Je baissai mon chapeau
de paille sur mes yeux et, malgré la chaleur de fournaise, je
m'engageai dans une allée bordée de hautes lavandes pour aller
m'asseoir là-bas sous un très petit berceau de treille que nous
affectionnions, Lucette et moi d'une façon particulière. Il
s'adossait au mur d'enceinte, un peu croulant et hanté en cet
endroit par une peuplade de lézards d'un gris roux ; bien des
années avant notre naissance sans doute il avait été construit avec
des bois maintenant tout jaunis de lichen ; auprès
fleurissaient en juin des vieux lys de France, et le reste de l'été
ces délicieuses roses-de-tous-les-mois aujourd'hui démodées.
C'est surtout aux environs de midi que l'on
respire dans ce jardin le parfum aromatique, qui est l'odeur de la
Limoise, et qui ne peut avoir d'autre nom ; on y devine mieux
qu'à toute autre heure les solitudes pastorales qui l'entourent et
au silence qui y règne se mêlent des petits bruissements de
sauterelles agitant leurs élytres ou de cigales se promenant parmi
des feuilles sèches. « Tu sens la Limoise, petit ! »
me disait toujours tante Berthe, en flairant mes vêtements quand je
revenais d'ici…
Assis sur le banc vermoulu, je regardais les
guêpes, les mouches de toutes couleurs qui tournoyaient dans l'air
étouffant et peu à peu je me sentais envahir par le sentiment
elmique ; j'aspirais à l'objet vague, ou à l'être qui
m'inspirait ce sentiment-là et qui m'appelait au fond des bois mais
dont l'approche me causait pourtant de la frayeur. Je tendis tous
les ressorts de mon intelligence pour essayer de comprendre de
quoi, ou de qui me venait cet appel mystérieux ; et puis je
commençai toujours par grimper sur le mur, pour regarder au dehors
interroger les profondeurs silencieuses de la campagne, et là je
sentis que je m'étais déjà rapproché de ce que je cherchais. Le
pays que j'avais sous les yeux du haut de ce mur n'était cependant
pas nouveau pour moi, mais jamais ses aspects ne m'avaient tant
frappé.
Les chênes-verts des bois dormaient ; le
ciel était d'un bleu violent et profond, et sur les lointains on
voyait remuer des réseaux de vapeurs tremblotantes comme il s'en
forme au-dessus des brasiers.
Lentement je descendis de mon mur mais de
l'autre côté, du côté de la campagne – et décidément je
m'échappai.
Je traversai d'abord sans m'arrêter la
première futaie de chênes pour aller m'enfoncer dans un autre bois
un peu plus lointain, en pleine brousse, écartant les ajoncs et les
bruyères ; je dérangeais en passant tout un petit monde grisé
de chaleur, qui faisait la sieste, des sauterelles roses ou bleues,
de grosses mantes vertes qui s'abattaient affolées sur moi ;
je faisais fuir des serpents et de gros lézards ; un hibou,
épouvanté d'une visite si inaccoutumée, s'éleva lourdement de son
vol soyeux pour retomber bientôt étourdi par trop de lumière. Je
jouissais de me dire que personne ne me savait là si loin à cette
heure accablante, et qu'on devait s'inquiéter de moi m'appeler, me
chercher.
Enfin j'arrivai à une clairière, où je
m'arrêtai saisi de recueillement et d'extase, tant le lieu me parut
idéalement sauvage ; de sombres chênes verts l'entouraient de
toutes parts ; il y avait des buissons d'églantines roses
chargés de fleurs, des chèvrefeuilles des touffes d'ancolies, et je
cueillis des orchidées blanches qui embaumaient ; par terre,
c'était un tapis sans doute inviolé de lichen et de mousse. On
sentait l'odeur des marjolaines, du thym, du serpolet, surchauffés
par le soleil méridien, et je faisais lever quantité de papillons,
les uns aux larges ailes noires, les autres tout petits d'un bleu
céleste… C'était ainsi que je m'étais imaginé les campagnes de la
Gaule primitive, aux étés d'autrefois, au temps de ces Druides,
dont j'allais parfois visiter avec Lucette les autels d'énormes
pierres, restés dans un bois du voisinage. J'étais en proie à ce
sentiment elmique, dans lequel les Druides devaient bien entrer
pour leur part. Jamais encore je ne m'étais senti si près de cet
être ou de cette chose que je n'ai jamais su définir ; je
cédais tout entier à la fascination et à la terreur de sa
présence ; mais qu'est-ce que cela pouvait bien être ?
