Ma femme tient pour cinq ; – mais évidemment elle a confondu deux choses bien distinctes. Le nombre abstrait cinq, je suis disposé à l’admettre ; mais, au point de vue concret, il se rapporte aux bouteilles de Brown Stout, sans l’assaisonnement duquel la rôtie au fromage est une chose à éviter.

Ayant ainsi achevé un frugal repas, et mis mon bonnet de nuit avec la sereine espérance d’en jouir jusqu’au lendemain midi au moins, je plaçai ma tête sur l’oreiller, et grâce à une excellente conscience, je tombai immédiatement dans un profond sommeil.

Mais quand les espérances de l’homme furent-elles remplies ? Je n’avais peut-être pas achevé mon troisième ronflement, quand une furieuse sonnerie retentit à la porte de la rue, et puis d’impatients coups de marteau me réveillèrent en sursaut. Une minute après, et comme je me frottais encore les yeux, ma femme me fourra sous le nez un billet de mon vieil ami le docteur Ponnonner. Il me disait :

« Venez me trouver et laissez tout, mon cher ami, aussitôt que vous aurez reçu ceci. Venez partager notre joie. À la fin, grâce à une opiniâtre diplomatie, j’ai arraché l’assentiment des directeurs du City Museum pour l’examen de ma momie, – vous savez de laquelle je veux parler. J’ai la permission de la démailloter, et même de l’ouvrir, si je le juge à propos. Quelques amis seulement, seront présents ; – vous en êtes, cela va sans dire. La momie est présentement chez moi, et nous commencerons à la dérouler à onze heures de la nuit.

Tout à vous,

« Ponnonner. »

Avant d’arriver à la signature, je m’aperçus que j’étais aussi éveillé qu’un homme peut désirer de l’être. Je sautai de mon lit dans un état de délire, bousculant tout ce qui me tombait sous la main ; je m’habillai avec une prestesse vraiment miraculeuse, et je me dirigeai de toute ma vitesse vers la maison du docteur.

Là, je trouvai réunie une société très-animée. On m’avait attendu avec beaucoup d’impatience ; la momie était étendue sur la table à manger, et, au moment où j’entrai, l’examen était commencé.

Cette momie était une des deux qui furent rapportées, il y a quelques années, par le capitaine Arthur Sabretash, un cousin de Ponnonner. Il les avait prises dans une tombe prés d’Éleithias, dans les montagnes de la Libye, à une distance considérable au-dessus de Thèbes sur le Nil. Sur ce point, les caveaux, quoique moins magnifiques que les sépultures de Thèbes, sont d’un plus haut intérêt, en ce qu’ils offrent de plus nombreuses illustrations de la vie privée des Égyptiens. La salle d’où avait été tiré notre échantillon passait pour très-riche en documents de cette nature ; – les murs étaient complètement recouverts de peintures à fresque et de bas-reliefs ; des statues, des vases et une mosaïque d’un dessin très-riche témoignaient de la puissante fortune des défunts.

Cette rareté avait été déposée au Museum exactement dans le même état où le capitaine Sabretash l’avait trouvée, c’est-à-dire qu’on avait laissé la bière intacte. Pendant huit ans, elle était restée ainsi exposée à la curiosité publique, quant à l’extérieur seulement. Nous avions donc la momie complète à notre disposition, et ceux qui savent combien il est rare de voir des antiquités arriver dans nos contrées sans être saccagées jugeront que nous avions de fortes raisons de nous féliciter de notre bonne fortune.

En approchant de la table, je vis une grande boîte, ou caisse, longue d’environ sept pieds, large de trois pieds peut-être, et d’une profondeur de deux pieds et demi. Elle était oblongue, – mais pas en forme de bière. Nous supposâmes d’abord que la matière était du bois de sycomore ; mais en l’entamant nous reconnûmes que c’était du carton, ou plus proprement, une pâte dure faite de papyrus. Elle était grossièrement décorée de peintures représentant des scènes funèbres et divers sujets lugubres, parmi lesquels serpentait un semis de caractères hiéroglyphiques, disposés en tous sens, qui signifiaient évidemment le nom du défunt. Par bonheur, M. Gliddon était de la partie, et il nous traduisit sans peine les signes, qui étaient simplement phonétiques et composaient le mot Allamistakeo.

Nous eûmes quelque peine à ouvrir cette boîte sans l’endommager ; mais, quand enfin nous y eûmes réussi, nous en trouvâmes une seconde, celle-ci en forme de bière, et d’une dimension beaucoup moins considérable que la caisse extérieure, mais lui ressemblant exactement sous tout autre rapport. L’intervalle entre les deux était comblé de résine, qui avait jusqu’à un certain point détérioré les couleurs de la boîte intérieure.

Après avoir ouvert celle-ci, – ce que nous fîmes très-aisément, – nous arrivâmes à une troisième, également en forme de bière, et ne différant en rien de la seconde, si ce n’est par la matière, qui était du cèdre et exhalait l’odeur fortement aromatique qui caractérise ce bois. Entre la seconde et la troisième caisse, il n’y avait pas d’intervalle, – celle-ci s’adaptant exactement à celle-là.

En défaisant la troisième caisse, nous découvrîmes enfin le corps, et nous l’enlevâmes. Nous nous attendions à le trouver enveloppé comme d’habitude de nombreux rubans, ou bandelettes de lin ; mais, au lieu de cela, nous trouvâmes une espèce de gaine, faite de papyrus, et revêtue d’une couche de plâtre grossièrement peinte et dorée. Les peintures représentaient des sujets ayant trait aux divers devoirs supposés de l’âme et à sa présentation à différentes divinités, puis de nombreuses figures humaines identiques, – sans doute des portraits des personnes embaumées. De la tête aux pieds s’étendait une inscription columnaire, ou verticale, en hiéroglyphes phonétiques, donnant de nouveau le nom et les titres du défunt et les noms et les titres de ses parents.

Autour du cou, que nous débarrassâmes du fourreau, était un collier de grains de verre cylindriques, de couleurs différentes, et disposés de manière à figurer des images de divinités, l’image du Scarabée, et d’autres, avec le globe ailé. La taille, dans sa partie la plus mince, était cerclée d’un collier ou ceinture semblable.

Ayant enlevé le papyrus, nous trouvâmes les chairs parfaitement conservées, et sans aucune odeur sensible. La couleur était rougeâtre ; la peau, ferme, lisse et brillante. Les dents et les cheveux paraissaient en bon état. Les yeux, à ce qu’il semblait, avaient été enlevés, et on leur avait substitué des yeux de verre, fort beaux et simulant merveilleusement la vie, sauf leur fixité un peu trop prononcée. Les doigts et les ongles étaient brillamment dorés.

De la couleur rougeâtre de l’épiderme, M.