Elle regardait avec confusion le lieu où elle se trouvait et
quand ses yeux croisèrent ceux de Baron, ils lui parurent chargés d’anxiété et
d’imploration. De toute évidence, elle ne songeait pas du tout à sa chanson, encore
qu’elle en célébrât les mérites à trois ou quatre reprises. – Voilà, je voulais
simplement que vous le sachiez, et maintenant, il faut que je m’en aille, ajouta-t-elle,
mais elle s’attardait sur le tapis du foyer, si désemparée que le jeune homme
en fut presque attristé pour elle.
« Je pourrais peut-être l’améliorer si elle ne vous
convient pas, dit-il. Je serai ravi de faire pour vous tout mon possible.
— Il y aura peut-être un mot ou deux à changer, répondit-elle,
un peu distraite. Il faut que j’y réfléchisse, que je vive un peu avec elle. Mais
elle me plaît, et c’est tout ce que je voulais vous faire savoir.
— Charmante pensée ! je ne suis pas du tout occupé »,
dit Baron.
De nouveau, elle le regarda avec une intensité troublée, puis
elle demanda tout à trac :
« Y a-t-il quelque chose qui cloche pour vous ?
— Qui cloche pour moi ?
— Je veux dire, êtes-vous souffrant, ou avez-vous des
ennuis ? Une idée subite m’est venue tout à coup ; et c’est là, je
crois, le vrai motif de ma visite.
— Je n’ai rien qui cloche, je suis parfaitement bien. Mais
vos idées subites sont des inspirations !
— Je suis absurde. Excusez-moi. Adieu, dit Mrs. Ryves.
— Quelles sont les paroles que vous voudriez changer ?
Questionna Baron.
— Aucune – du moment où vous allez bien. Adieu », répéta
sa visiteuse, les yeux soudain fixés sur un objet qui avait attiré son attention.
Il regarda dans la même direction et s’aperçut que dans sa hâte à escamoter les
paquets que recelait le bureau, il en avait oublié un, qui s’étalait, revêtu de
ses cachets, un instant il se sentit démasqué, comme surpris en train d’accomplir
un acte honteux, et à la réflexion seulement il se dit que l’incident dont ce
paquet formait un épisode ne pouvait guère concerner Mrs. Ryves. Le regard
gêné de la jeune femme revint vers le sien comme pour le sonder, et l’instinct
qui poussait Baron à garder pour lui sa découverte fit tout à coup place à la
conjecture assez ahurissante qu’avec une rare intuition, elle avait deviné
quelque chose et que sa divination (presque surnaturelle, eût-on dit) était le
vrai motif de sa visite. Une sympathie secrète l’avait fait vibrer, l’avait
touchée, lui avait appris qu’il avait mis au jour quelque chose. Au bout d’un
instant, il vit qu’elle devinait aussi la réflexion qu’il faisait, et cela lui
donna le vif désir, le désir reconnaissant, heureux, de sembler n’avoir rien à
dissimuler. Quant à elle, elle y vit une raison de plus de mettre fin à sa
visite passagère. Mais avant qu’elle n’eût franchi le seuil, il s’exclama :
« Bien ! Comment pourrait-on être autrement, quand
on vient de faire semblable trouvaille ! »
Elle s’arrêta et demanda d’un air grave :
« Qu’avez-vous donc trouvé ?
— D’anciens papiers de famille dans un casier secret de
mon bureau. – Il souleva le paquet qu’il avait omis de serrer, et le lui montra.
– Un tas de choses de ce genre !
— Qu’est-ce ? murmura Mrs. Ryves.
— Je n’en ai pas la moindre idée. Ils sont scellés. »
Elle revint sur ses pas.
« Vous n’avez pas rompu les cachets ?
— Pas eu le temps. C’est arrivé il y a dix minutes à
peine.
— Je le savais ! dit Mrs. Ryves, à présent un
peu plus gaiement.
— Vous saviez quoi ?
— Que vous subissiez une épreuve.
— Vous êtes extraordinaire ! Je n’ai jamais rien
entendu d’aussi prodigieux ! Deux étages plus bas !
— Êtes-vous vraiment perplexe ? demanda la
visiteuse.
— Oui, au sujet de savoir si je dois les restituer. Peter
Baron lui sourit et de la paume tapota le paquet. Que me conseillez-vous ? »
Elle sourit à son tour, les yeux sur la liasse scellée. – Les
restituer à qui ?
« À l’homme à qui j’ai acheté la table.
— Ah ? Ils ne proviennent donc pas de votre famille ?
— Non, le meuble qui les recelait ne me vient pas de
mes aïeux. Je l’ai acheté d’occasion – il est vieux, vous le voyez – l’autre
jour à King’s Road. Le vendeur m’a évidemment vendu plus qu’il ne se figurait. Il
ne soupçonnait pas (ce qui de sa part était idiot) l’existence d’un tiroir
secret, ou la présence de documents mystérieux. Devrai-je aller le lui dire ?
Voilà un assez joli problème.
— Sont-ce des papiers de valeur ? demanda Mrs. Ryves.
— Je l’ignore – mais je peux m’en assurer en brisant un
cachet.
— N’en faites rien ! s’écria Mrs. Ryves avec
beaucoup d’énergie. Elle reprit, l’air grave :
— C’est assez tentant – un peu un problème », continua
Baron en retournant sa liasse.
Mrs. Ryves hésita : « Voulez-vous me montrer
ce que vous tenez là ? »
Il obéit, elle regarda le paquet et le flaira un instant. – Il
a un bizarre, charmant parfum ancien, dit-il.
« Charmant ? Il est horrible ! »
Elle le lui rendit en ajoutant d’un ton encore plus péremptoire :
« Ne faites pas cela !
— Ne pas rompre les cachets ?
— Ne rendez pas les papiers !
— Est-il honnête de les garder ?
— Bien sûr ! Ils vous appartiennent autant qu’aux
vendeurs ! Ceux-ci ont eu ample occasion de les découvrir. Ils ne l’ont
pas fait – tant pis pour eux ! »
Peter Baron réfléchit, amusé par son accent passionné. Elle
était pâle, les yeux presque ardents. « Ce meuble est chez eux depuis des
années.
— Preuve que personne ne s’est aperçu de leur
disparition.
— Laissez-moi vous montrer la cachette. »
Il lui fit voir l’ingénieux casier et manœuvra le singulier
dispositif.
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