Était-ce simplement ce que les Latins appelaient Horror
nemorum ? Je ne le crois pas, puisque dans d'autres bois bien
plus profonds que ceux-ci, je n'ai jamais éprouvé rien de pareil.
Non, le sentiment elmique a jeté sur ce coin de terre un charme que
lui seul possède et que je suis seul à comprendre…
Dans cette clairière enchantée il me semblait
en outre que j'avais pénétré comme un intrus, à une heure défendue,
dans un sanctuaire, que j'avais violé le mystère de quelque fête de
la Nature, et j'eus peur, grand peur tout à coup d'être seul, –
mais cette peur était délicieuse… Sans l'éducation si chrétienne
que j'ai reçue, je crois que j'aurais été le plus farouche des
sauvages j'aurais adoré les divinités terribles des solitudes et
des forêts, ou peut-être le Soleil. (Sic.)
C'était sans doute aussi par opposition, par
contraste avec ces campagnes plus froides où je passais mes
pluvieuses vacances, que mes souvenirs de Limoise s'exagéraient un
peu pour moi dans la lumière et les chaudes couleurs.
XLVII
Il est étonnant que j'aie à peine gardé le
souvenir de mon examen pour l'École Navale, qui fut cependant, sur
la fin de juillet, l'événement capital de ma vie ; c'est sans
doute parce que j'avais beaucoup travaillé les derniers jours, et
que, dès la première séance, j'avais senti que cela s'annonçait
bien, que je serais reçu ; le plus redouté des examinateurs
avait dit du reste à un de ses complices, en me désignant :
« Il comprend, celui-là ; des lacunes, c'est vrai, mais
il comprend. » Les concours se passaient rue de Lille, dans un
grand local silencieux, tandis que partout ailleurs, au soleil
d'été, l'Exposition universelle de 1867 menait dans Paris son bruit
de foire.
Mon départ pour rentrer à Rochefort s'est
aussi presque effacé de mon souvenir. Il me semble que je ne
songeai même pas à prendre congé de ces différents petits
Levantins, mes compagnons d'exil ; tous m'étaient quelconques.
Et, moi qui ai si souvent connu des serrements de cœur à quitter
des logis de passage, habités seulement quelques jours dans
différents pays de la Terre, je crois que je n'eus même pas l'idée
de me retourner pour un regard d'adieu, en franchissant une
dernière fois le seuil de cette chambre d'étudiant, d'où j'avais
contemplé pendant les longues heures hivernales le clocher de
Saint-Étienne-du-Mont, ou les trémoussements de marionnette de tous
ces tuyaux de poêle, assemblés au-dessus des maisons besogneuses et
moroses.
Au contraire, combien je me rappelle nettement
mon arrivée en gare de Rochefort, au beau matin clair !
Mes parents et ma sœur étaient venus au-devant
de moi, et, comme c'était ma première absence un peu longue, rien
ne m'avait préparé à l'impression triste, tant de fois éprouvée
ensuite dans ma vie, – de les trouver vieillis. Maman, dans ses
voiles noirs qu'elle ne voulait plus quitter, avait ses chères
boucles bien plus grises que l'année dernière ; la notion de
notre pauvreté nouvelle me fut aussi donnée dès l'abord, quand je
reconnus, sur le chapeau que ma sœur portait ce matin-là, des
fleurs et des plumes de l'un des derniers qu'avait eus ma mère
avant son deuil.
