Gliddon et Buckingham, il leur adressa dans l’égyptien le
plus pur, le discours suivant :
– Je dois vous dire, gentlemen, que je suis aussi surpris que
mortifié de votre conduite. Du docteur Ponnonner, je n’avais rien
de mieux à attendre ; c’est un pauvre petit gros sot qui ne
sait rien de rien. J’ai pitié de lui et je lui pardonne. Mais vous,
monsieur Gliddon, – et vous Silk, qui avez voyagé et résidé en
Égypte, à ce point qu’on pourrait croire que vous êtes né sur nos
terres, – vous, dis-je, qui avez tant vécu parmi nous, que vous
parlez l’égyptien aussi bien, je crois, que vous écrivez votre
langue maternelle, – vous que je m’étais accoutumé à regarder comme
le plus ferme ami des momies, – j’attendais de vous une conduite
plus courtoise. Que dois-je penser de votre impassible neutralité
quand je suis traité aussi brutalement ? Que dois-je supposer,
quand vous permettez à Pierre et à Paul de me dépouiller de mes
bières et de mes vêtements sous cet affreux climat de glace ?
À quel point de vue, pour en finir, dois-je considérer votre fait
d’aider et d’encourager ce misérable petit drôle, ce docteur
Ponnonner, à me tirer par le nez ?
On croira généralement, sans aucun doute, qu’en entendant un
pareil discours, dans de telles circonstances, nous avons tous filé
vers la porte, ou que nous sommes tombés dans de violentes attaques
de nerfs, ou dans un évanouissement unanime. L’une de ces trois
choses, dis-je, était probable. En vérité, chacune de ces trois
lignes de conduite et toutes les trois étaient des plus légitimes.
Et, sur ma parole, je ne puis comprendre comment il se fit que nous
n’en suivîmes aucune. Mais, peut-être, la vraie raison doit-elle
être cherchée dans l’esprit de ce siècle, qui procède entièrement
par la loi des contraires, considérée aujourd’hui comme solution de
toutes les antinomies et fusion de toutes les contradictions. Ou
peut-être, après tout, était-ce seulement l’air excessivement
naturel et familier de la momie qui enlevait à ses paroles toute
puissance terrifique. Quoi qu’il en soit, les faits sont positifs,
et pas un membre de la société ne trahit d’effroi bien caractérisé
et ne parut croire qu’il ne se fût passé quelque chose de
particulièrement irrégulier.
Pour ma part, j’étais convaincu que tout cela était fort
naturel, et je me rangeai simplement de côté, hors de la portée du
poing de l’Égyptien. Le docteur Ponnonner fourra ses mains dans les
poches de sa culotte, regarda la momie d’un air bourru, et devint
excessivement rouge. M. Gliddon caressait ses favoris et redressait
le col de sa chemise. M. Buckingham baissa la tête et mit son pouce
droit dans le coin gauche de sa bouche.
L’Égyptien le regarda avec une physionomie sévère pendant
quelques minutes, et à la longue lui dit avec un ricanement :
– Pourquoi ne parlez-vous pas, monsieur Buckingham ?
Avez-vous entendu, oui ou non, ce que je vous ai demandé ?
Voulez-vous bien ôter votre pouce de votre bouche !
Là-dessus, M. Buckingham fit un léger soubresaut, ôta son pouce
droit du coin gauche de sa bouche, et, en manière de compensation,
inséra son pouce gauche dans le coin droit de l’ouverture
susdite.
Ne pouvant pas tirer une réponse de M. Buckingham, la momie se
tourna avec humeur vers M. Gliddon, et lui demanda d’un ton
péremptoire d’expliquer en gros ce que nous voulions tous.
M. Gliddon répliqua tout au long, en phonétique et, n’était
l’absence de caractères hiéroglyphiques dans les imprimeries
américaines, c’eût été pour moi un grand plaisir de transcrire
intégralement et en langue originale son excellent speech.
Je saisirai cette occasion pour faire remarquer que toute la
conversation subséquente à laquelle prit part la momie eut lieu en
égyptien primitif, – MM. Gliddon et Buckingham servant
d’interprètes pour moi et les autres personnes de la société qui
n’avaient pas voyagé. Ces messieurs parlaient la langue maternelle
de la momie avec une grâce et une abondance inimitables ; mais
je ne pouvais pas m’empêcher de remarquer que les deux voyageurs, –
sans doute à cause de l’introduction d’images entièrement modernes,
et naturellement, tout à fait nouvelles pour l’étranger, – étaient
quelquefois réduits à employer des formes sensibles pour traduire à
cet esprit d’un autre âge un sens particulier. Il y eut un moment,
par exemple, où M. Gliddon, ne pouvant pas faire comprendre à
l’Égyptien le mot : la Politique, s’avisa heureusement de dessiner
sur le mur, avec un morceau de charbon, un petit monsieur au nez
bourgeonné, aux coudes troués, grimpé sur un piédestal, la jambe
gauche tendue en arrière, le bras droit projeté en avant, le poing
fermé, les yeux convulsés vers le ciel, et la bouche ouverte sous
un angle de 90 degrés.
De même, M. Buckingham n’aurait jamais réussi à lui traduire
l’idée absolument moderne de Whig (perruque), si, à une suggestion
du docteur Ponnonner, il n’était devenu très-pâle et n’avait
consenti à ôter la sienne.
Il était tout naturel que le discours de M. Gliddon roulât
principalement sur les immenses bénéfices que la science pouvait
tirer du démaillotement et du déboyautement des momies ; moyen
subtil de nous justifier de tous les dérangements que nous avions
pu lui causer, à elle en particulier, momie nommée
Allamistakeo ; il conclut en insinuant – car ce ne fut qu’une
insinuation – que, puisque toutes ces petites questions étaient
maintenant éclaircies, on pouvait aussi bien procéder à l’examen
projeté. Ici, le docteur Ponnonner apprêta ses instruments.
Relativement aux dernières suggestions de l’orateur, il paraît
qu’Allamistakeo avait certains scrupules de conscience, sur la
nature desquels je n’ai pas été clairement renseigné ; mais il
se montra satisfait de notre justification et, descendant de la
table, donna à toute la compagnie des poignées de main à la
ronde.
Quand cette cérémonie fut terminée, nous nous occupâmes
immédiatement de réparer les dommages que le scalpel avait fait
éprouver au sujet. Nous recousîmes la blessure de sa tempe, nous
bandâmes son pied, et nous lui appliquâmes un pouce carré de
taffetas noir sur le bout du nez.
On remarqua alors que le comte – tel était, à ce qu’il paraît,
le titre d’Allamistakeo – éprouvait quelques légers frissons, – à
cause du climat, sans aucun doute. Le docteur alla immédiatement à
sa garde-robe, et revint bientôt avec un habit noir, de la
meilleure coupe de Jennings, un pantalon de tartan bleu de ciel à
sous-pieds, une chemise rose de guingamp, un gilet de brocart à
revers, un paletot-sac blanc, une canne à bec de corbin, un chapeau
sans bords, des bottes en cuir breveté, des gants de chevreau
couleur paille, un lorgnon, une paire de favoris et une cravate
cascade. La différence de taille entre le comte et le docteur, – la
proportion était comme deux à un, – fut cause que nous eûmes
quelque peu de mal à ajuster ces habillements à la personne de
l’Égyptien ; mais, quand tout fut arrangé, au moins pouvait-il
dire qu’il était bien mis. M.
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