C’est
vraiment étrange.
— Raison de plus pour tout me raconter ce soir.
— Il faut que je réfléchisse, que j’éclaircisse ce
mystère.
— Si vous aimez les devinettes, je vais vous en poser
une autre, dis-je. Quel jeu joue le Maître ?
— Le maître de quoi ?
— Le maître de la dissimulation sous toutes ses formes.
Wawdrey. Il n’a pas écrit une seule ligne.
— Allez chercher son manuscrit et nous verrons.
— Il me déplaît de le démasquer.
— Mais si je démasque Lord Mellifont ?
— Oh alors je suis prêt à tout ! Mais pourquoi
Wawdrey a-t-il fait une fausse déclaration ? C’est très curieux.
— Très curieux », répéta Blanche Adney l’air
songeur et ses regards fixés sur Lord Mellifont. Puis se ressaisissant elle
conclut : « Allez voir dans sa chambre.
— Dans la chambre de Lord Mellifont ? »
Elle se tourna vivement vers moi.
— « Ce serait un moyen !
— Un moyen ?
— Oui d’éclaircir le mystère ! »
Elle parlait gaiement, avec beaucoup d’animation, mais
soudain elle s’arrêta court : « Allons, dit-elle, nous disons des
bêtises !
— Nous mélangeons les questions mais votre idée me
frappe comme n’étant pas mauvaise. Vous devriez vous adresser à Lady Mellifont
pour qu’elle vous y fasse entrer.
— Oh, elle a certainement dû y aller voir ! »,
lança Blanche avec un air dramatique des plus bizarres ; puis après avoir
fait un geste de sa belle main, comme pour écarter une vision fantastique, elle
dit d’un ton impérieux : « Allez vite me chercher ma scène ! Vite !
— J’y vais, dis-je, mais ne me dites plus que je suis
incapable d’écrire une pièce. »
Blanche me laissa, mais je fus empêché d’aller faire sa
commission par une dame qui promenait un album (dont nous étions menacés depuis
plusieurs soirs) et qui me faisait l’honneur de solliciter de moi un autographe.
Elle en avait demandé aux autres et ne pouvait décemment m’épargner. Sur son
album on était tenu d’écrire son nom et son jour de naissance. Or je peux
généralement me souvenir de mon nom, mais il me faut toujours du temps pour me
souvenir du jour de ma naissance et même quand le souvenir m’en revient, je
garde des doutes. Ce soir-là, j’hésitai entre deux jours et dis à la solliciteuse
que j’inscrirais les deux si cela pouvait lui faire plaisir. Elle émit l’avis
que je devais n’être né qu’une fois et, bien entendu, je répliquai que le jour
où je l’avais rencontrée j’étais né une seconde fois. Je cite cette piètre
plaisanterie seulement pour montrer qu’avec l’examen obligatoire des autres
autographes, cette affaire prit quelque temps. La dame s’éloigna avec son album
et je m’aperçus que la compagnie s’était dispersée. J’étais seul dans le petit
salon qui avait été mis à notre disposition et réservé à notre usage. Je commençai
par me sentir déçu : si Wawdrey était allé se coucher je ne voulais pas
monter le déranger. Mais, pendant que je balançais, je m’avisai que notre homme
devait être encore debout. Une fenêtre était ouverte et un bruit de voix me
parvenait : Blanche était sur la terrasse avec son auteur dramatique et
tous deux parlaient des étoiles. J’allai à la fenêtre jeter un coup d’œil :
cette nuit alpestre était splendide. Mrs. Adney s’était approprié un manteau ;
elle avait un air que je lui avais vu dans les coulisses, au théâtre. Un
instant tous deux se turent et j’entendis gronder le torrent voisin. Je me
retournai vers la pièce et la lueur paisible de la lampe me donna une idée. Nos
compagnons s’étaient dispersés – l’heure était tardive pour ce pays pastoral – nous
étions sans doute tous trois seuls maîtres de la place. Clare Wawdrey avait
écrit sa scène qui ne pouvait qu’être magnifique ; qu’il nous en fit
lecture, ici, à une heure pareille serait inoubliable. J’allais monter chercher
le manuscrit pour l’avoir tout prêt quand Blanche et lui rentreraient. Je
sortis du salon. J’avais été dans la chambre de Wawdrey, je savais qu’elle
était au second étage – la dernière au fond d’un long couloir. Une minute et ma
main était sur le bouton de la porte que, naturellement, j’ouvris sans frapper.
Il était tout aussi naturel qu’en l’absence de son occupant la chambre fût
obscure ; elle l’était d’autant plus que, le fond du couloir n’étant pas
éclairé à cette heure, l’obscurité ne fut pas atténuée quand la porte s’ouvrit.
Je constatai simplement tout d’abord que je ne m’étais pas trompé de chambre et
que, les rideaux des fenêtres n’étant pas tirés, j’avais devant moi deux
ouvertures qu’éclairaient vaguement les étoiles. Cette lueur, toutefois, n’était
pas suffisante pour me permettre de trouver ce que je venais chercher et ma
main, déjà, se posait dans ma poche sur la petite boîte d’allumettes que j’avais
toujours sur moi pour allumer mes cigarettes.
Soudain, je la retirai avec un tressaillement, une
exclamation d’excuse inarticulée. Je m’étais trompé de chambre ; un regard,
prolongé pendant trois secondes, me révélait une silhouette que j’avais, à
première vue, prise pour une couverture de voyage jetée sur le dossier d’un
fauteuil. Je battais en retraite avec le sentiment d’avoir fait intrusion ;
mais, ce faisant, je saisis, plus rapidement qu’il ne me faut de temps pour le
dire, d’abord que c’était bien ici la chambre de Wawdrey, ensuite que c’était
Wawdrey lui-même que j’avais en face de moi.
Figé sur le seuil, un instant je restai ahuri mais, avant de
savoir que j’allais ouvrir la bouche, je m’entendais dire : « Qui est
là ? C’est vous Wawdrey ? »
Le personnage ne bougea ni ne répondit ; mais une porte
qui s’ouvrit de l’autre côté du couloir répondit, elle, pratiquement et tout de
suite à ma question : une servante sortait de la pièce voisine et, à la
lumière vacillante de la bougie qu’elle portait, je reconnaissais nettement l’homme
que j’avais un instant auparavant laissé – pour autant que je pusse savoir – en
bas, en conversation avec Mrs. Adney.
1 comment