Paris ne m'avait ni émerveillé, ni
étonné ; non, mais ce fut mon petit Rochefort qui m'étonna
beaucoup ; je me le rappelais autrement, je n'en revenais plus
de voir ses maisonnettes si basses et ses rues si tranquilles, avec
cet air de village. Mon retour à la maison familiale m'emplit d'une
émotion à la fois poignante et douce ; cette avenue de
feuilles et de fleurs, que notre longue cour n'avait pas cessé
d'être, me parut adorable, et dès que je fus redescendu d'une
joyeuse grimpade aux chambres du second étage où j'étais allé
tendrement embrasser ma grand-mère et mes tantes, j'y revins pour
m'asseoir à l'ombre sur le banc vert, près de mon petit bassin au
rivage romantique. C'est alors que M. Souris, surnommé la
Suprématie, s'approcha lentement de moi, non pas avec ces
manifestations pétulantes des chiens qui retrouvent leur maître,
mais avec cette discrétion, cette allure circonspecte qui sont
toujours dans la manière des chats ; visiblement il se
demandait : « Est-ce que nous ne nous sommes pas connus
jadis, toi et moi ? Tu ressembles à l'enfant prodigue qui nous
avait quittés depuis si longtemps : est-ce que par hasard tu
serais lui, qui, après être allé se promener trop loin comme il
m'arrive parfois, se serait perdu, mais nous revient ? »
Et il sembla ravi quand je l'embrassai.
Cette paix, ce silence me reposaient et
m'enchantaient. Et puis c'était fini de la préoccupation des
examens : quelle délivrance ! En attendant cet inconnu
charmeur qui s'appellerait le Borab, la navigation, les voyages,
plus rien à faire qu'à flâner et rêver dans tous les recoins de la
maison et des bois d'alentour, pendant deux délicieux mois
d'été !…
La chère maison, elle n'était plus triste
comme avant mon départ. Depuis notre grand désastre, pendant mon
année d'absence, les choses s'étaient « tassées », comme
on dit en marine ; on s'était résigné, on commençait à
s'habituer aux dures restrictions nécessaires ; un peu de
gaieté même était revenu à l'occasion de mon retour, et on avait
recommencé à mettre dans le salon de belles fleurs, apportées sans
frais du jardin de Fontbruant. (Hélas ! deux ans plus tard,
nous devions descendre encore un terrible échelon vers la pauvreté,
la presque misère ; mais, pour le moment, on ne le prévoyait
pas encore.)
En comparaison de ma chambre de Paris, celle
d'ici, la nouvelle que j'avais pourtant acceptée à regret, me parut
accueillante raffinée presque adorable, surtout avec ce magnifique
rosier noisette-des-prés, qui encadrait la fenêtre d'une guirlande
de ses roses ; il est vrai, pour m'y rendre, j'avais eu la
malchance de croiser dans l'escalier nos locataires ; mais la
rencontre avait été moins terrible que je n'aurais cru, tant ils
s'étaient montrés aimables et discrets.
Je n'avais pas tardé à m'apercevoir que tante
Claire était devenue plus que jamais la providence de la
maison ; les clefs de ma malle s'étant perdues en route,
c'était elle qui sans peine l'avait ouverte avec un crochet très
habile. Depuis un an, elle s'était perfectionnée comme jardinier et
improvisée comme menuisier, tapissier et même serrurier. Ses
outils, qui lui venaient de notre ancienne maison de l'île, comme
tout ce qu'elle possédait, me la rappellent encore avec une acuité
souvent douloureuse, et, pour moi, elle est évoquée surtout par son
petit marteau emmanché de bois des colonies, qui avait fait tant de
gentille besogne et que je ne touche qu'avec vénération.
Après le déjeuner, auquel ne manquait aucune
de mes chères vieilles amies en papillotes, un de mes premiers
soins fut d'aller me rendre compte de l'état de mon musée, et, pour
cette inspection, j'emmenai bien entendu tante Claire. Nous
descellâmes la porte, en arrachant les bandelettes de papier
collées au moment de mon départ, et nous fûmes saisis en entrant
par une odeur d'oiseaux empaillés, de camphre, d'aromates ; en
somme, ça sentait assez tristement la mort là-dedans, mais la mort
soignée et proprette, comme à l'ouverture d'un sarcophage de momie.
