Touchante immolation du juif au long des âges ! « Tu me calomnies, obstinément m’accuses de trahison contre toute vraisemblable, sur terre, sur mer (affaire Dreyfus, affaire Ullmo) ; eh bien ! je te donne mon or (voir le grand développement des banques juives à la fin du XIXe siècle), et plus que l’or, ce qu’au poids de l’or tu ne pourrais pas toujours acheter : le diamant. » – Grave leçon ; fort tristement la méditais-je souvent durant cet hiver de 1908 où la nature même, abdiquant toute violence, se faisait perfide. Jamais on ne vit moins de grands froids, mais un brouillard qu’à midi même le soleil ne parvenait pas à percer. D’ailleurs, une température fort douce, – d’autant plus meurtrière. Beaucoup de morts – plus que dans les dix années précédentes – et, dès janvier, des violettes sous la neige. L’esprit fort troublé de cette affaire Lemoine, qui très justement m’apparut tout de suite comme un épisode de la grande lutte de la richesse contre la science, chaque jour j’allais au Louvre où d’instinct le peuple, plus souvent que devant la Joconde du Vinci, s’arrête aux diamants de la Couronne. Plus d’une fois j’eus peine à en approcher. Faut-il le dire, cette étude m’attirait, je ne l’aimais pas. Le secret de ceci ? Je n’y sentais pas la vie. Toujours ce fut ma force, ma faiblesse aussi, ce besoin de la vie. Au point culminant du règne de Louis XIV, quand l’absolutisme semble avoir tué toute liberté en France, durant de longues années – plus d’un siècle – (1680 – 1789), d’étranges maux de tête me faisaient croire chaque jour que j’allais être obligé d’interrompre mon histoire. Je ne retrouvai vraiment mes forces qu’au serment du Jeu de Paume (20 juin 1789). Pareillement me sentais-je troublé devant cet étrange règne de la cristallisation qu’est le monde de la pierre. Ici plus rien de la flexibilité de la fleur qui, au plus ardu de mes recherches botaniques, fort timidement – d’autant mieux – ne cessa jamais de me rendre courage : « Aie confiance, ne crains rien, tu es toujours dans la vie, dans l’histoire. »
VII
DANS UN FEUILLETON DRAMATIQUE DE M. ÉMILE FAGUET
L’auteur de le Détour et de le Marché – c’est à savoir M. Henri Bernstein – vient de faire représenter par les comédiens du Gymnase un drame, ou plutôt un ambigu de tragédie et de vaudeville, qui n’est peut-être pas son Athalie ou son Andromaque, son l’Amour veille ou son les Sentiers de la vertu, mais encore est quelque chose comme son Nicomède, qui n’est point, comme vous avez peut-être ouï dire, une pièce entièrement méprisable et n’est point tout à fait le déshonneur de l’esprit humain. Tant est que la pièce est allée, je ne dirai pas par-dessus les nues, mais enfin est allée aux nues, où il y a un peu d’exagération, mais d’un succès légitime, comme la pièce de M. Bernstein fourmille d’invraisemblances, mais sur un fond de vérité. C’est par où l’Affaire Lemoine diffère de la Rafale, et, en général, des tragédies de M. Bernstein, comme aussi d’une bonne moitié des comédies d’Euripide, lesquelles fourmillent de vérités, mais sur un fond d’invraisemblance. De plus c’est la première fois qu’une pièce de M. Bernstein intéresse des personnes, dont il s’était jusqu’ici gardé. Donc, l’escroc Lemoine, voulant faire une dupe avec sa prétendue découverte de la fabrication du diamant, s’adresse… au plus grand propriétaire de mines de diamants du monde. Comme invraisemblance, vous m’avouerez que c’est une assez forte invraisemblance. Et d’une. Au moins, pensez-vous que ce potentat, qui a dans la tête toutes les plus grandes affaires du monde, va envoyer promener Lemoine, comme le prophète Néhémie disait du haut des remparts de Jérusalem à ceux qui lui tendaient une échelle pour descendre : Non possum descendere, magnum opus facio. Ce qui serait parler de cire. Pas du tout, il s’empresse de prendre l’échelle. La seule différence est, qu’au lieu d’en descendre, il y monte. Un peu jeune, ce Werner.
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