Il ne reconnaît plus le point de départ où doivent l’attendre les autres, dont il aura peut-être causé la perte ; il hésite, il s’arrête, l’oreille tendue, les artères bruissantes, et se cramponne, pour réfléchir, à l’une des grandes barques d’Espagne… Quelque chose alors s’approche, glissant comme avec des précautions infinies à la surface de l’eau à peine remuée : une ombre humaine, dirait-on, une silhouette debout, – un contrebandier, sûrement, pour faire si peu de bruit ! L’un l’autre ils se devinent, et, Dieu merci ! c’est bien Arrochkoa ; Arrochkoa, qui a détaché un frêle canot espagnol pour aller à sa rencontre… Donc, la jonction entre eux est opérée et ils sont probablement sauvés tous, encore une fois !

Mais Arrochkoa, en l’abordant, profère d’une voix sourde et mauvaise, d’une voix serrée entre ses dents de jeune félin, une de ces suites d’injures qui appellent la réplique immédiate et sonnent comme une invitation à se battre… C’était si imprévu, que la stupeur d’abord immobilise Raymond, retarde la montée du sang à sa tête vive. Est-ce bien cela que son ami vient de dire, et sur un tel ton d’indéniable insulte !…

« Tu as dit ?

– Dame !… » reprend Arrochkoa, un peu radouci tout de même, et sur ses gardes, observant dans les ténèbres les attitudes de Ramuntcho. »Dame ! tu as manqué nous faire prendre tous, maladroit que tu es !… »

Cependant les silhouettes des autres surgissent d’un canot voisin.

« Ils sont là, continue-t-il, arme ton aviron, rapprochons-nous d’eux ! »

Et Ramuntcho se rassied à sa place de rameur, les tempes chaudes de colère, les mains tremblantes… Non, d’ailleurs…, c’est le frère de Gracieuse : tout serait perdu s’il se battait avec lui ; à cause d’elle, il courbera la tête et ne répondra rien.

Maintenant leur barque s’éloigne à force de rames, les emmenant tous ; le tour est joué. Il était temps ; deux voix espagnoles vibrent sur la rive noire : deux carabiniers, qui sommeillaient dans leur manteau et que le bruit a réveillés !… Et ils commencent à héler cette barque fuyante et sans fanal, moins aperçue que soupçonnée, perdue tout ce suite dans l’universelle confusion nocturne.

« Trop tard, les amis ! ricane Itchoua, en ramant à outrance. Hélez à votre aise, à présent, et que le diable vous réponde ! »

Le courant aussi les aide ; ils s’éloignent dans l’épaisse obscurité avec la vitesse des poissons.

Ouf ! Maintenant ils sont dans les eaux françaises, en sécurité, non loin sans doute de la vase des berges.

« Arrêtons-nous pour souffler un peu », propose Itchoua.

Et ils lèvent leurs avirons, tout haletants, trempés de sueur et de pluie. Les voici de nouveau immobiles sous l’ondée froide qu’ils ne semblent pas sentir. On n’entend plus, dans le vaste silence, que le souffle peu à peu calmé des poitrines, la petite musique des gouttes d’eau qui tombent et leurs ruissellements légers.

Mais tout à coup, de cette barque qui était si tranquille et qui n’avait plus que l’importance d’une ombre à peine réelle au milieu de tant de nuit, un cri s’élève, suraigu, terrifiant ; il remplit le vide et s’en va déchirer les lointains… Il est parti de ces notes très hautes qui n’appartiennent d’ordinaire qu’aux femmes, mais avec quelque chose de rauque et de puissant qui indique plutôt le mâle sauvage ; il a le mordant de la voix des chacals et il garde quand même on ne sait quoi d’humain qui fait davantage frémir ; on attend avec une sorte d’angoisse qu’il finisse, et il est long, long, il oppresse par son inexplicable longueur… Il avait commencé comme un haut bramement d’agonie, et voici qu’il s’achève et s’éteint en une sorte de rire, sinistrement burlesque, comme le rire des fous…

Cependant, autour de l’homme qui vient de crier ainsi à l’avant de la barque, aucun des autres ne s’étonne ni ne bouge. Et, après quelques secondes d’apaisement silencieux, un nouveau cri semblable part de l’arrière, répondant au premier et passant par les mêmes phases, – qui sont de tradition infiniment ancienne.

Et c’est simplement 1’irrintzina, le grand cri basque, qui s’est transmis avec fidélité du fond de l’abîme des âges jusqu’aux hommes de nos jours, et qui constitue l’une des étrangetés de cette race aux origines enveloppées de mystère. Cela ressemble au cri d’appel de certaines tribus Peaux-Rouges dans les forêts des Amériques ; la nuit, cela donne la notion et l’insondable effroi des temps primitifs, quand, au milieu des solitudes du vieux monde, hurlaient des hommes au gosier de singe.

On pousse ce cri pendant les fêtes, ou bien pour s’appeler le soir dans la montagne, et surtout pour célébrer quelque joie, quelque aubaine imprévue, une chasse miraculeuse ou un coup de filet heureux clans l’eau des rivières.

Et ils s’amusent, les contrebandiers, à ce jeu des ancêtres ; ils donnent de la voix pour glorifier leur entreprise réussie ils crient par besoin physique de se dédommager de leur silence de tout à l’heure.

Mais Ramuntcho reste muet et sans un sourire. Cette sauvagerie soudaine le glace, bien qu’elle lui soit depuis longtemps connue ; elle le plonge dans les rêves qui inquiètent et ne se démêlent pas.

Et puis, il a senti ce soir une fois de plus combien était incertain et changeant son seul appui au monde, l’appui de cet Arrochkoa sur qui il aurait pourtant besoin de pouvoir compter comme sur un frère ; ses audaces et ses succès au jeu de paume le lui rendront sans doute, mais une défaillance, un rien, peut à tout moment le lui faire perdre. Alors il lui semble que l’espoir de sa vie n’a plus de base, que tout s’évanouit comme une inconsistante chimère.

IX

C’était le soir de la Saint-Sylvestre.

Toute la journée, s’était maintenu ce ciel sombre qui est si souvent le ciel du pays basque – et qui va bien d’ailleurs avec les âpres montagnes, avec la mer bruissante et mauvaise, en bas, au fond du golfe de Biscaye.

Au crépuscule de ce dernier jour de l’année, à l’heure où les feux de branches retiennent les hommes autour des foyers épars dans la campagne, à l’heure où le gîte est désirable et délicieux, Ramuntcho et sa mère allaient s’asseoir pour souper, quand on frappa discrètement à leur porte.

L’homme qui leur arrivait de la nuit du dehors, au premier aspect leur sembla inconnu ; quand il se fut nommé seulement (José Bidegarray, d’Hasparitz), ils se rappelèrent le matelot parti depuis des années pour naviguer aux Amériques.

« Voilà, dit-il après avoir accepté une chaise, voilà quelle commission l’on m’a chargé de vous faire. Une fois, à Rosario de l’Uruguay, comme je causais sur les docks avec d’autres Basques émigrés là-bas, un homme, qui pouvait avoir cinquante ans environ, s’est approché de moi, en m’entendant parler d’Etchézar.

« – Vous en êtes, vous, d’Etchézar ? m’a-t-il demandé.

« – