II, chapitre 39) [71], puisse être regardée comme un exposé de la philosophie pythagoricienne des nombres, c’est ce que j’ai indiqué brièvement. Je veux l’expliquer ici plus complètement, présupposant que le lecteur a les passages en question devant lui. Conformément donc à ce qui a été dit, la MÉLODIE exprime tous les mouvements de la volonté telle qu’elle se fait connaître dans la conscience humaine, c’est-à-dire qu’elle exprime toutes les émotions, tous les sentiments, etc. L’HARMONIE, d’un autre côté, indique la graduation de l’objectivation de la volonté dans le reste de la Nature. La musique est en ce sens une seconde réalité marchant tout à fait parallèlement avec la première, bien qu’elle soit d’une nature et d’un caractère fort différents ; elle a donc une complète analogie avec elle, mais absolument aucune similitude. [72] La musique n’existe d’ailleurs EN TANT QUE TELLE que dans nos nerfs auditifs et notre cerveau. En dehors de ceux-ci ou EN ELLE-MÊME (comprise dans le sens LOCKIEN), elle ne consiste qu’en simples rapports numériques : d’abord du point de vue de la quantité, selon la mesure, ensuite du point de vue de la qualité, selon les degrés de la gamme, qui reposent sur les rapports arithmétiques des vibrations. En d’autres termes : elle consiste en relations numériques tant dans son élément rythmique que dans son élément harmonique. La nature entière du monde, tant comme microcosme que comme macrocosme, peut donc être exprimée par de purs rapports de nombres, et leur est jusqu’à un certain point réductible. En ce sens Pythagore avait raison de placer la véritable nature des choses dans les nombres. Mais que sont les nombres ? Des rapports de succession dont la possibilité repose sur LE TEMPS.
Lorsqu’on lit ce qui est dit dans les Scholia in Aristotelem sur la philosophie pythagoricienne des nombres (p. 829, édition de Berlin), on peut être amené à supposer que dans l’introduction de l’Évangile attribué à Jean, l’usage du mot logos <λόγος> – usage si étrange, si mystérieux, confinant à l’absurde, de même que dans les passages antérieurs et analogues de celui-ci dans Philon – est dérivé de la philosophie pythagoricienne des nombres, c’est-à-dire pris au sens arithmétique comme relation numérique <ratio numerica>. Semblable relation constitue, d’après les pythagoriciens, l’essence la plus intime et indestructible de chaque être, et donc son principe premier et originel, son αρχή[73] ; de sorte que « au commencement était le Verbe[74] » peut être vrai de chaque chose. Il convient aussi de noter qu’Aristote dit : « Les émotions sont des relations numériques matérielles[75] », puis un peu plus loin : « car la relation numérique constitue la forme de la chose[76] ». (De anima, I, 1[77]). Cela rappelle la raison séminale <λόγος oπερματικός> des stoïciens, sur laquelle je reviendrai bientôt.
D’après la biographie que nous a laissée Jamblique, PYTHAGORE reçoit son éducation surtout en Egypte, où il séjourne de sa vingt-deuxième à sa cinquante-sixième année, et bien entendu des prêtres de ce pays. De retour à cinquante-six ans, il conçoit le projet de fonder une sorte d’État sacerdotal à l’imitation des hiérarchies égyptiennes, avec les modifications nécessaires pour les Grecs : s’il n’y réussit pas dans sa patrie, Samos, il y parvient en une certaine mesure à Crotone. Or comme la culture et la religion égyptiennes provient sans aucun doute de l’Inde, ainsi que le prouvent la sainteté de la vache et cent autres choses (Hérodote, Histoires, livre II, chapitre 41), cela explique la prescription de Pythagore relative à l’abstinence de la viande des animaux, notamment la défense de tuer les bêtes à corne (Jamblique, Vita Pythagorae, chapitre 8, §. 150), sa recommandation de bien traiter tous les animaux, sa doctrine de la métempsycose, ses vêtements blancs, son éternel comportement mystérieux, qui donnent naissance à des discours symboliques s’étendant même jusqu’aux théorèmes mathématiques, comme à la fondation d’une sorte de caste sacerdotale à la stricte discipline, à de nombreuses cérémonies, au culte du soleil, et à beaucoup d’autres choses (chapitre 35, §. 256). Ses notions astronomiques les plus importantes, c’est aussi des Egyptiens qu’il les tient. Voilà pourquoi la priorité de la doctrine de l’inclinaison de l’écliptique lui fut contestée par ŒNOPIDE, qui avait été avec lui en Egypte. (Voir à ce sujet la conclusion du chapitre 24 du livre I des Eclogae de Stobée, avec une note de [Arnold Hermann Ludwig] Heeren, d’après Diodore de Sicile). [78] En général, si l’on examine les notions astronomiques élémentaires de tous les philosophes grecs rassemblées par Stobée (spécialement livre I, chapitre 25 et suivants), on trouve qu’ils ont ordinairement produit des absurdités, à la seule exception des pythagoriciens qui en règle générale sont plutôt, exacts. Il n’est pas douteux que cela ne vient pas d’eux-mêmes mais de l’Égypte.
La prohibition bien connue de Pythagore au sujet des fèves est purement d’origine égyptienne, simple superstition venue de là puisque Hérodote ([Histoires], II, 37) relate qu’en Egypte la fève est considérée comme impure, qu’elle est abhorrée au point que les prêtres ne peuvent même pas en supporter la vue. Que la doctrine de Pythagore soit un panthéisme manifeste, c’est ce dont témoigne aussi nettement que brièvement une sentence pythagoricienne qui nous a été conservée par Clément d’Alexandrie dans sa Cohortatio ad Gentes, et dont le dialecte dorique nous garantit l’authenticité ; la voici : « Cependant, nous ne pouvons passer sous silence les disciples de Pythagore lorsqu’ils déclarent :
Dieu est un, mais comme certains l’imaginent, il n’est point en dehors de l’univers : il est à l’intérieur. Il est la sphère entière, souverain de toute origine, répandu en toutes choses. Il existe éternellement, il est le maître de toutes ses forces et de toutes ses œuvres, lumière au sein des paradis, père de l’univers, esprit et inspiration de l’orbite entière du monde et du mouvement de l’univers. » (Voir Clément d’Alexandrie, Opera, tome I, page 118, dans les Sanctorum Patrum Opera polemica, vol. IV, Würzburg, 1778.) Il est bon notamment de se convaincre en toute occasion qu’à proprement parler, théisme et judaïsme sont des termes équivalents.
Selon Apulée, Pythagore aurait voyagé jusqu’aux Indes et aurait été instruit par les brahmanes eux-mêmes (Apulée, Florida, édition des Deux-Ponts, p. 130).
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