Il avait fait une trouvaille, mais elle lui créait une sorte de responsabilité. Il était en présence d’une chose intéressante mais (il n’eût pu définir pourquoi) elle représentait soudain un danger. La perception de ce danger le retint de céder à son impulsion de faire sauter les cachets. Il les examina tous de près, attentif à ne point les rompre et se demanda avec trouble si le contenu du compartiment secret pouvait, en toute équité, être la propriété des gens de King’s Road ? Il avait payé le secrétaire argent comptant, mais avait-il du même coup acheté ces papiers enfouis ? Il fut néanmoins conscient que son frisson indéfinissable était la rançon de sa nature trop sensible, rançon qu’il avait déjà souvent payée. C’était comme si insidieusement se présentait l’occasion de sacrifier à quelque belle superstition, telle que l’honneur, la bonté ou la jeunesse, ou peut-être quelque chose de plus beau encore, un difficile déchiffrement de son devoir, une sagesse inaccessible, un supplice de Tantale. Devant son trésor équivoque, hanté par le sentiment de complications futures, soudain un léger coup rapide à la porte de son salon le fit sursauter. Instinctivement, avant de répondre, il écouta, dans l’attitude de l’avare en train de compter son précieux pécule. Il répondit : « un instant, s’il vous plaît », glissa le petit tas de paquets dans le plus grand des tiroirs du secrétaire resté ouvert. L’ouverture du dos postiche béait toujours mais il n’eut pas le temps d’actionner le déclic. En toute hâte, il la masqua avec un gros livre puis alla ouvrir la porte.

Elle lui présenta une vision qui pour être imprévue n’en fut pas moins agréable, la figure gracieuse et agitée de Mrs. Ryves. Si visible était son trouble qu’il crut qu’un malheur était arrivé à l’enfant et qu’elle se précipitait chez lui pour lui demander assistance, le prier de courir chercher le médecin. Mais il se rendit ensuite compte que son émoi devait être en connexion avec les vers désespérés qu’il lui avait envoyés un quart d’heure auparavant. Effarée et ravissante, on eût dit qu’en faisant irruption chez son co-locataire elle se départait d’une coutume rigide mais sentait du moins l’énormité de sa démarche et n’arrivait pas à la prendre à la légère. La légèreté incomba donc à Peter Baron qui s’efforça d’ailleurs d’enrober de respect sa familiarité. Il avança le fauteuil d’honneur et répéta qu’il se réjouissait d’une pareille aubaine. La visiteuse entra, laissant la porte entrebâillée. Une minute s’écoula pendant laquelle, pour l’aider à se ressaisir, il l’accusa d’être venue lui dire qu’il devrait rougir de lui envoyer de pareilles pauvretés. Enfin elle recouvra assez de sang-froid pour balbutier que la chanson correspondait exactement à son attente, et qu’après l’avoir lue, une impulsion extraordinaire, irrésistible, l’avait poussée à remercier en personne l’auteur, et sans plus tarder.

« Cette impulsion partait d’un bon naturel, fit-il, et je ne saurais vous dire le plaisir qu’elle me cause. »

Elle refusa de s’asseoir et affecta de n’être venue que pour quelques instants.