Elle revient.

— Mais, mon ami, lève-toi donc ! Qui jamais aurait pu te croire sans caractère ? Oh ! les hommes !... Moi, je ne suis qu’une femme, mais ce que je dis est fait.

Vous vous levez en grommelant, en maudissant le sacrement du mariage. Vous n’avez pas le moindre mérite dans votre héroïsme ; ce n’est pas vous, mais votre femme qui s’est levée. Caroline vous trouve tout ce qu’il vous faut avec une promptitude désespérante ; elle prévoit tout, elle vous donne un cache-nez en hiver, une chemise de batiste à raies bleues en été, vous êtes traité comme un enfant ; vous dormez encore, elle vous habille, elle se donne tout le mal ; vous êtes jeté hors de chez vous. Sans elle tout irait mal ! Elle vous rappelle pour vous faire prendre un papier, un portefeuille. Vous ne songez à rien, elle songe à tout !

Vous revenez cinq heures après, pour le déjeuner, entre onze heures et midi. La femme de chambre est sur la porte, dans l’escalier, sur le carré, causant avec quelque valet de chambre ; elle se sauve en vous entendant ou vous apercevant. Votre domestique met le couvert sans se presser, il regarde par la croisée, il flâne, il va et vient en homme qui sait avoir son temps à lui. Vous demandez où est votre femme, vous la croyez sur pied.

— Madame est encore au lit, dit la femme de chambre. Vous trouvez votre femme languissante, paresseuse, fatiguée, endormie.

Elle avait veillé toute la nuit pour vous éveiller, elle s’est recouchée, elle a faim.

Vous êtes cause de tous les dérangements.

Si le déjeuner n’est pas prêt, elle en accuse votre départ. Si elle n’est pas habillée, si tout est en désordre, c’est votre faute.

A tout ce qui ne va pas, elle répond : — Il a fallu te faire lever si matin !

Monsieur s’est levé si matin ! est la raison universelle.

Elle vous fait coucher de bonne heure, parce que vous vous êtes levé matin.

Elle ne peut rien faire de la journée, parce que vous vous êtes levé matin.

Dix-huit mois après, elle vous dit encore : — Sans moi, tu ne te lèverais jamais.

A ses amies, elle dit : — Monsieur se lever !... Oh ! sans moi, si je n’étais pas là, jamais il ne se lèverait.

Un homme dont la tête grisonne lui dit : — Cela fait votre éloge, madame.

Cette critique, un peu leste, met un terme à ses vanteries.

Cette petite misère, répétée deux ou trois fois, vous apprend à vivre seul au sein de votre ménage, à n’y pas tout dire, à ne vous confier qu’à vous-même ; il vous paraît souvent douteux que les avantages du lit nuptial en surpassent les inconvénients.

LES TAQUINAGES.

Vous avez passé de l’allégro sautillant du célibataire au grave andante du père de famille.

Au lieu de ce joli cheval anglais cabriolant, piaffant entre les brancards vernis d’un tilbury léger comme votre cœur, et mouvant sa croupe luisante sous le quadruple lacis des rênes et des guides que vous savez manier, avec quelle grâce et quelle élégance, les Champs-Elysées le savent ! vous conduisez un bon gros cheval normand à l’allure douce.

Vous avez appris la patience paternelle, et vous ne manquez pas d’occasions de le prouver. Aussi votre figure est-elle sérieuse. A côté de vous, se trouve un domestique évidemment à deux fins, comme est la voiture.

Cette voiture à quatre roues, et montée sur des ressorts anglais, a du ventre et ressemble à un bateau rouennais ; elle a des vitrages, une infinité de mécanismes économiques. Calèche dans les beaux jours, elle doit être un coupé les jours de pluie. Légère en apparence, elle est alourdie par six personnes et fatigue votre unique cheval.

Au fond, se trouvent étalées comme des fleurs votre jeune femme épanouie, et sa mère, grosse rose trémière à beaucoup de feuilles. Ces deux fleurs de la gent femelle gazouillent et parlent de vous, tandis que le bruit des roues et votre attention de cocher, mêlée à votre défiance paternelle, vous empêchent d’entendre le discours.

Sur le devant, il y a une jolie bonne proprette qui tient sur ses genoux une petite fille ; à côté brille un garçon en chemise rouge plissée qui se penche hors de la voiture, veut grimper sur les coussins, et s’est attiré mille fois des paroles qu’il sait être purement comminatoires, le : — Sois donc sage, Adolphe, ou : — Je ne vous emmène plus, monsieur ! — de toutes les mamans.