Le papillon citron-aurore, que je cherchai des yeux avant toutes
choses, était resté aussi éclatant, entre les grands bleus de la
Guyane ; rien n'avait bougé nulle part, et ce petit réduit, –
qui dans l'avenir devait si souvent conserver, des années de suite,
son immobilité d'hypogée, pendant que je courais le monde, – ce
minuscule réduit avait fidèlement rempli son rôle de reliquaire
enfantin pour pauvres petites choses sacrées. Je me hâtai de
desceller aussi la fenêtre, afin de laisser pénétrer de l'air
vivant et aussi de revoir les lointains de la plaine d'herbages où
notre rivière serpente ; alors, des abeilles, des guêpes, qui
sans doute se souvenaient, entrèrent aussitôt en dansant, comme
pendant les premiers étés de ma vie.
Ensuite, à la grande chaleur du milieu du
jour, vint cet instant que j'avais désiré depuis des mois, celui de
rouvrir mon piano, et là, avec maman, nous deux seuls, de lui jouer
un peu de mon répertoire nouveau, à ma manière nouvelle. Tout se
passa exactement comme je l'avais rêvé ; une fraîcheur,
exquise après la fournaise du dehors, avait été maintenue, comme
aux étés d'autrefois, dans notre salon rouge laissé en pénombre et
dont aucun bruit ne troublait la sonorité propice. Pendant toute
mon absence, on avait laissé dormir ce piano dont j'aurais reconnu
entre mille les délicieux sons veloutés, chantants comme ceux d'une
voix humaine.
Ce fut une des fois où je me sentis le plus
intimidé devant ma mère chérie, tant je désirais que ce fut
bien ; donc, pour commencer par une chose facile que j'étais
sûr de jouer d'une façon impeccable, je mis sur le pupitre un
morceau de Mozart, des variations d'une charmante naïveté sur l'air
Lison donnait… À ce moment, on entendit, dans la rue accablée de
soleil, trottiner une marchande de je ne sais quel laitage, qui
s'annonçait comme jadis en jetant des cris plaintifs de
hibou : une vieille connaissance encore, cette bonne femme-là,
et qui aurait manqué à ma fête d'arrivée si elle avait omis de
venir : depuis mes premières années, son cri étrange, à ces
mêmes heures, se mêlait toujours aux silences des après-midi d'été,
de même que celui de la vieille marchande de gâteaux, aux silences
des nuits d'hiver.
À peine avais-je joué la première page de
Lison dormait, que la porte, entrebâillée sur le corridor, s'ouvrit
un peu plus, poussée par une faible pression extérieure, et
M. Souris fit une entrée hésitante, marchant sur ses pattes de
velours et me regardant en plein dans les yeux avec ses prunelles
tout à coup dilatées. Je venais de le laisser endormi à l'ombre,
tout au fond de la cour, sous des chèvrefeuilles ; mais il
avait entendu ce son de mon piano, depuis longtemps oublié, et il
était accouru pour se rendre compte ; évidemment il achevait
de m'identifier, et, dès qu'il eut une certitude, il sauta sur mon
épaule à sa manière d'autrefois.
– Oh ! maman, dis-je, permets-moi de
m'arrêter un peu ; il faut bien que je le caresse, tu
comprends ; vois comme il me reconnaît !
Quand maman l'eut installé sur ses genoux pour
le faire tenir tranquille, je me replongeai dans les variations
vieillottes et jolies ; mais je ne voyais là qu'une sorte
d'entrée en matière, propre à me dégourdir les doigts ;
c'était trop gentil et mièvre, ce n'était pas de la musique pour
moi. Il me tardait d'en venir à des choses plus tourmentées, plus
insondables ; je pris donc l'Appassionata de Beethoven et
cette merveille appelée l'Aurore, qui devient si ennuyeuse pour peu
qu'elle soit médiocrement jouée. Ma mère alors fut émue et
ravie.
– Je savais bien que tu aurais du talent, mon
chéri ! me dit-elle en me serrant dans ses bras…
Vraiment cette journée de retour était tout à
fait bonne.
XLVIII
Le lendemain fut le jour d'aller faire ma
visite d'arrivée à tante Eugénie, qui habitait la Limoise comme
tous les étés, jusqu'aux premières mélancolies d'automne, et, quand
le soleil commença de décliner, je partis d'un pied joyeux pour
faire les cinq kilomètres de la route.
Aussitôt la Charente franchie dans une barque,
dès que je me retrouvai sur le plateau pierreux de la rive sud,
dans la plaine des Chaumes, je me grisai de l'odeur du thym, du
serpolet et des marjolaines. Il était l'heure de dîner quand
j'arrivai à la Limoise, mais malgré cela, avant de me mettre à
table dans la si vieille salle à manger aux épaisses murailles, je
demandai la permission d'aller seul en courant jusqu'à l'entrée des
bois, que j'avais trop hâte de revoir.
Le soleil se couchait quand je pénétrai sous
ces chênes vieux de plusieurs siècles, un soleil rouge comme
braise, qui était agrandi et ovalisé par la réfraction des épaisses
vapeurs chaudes du soir, un énorme soleil déjà très bas que l'on
apercevait à travers la futaie et qui semblait descendre au ras du
sol pour incendier les bruyères. Quel silence et quelle paix, dans
ce lieu toujours pareil que je revoyais avec un sentiment presque
religieux ! Avoir quitté hier Paris, le tapage des boulevards,
et me retrouver ici tout à coup, au milieu de mes rêves
d'enfance !…
L'émotion fut pour moi si poignante que je la
notai le lendemain sur mon cahier secret, mais je n'ose reproduire
ce passage, écrit avec tant d'exagération et même tant de lyrisme
que les plus indulgents de mes amis inconnus ne pourraient
s'empêcher de sourire…
Après dîner, au chaud crépuscule, quand déjà
les chauves-souris tournoyaient, nous allâmes, tante Eugénie et
moi, en pensant à Lucette, nous asseoir dans le jardin sur un banc
de pierre abrité et embaumé par un vieux jasmin tout en fleurs. À
ce moment l'angélus se mit à tinter là-bas au clocher roman du
village d'Échillais, et le son de cette cloche, à lui seul, était
évocateur de tout un passé : de plus, juste en face de nous,
s'alluma l'étoile Polaire, l'étoile de Lucette, l'étoile que
pendant son mortel séjour à la Guyane nous nous étions entendus,
elle et moi, pour regarder ensemble à la même heure et qui ce soir
surgissait là tout à coup comme pour mieux la rappeler à mon
souvenir…
L'étoile Polaire, pendant mon enfance je la
considérais comme l'un des signes les plus éternellement immuables
du ciel, pouvant même peut-être communiquer un peu de sa durée à
l'affection de Lucette pour moi ; mais maintenant,
hélas ! je commençais de trop bien savoir qu'elle n'était que
l'un quelconque de ces monstrueux et inconcevables bolides de feu,
en chute vertigineuse au milieu du désordre, du terrifiant
tohu-bohu des mondes !… L'étoile Polaire, plus tard pendant
mes nuits de veille sur des navires, je devais plus d'une fois
l'interroger, avec nos instruments de précision, pour vérifier ma
route à travers l'immensité des eaux… L'étoile Polaire, souvent, au
cours de mes longs voyages, je devais la voir tomber peu à peu
au-dessous de l'horizon et m'abandonner, tandis que surgiraient du
côté opposé la Croix du Sud et les deux grandes nébuleuses
australes, souveraines dans le ciel de l'autre hémisphère… Mais ici
ce soir, vue de ce berceau de jasmin, dans le calme de ce jardin de
la Limoise, elle était tranquillement redevenue pour moi un très
petit feu allumé à sa toujours même place, une gentille et fidèle
petite lueur de ver luisant : l'étoile de Lucette !…
XLIX
D'après des renseignements pris en haut lieu
par nos cousins de Paris, il était de plus en plus certain que je
serais reçu à l'École Navale. Donc, aucune inquiétude de ce
côté-là, et mon avenir semblait assuré.
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