Josserand, vas-tu maintenant me reprocher d’avoir été honnête ?

Elle se leva, s’avança vers lui, en brandissant son Lamartine.

― Honnête ! comment l’entendez-vous ?... Soyez d’abord honnête envers moi. Les autres ne viennent qu’ensuite, j’espère ! Et, je vous le répète, monsieur, c’est ne pas être honnête que de mettre une jeune fille dedans, en ayant l’air de vouloir être riche un jour, puis en s’abrutissant à garder la caisse des autres. Vrai, j’ai été filoutée d’une jolie façon !... Ah ! si c’était à refaire, et si j’avais seulement connu votre famille !

Elle marchait violemment. Il ne put retenir un commencement d’impatience, malgré son grand désir de paix.

― Tu devrais aller te coucher, Éléonore, dit-il. Il est plus d’une heure, et je t’assure que ce travail est pressé... Ma famille ne t’a rien fait, n’en parle pas.

― Tiens ! pourquoi donc ? Votre famille n’est pas plus sacrée qu’une autre, je pense... Personne n’ignore, à Clermont, que votre père, après avoir vendu son étude d’avoué, s’est laissé ruiner par une bonne. Vous auriez marié vos filles depuis longtemps, s’il n’avait pas couru la gueuse, à soixante-dix ans passés. Encore un qui m’a filoutée !

M. Josserand avait pâli. Il répondit d’une voix tremblante, qui peu à peu s’élevait :

― Écoutez, ne nous jetons pas une fois de plus nos familles à la tête... Votre père ne m’a jamais payé votre dot, les trente mille francs qu’il avait promis.

― Hein ? quoi ? trente mille francs !

― Parfaitement, ne faites pas l’étonnée... Et si mon père a éprouvé des malheurs, le vôtre s’est conduit d’une façon indigne à notre égard. Jamais je n’ai vu clair dans sa succession, il y a eu là toutes sortes de tripotages, pour que le pensionnat de la rue des Fossés-Saint-Victor restât au mari de votre sœur, ce pion râpé qui ne nous salue plus aujourd’hui... Nous avons été volés comme dans un bois.

Madame Josserand, toute blanche, s’étranglait, devant la révolte inconcevable de son mari.

― Ne dites pas du mal de papa ! Il a été l’honneur de l’enseignement pendant quarante ans. Allez donc parler de l’institution Bachelard dans le quartier du Panthéon !... Et quant à ma sœur et à mon beau-frère, ils sont ce qu’ils sont, ils m’ont volée, je le sais ; mais ce n’est pas à vous de le dire, je ne le souffrirai pas, entendez-vous !... Est-ce que je vous parle, moi, de votre sœur des Andelys, qui s’est sauvée avec un officier ! Oh ! c’est propre, de votre côté !

― Un officier qui l’a épousée, madame... Il y a encore l’oncle Bachelard, votre frère, un homme sans mœurs...

― Mais vous devenez fou, monsieur ! Il est riche, il gagne ce qu’il veut dans la commission, et il a promis de doter Berthe... Vous ne respectez donc rien ?

― Ah ! oui, doter Berthe ! Voulez-vous parier qu’il ne donnera pas un sou, et que nous aurons supporté inutilement ses habitudes répugnantes ? Il me fait honte, quand il vient ici. Un menteur, un noceur, un exploiteur qui spécule sur la situation, qui depuis quinze ans, en nous voyant à genoux devant sa fortune, m’emmène chaque samedi passer deux heures dans son bureau, pour que je vérifie ses écritures ! Ça lui économise cent sous... Nous en sommes encore à connaître la couleur de ses cadeaux.

Madame Josserand, l’haleine coupée, se recueillit un instant. Puis, elle poussa ce dernier cri :

― Vous avez bien un neveu dans la police, monsieur !

Il y eut un nouveau silence. La petite lampe pâlissait, des bandes volaient sous les gestes fiévreux de M. Josserand ; et il regardait sa femme en face, sa femme décolletée, décidé à tout dire et frémissant de son courage.

― Avec huit mille francs, on peut faire beaucoup de choses, reprit-il. Vous vous plaignez toujours. Mais il fallait ne pas mettre la maison sur un pied supérieur à notre fortune. C’est votre maladie de recevoir et de rendre des visites, de prendre un jour, de donner du thé et des gâteaux...

Elle ne le laissa pas achever.

― Nous y voilà ! Enfermez-moi tout de suite dans une boîte.