La maman est en secret superlativement ennuyée de ce garçon tapageur ; elle s’est irritée vingt fois, et vingt fois le visage de la petite fille endormie l’a calmée.

— Je suis mère, s’est-elle dit.

Et elle a fini par maintenir son petit Adolphe.

Vous avez exécuté la triomphante idée de promener votre famille. Vous êtes parti le matin de votre maison, où les ménages mitoyens se sont mis aux fenêtres en enviant le privilége que vous donne votre fortune d’aller aux champs et d’en revenir sans subir les voitures publiques. Or, vous avez traîné l’infortuné cheval normand à Vincennes à travers tout Paris, de Vincennes à Saint-Maur, de Saint-Maur à Charenton, de Charenton en face de je ne sais quelle île qui a semblé plus jolie à votre femme et à votre belle-mère que tous les paysages au sein desquels vous les avez menées.

— Allons à Maisons !... s’est-on écrié.

Vous êtes allé à Maisons, près d’Alfort. Vous revenez par la rive gauche de la Seine, au milieu d’un nuage de poussière olympique très-noirâtre. Le cheval tire péniblement votre famille ; hélas ! vous n’avez plus aucun amour-propre, en lui voyant les flancs rentrés, et deux os saillants aux deux côtés du ventre ; son poil est moutonné par la sueur sortie et séchée à plusieurs reprises, qui, non moins que la poussière, a gommé, collé, hirsuté le poil de sa robe. Le cheval ressemble à un hérisson en colère, vous avez peur qu’il ne soit fourbu, vous le caressez du fouet avec une sorte de mélancolie qu’il comprend, car il agite la tête comme un cheval de coucou fatigué de sa déplorable existence.

Vous y tenez, à ce cheval ; il est excellent ; il a coûté douze cents francs. Quand on a l’honneur d’être père de famille, on tient à douze cents francs autant que vous tenez à ce cheval. Vous apercevez le chiffre effrayant des dépenses extraordinaires dans le cas où il faudrait faire reposer Coco.

Vous prendrez pendant deux jours des cabriolets de place pour vos affaires.

Votre femme fera la moue de ne pouvoir sortir ; elle sortira, et prendra un remise.

Le cheval donnera lieu à des extra que vous trouverez sur le mémoire de votre unique palefrenier, un palefrenier unique, et que vous surveillez comme toutes les choses uniques.

Ces pensées, vous les exprimez dans le mouvement doux par lequel vous laissez tomber le fouet le long des cotes de l’animal engagé dans la poudre noire qui sable la route devant la Verrerie.

En ce moment, Adolphe, qui ne sait que faire dans cette boîte roulante, s’est tortillé, s’est attristé dans son coin, et sa grand’mère inquiète lui a demandé :

— Qu’as-tu ?

— J’ai faim, a répondu l’enfant.

— Il a faim, a dit la mère à sa fille.

— Et comment n’aurait-il pas faim ? il est cinq heures et demie, nous ne sommes seulement pas à la barrière, et nous sommes partis depuis deux heures !

— Ton mari aurait pu nous faire dîner à la campagne.

— Il aime mieux faire faire deux lieues de plus à son cheval et revenir à la maison.

La cuisinière aurait eu son dimanche. Mais Adolphe a raison, après tout. C’est une économie que de dîner chez soi, répond la belle-mère.

La belle-mère

— Adolphe, s’écrie votre femme stimulée par le mot économie, nous allons si lentement que je vais avoir le mal de mer, et vous nous menez ainsi précisément dans cette poussière noire. A quoi pensez-vous ? ma robe et mon chapeau seront perdus.

— Aimes-tu mieux que nous perdions le cheval ? demandez-vous en croyant avoir répondu péremptoirement.

— Il ne s’agit pas de ton cheval, mais de ton enfant qui se meurt de faim : voilà sept heures qu’il n’a rien pris. Fouette donc ton cheval ! En vérité, ne dirait-on pas que tu tiens plus à ta rosse qu’à ton enfant ?

Vous n’osez pas donner un seul coup de fouet au cheval, il aurait peut-être encore assez de vigueur pour s’emporter et prendre le galop.

— Non, Adolphe tient à me contrarier, il va plus lentement, dit la jeune femme à sa mère. Va, mon ami, va comme tu voudras.