Treize provinces égyptiennes résolurent
tout d’un coup d’être libres, et de donner ainsi un magnifique
exemple au reste de l’humanité. Elles rassemblèrent leurs sages, et
brassèrent la plus ingénieuse constitution qu’il est possible
d’imaginer. Pendant quelque temps, tout alla le mieux du
monde ; seulement, il y avait là des habitudes de blague qui
étaient quelque chose de prodigieux. La chose néanmoins finit ainsi
: les treize États, avec quelque chose comme quinze ou vingt
autres, se consolidèrent dans le plus odieux et le plus
insupportable despotisme dont on ait jamais ouï parler sur la face
du globe.
Je demandai quel était le nom du tyran usurpateur.
Autant que le comte pouvait se le rappeler, ce tyran se nommait
: La Canaille.
Ne sachant que dire à cela, j’élevai la voix, et je déplorai
l’ignorance des Égyptiens relativement à la vapeur.
Le comte me regarda avec beaucoup d’étonnement, mais ne répondit
rien. Le gentleman silencieux me donna toutefois un violent coup de
coude dans les côtes, – me dit que je m’étais suffisamment
compromis pour une fois, – et me demanda si j’étais réellement
assez innocent pour ignorer que la machine à vapeur moderne
descendait de l’invention de Héro en passant par Salomon de
Caus.
Nous étions pour lors en grand danger d’être battus ; mais
notre bonne étoile fit que le docteur Ponnonner, s’étant rallié,
accourut à notre secours, et demanda si la nation égyptienne
prétendait sérieusement rivaliser avec les modernes dans l’article
de la toilette, si important et si compliqué.
À ce mot, le comte jeta un regard sur les sous-pieds de son
pantalon ; puis, prenant par le bout une des basques de son
habit, il l’examina curieusement pendant quelques minutes. À la
fin, il la laissa retomber, et sa bouche s’étendit graduellement
d’une oreille à l’autre ; mais je ne me rappelle pas qu’il ait
dit quoi que ce soit en manière de réplique.
Là-dessus, nous recouvrâmes nos esprits, et le docteur,
s’approchant de la momie d’un air plein de dignité, la pria de dire
avec candeur, sur son honneur de gentleman, si les Égyptiens
avaient compris, à une époque quelconque, la fabrication soit des
pastilles de Ponnonner, soit des pilules de Brandreth.
Nous attendions la réponse dans une profonde anxiété, – mais
bien inutilement. Cette réponse n’arrivait pas. L’Égyptien rougit
et baissa la tête. Jamais triomphe ne fut plus complet ;
jamais défaite ne fut supportée de plus mauvaise grâce. Je ne
pouvais vraiment pas endurer le spectacle de l’humiliation de la
pauvre momie. Je pris mon chapeau, je la saluai avec un certain
embarras, et je pris congé.
En rentrant chez moi, je m’aperçus qu’il était quatre heures
passées, et je me mis immédiatement au lit. Il est maintenant dix
heures du matin. Je suis levé depuis sept, et j’écris ces notes
pour l’instruction de ma famille et de l’humanité. Quant à la
première, je ne la verrai plus. Ma femme est une mégère. La vérité
est que cette vie et généralement tout le dix-neuvième siècle me
donnent des nausées. Je suis convaincu que tout va de travers. En
outre, je suis anxieux de savoir qui sera élu Président en 2045.
C’est pourquoi, une fois rasé et mon café avalé, je vais tomber
chez Ponnonner, et je me fais embaumer pour une couple de
siècles.
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