Dans le centon de poèmes disparates appelé Chansons des rues et des bois, qui est communément attribué à Victor Hugo, quoiqu’il soit probablement un peu postérieur, les mots de diamants, de perles, sont indifféremment employés pour peindre le scintillement des gouttelettes qui ruissellent d’une source murmurante, parfois d’une simple ondée. Dans une sorte de petite romance érotique qui rappelle le Cantique des Cantiques, la fiancée dit en propres termes à l’Époux qu’elle ne veut d’autres diamants que les gouttes de la rosée. Nul doute qu’il s’agisse ici d’une coutume généralement admise, non d’une préférence individuelle. Cette dernière hypothèse est, d’ailleurs, exclue d’avance par la parfaite banalité de ces petites pièces qu’on a mises sous le nom d’Hugo en vertu sans doute des mêmes considérations de publicité qui durent décider Cohélet (l’Ecclésiaste) à couvrir du nom respecté de Salomon, fort en voyage à l’époque, ses spirituelles maximes.

Au reste, qu’on apprenne demain à fabriquer le diamant, je serai sans doute une des personnes les moins faites pour attacher à cela une grande importance. Cela tient beaucoup à mon éducation. Ce n’est guère que vers ma quarantième année, aux séances publiques de la Société des Études juives, que j’ai rencontré quelques-unes des personnes capables d’être fortement impressionnées par la nouvelle d’une telle découverte. À Tréguier, chez mes premiers maîtres, plus tard à Issy, à Saint-Sulpice, elle eût été accueillie avec la plus extrême indifférence, peut-être avec un dédain mal dissimulé. Que Lemoine eût ou non trouvé le moyen de faire du diamant, on ne peut imaginer à quel point cela eût peu troublé ma sœur Henriette, mon oncle Pierre, M. Le Hir ou M. Carbon. Au fond, je suis toujours resté sur ce point-là, comme sur bien d’autres, le disciple attardé de saint Tudual et de saint Colomban. Cela m’a souvent conduit à commettre, dans toutes les choses qui regardent le luxe, des naïvetés impardonnables. À mon âge, je ne serais pas capable d’aller acheter seul une bague chez un bijoutier. Ah ! ce n’est pas dans notre Trégorrois que les jeunes filles reçoivent de leur fiancé, comme la Sulamite, des rangs de perles, des colliers de prix, sertis d’argent, « vermiculata argento ». Pour moi, les seules pierres précieuses qui seraient encore capables de me faire quitter le Collège de France, malgré mes rhumatismes, et prendre la mer, si seulement un de mes vieux saints bretons consentait à m’emmener sur sa barque apostolique, ce sont celles que les pêcheurs de Saint-Michel-en-Grève aperçoivent parfois au fond des eaux, par les temps calmes, là où s’élevait autrefois la ville d’Ys, enchâssées dans les vitraux de ses cent cathédrales englouties.

… Sans doute des cités comme Paris, Londres, Paris-Plage, Bucarest, ressembleront de moins en moins à la ville qui apparut à l’auteur présumé du IVe Évangile, et qui était bâtie d’émeraude, d’hyacinthe, de béryl de chrysoprase, et des autres pierres précieuses, avec douze portes formées chacune d’une seule perle fine. Mais l’existence dans une telle ville nous ferait vite bâiller d’ennui, et qui sait si la contemplation incessante d’un décor comme celui où se déroule l’Apocalypse de Jean ne risquerait pas de faire périr brusquement l’univers d’un transport au cerveau ? De plus en plus le « fundabo te in sapphiris et ponam jaspidem propugnacula tua et omnes terminos tuos in lapides desiderabiles » nous apparaîtra comme une simple parole en l’air, comme une promesse qui aura été tenue pour la dernière fois à Saint-Marc de Venise. Il est clair que s’il croyait ne pas devoir s’écarter des principes de l’architecture urbaine tels qu’ils ressortent de la Révélation et s’il prétendait appliquer à la lettre le « Fundamentum primum calcedonius…, duodecimum amethystus », mon éminent ami M. Bouvard risquerait d’ajourner indéfiniment le prolongement du boulevard Haussmann.

Patience donc ! Humanité, patience. Rallume encore demain le four éteint mille fois déjà d’où sortira peut-être un jour le diamant ! Perfectionne, avec une bonne humeur que peut t’envier l’Éternel, le creuset où tu porteras le carbone à des températures inconnues de Lemoine et de Berthelot. Répète inlassablement le sto ad ostium et pulso, sans savoir si jamais une voix te répondra : « Veni, veni, coronaberis ». Ton histoire est désormais entrée dans une voie d’où les sottes fantaisies du vaniteux et de l’aberrant ne réussiront pas à t’écarter. Le jour où Lemoine, par un jeu de mots exquis, a appelé pierres précieuses une simple goutte d’eau qui ne valait que par sa fraîcheur et sa limpidité, la cause de l’idéalisme a été gagnée pour toujours. Il n’a pas fabriqué de diamant : il a mis hors de conteste le prix d’une imagination ardente, de la parfaite simplicité de cœur, choses autrement importantes à l’avenir de la planète. Elles ne perdraient de leur valeur que le jour où une connaissance approfondie des localisations cérébrales et le progrès de la chirurgie encéphalique permettraient d’actionner à coup sûr les rouages infiniment délicats qui mettent en éveil la pudeur, le sentiment inné du beau. Ce jour-là, le libre penseur, l’homme qui se fait une haute idée de la vertu, verrait la valeur sur laquelle il a placé toutes ses espérances subir un irrésistible mouvement de dépréciation. Sans doute, le croyant, qui espère échanger contre une part des félicités éternelles une vertu qu’il a achetée à vil prix avec des indulgences, s’attache désespérément à une thèse insoutenable. Mais il est clair que la vertu du libre penseur ne vaudrait guère davantage le jour où elle résulterait nécessairement du succès d’une opération intracrânienne.

Les hommes d’un même temps voient entre les personnalités diverses qui sollicitent tour à tour l’attention publique des différences qu’ils croient énormes et que la postérité n’apercevra pas. Nous sommes tous des esquisses où le génie d’une époque prélude à un chef-d’œuvre qu’il n’exécutera probablement jamais. Pour nous, entre deux personnalités telles que l’honorable M. Denys Cochin et Lemoine les dissemblances sautent aux yeux.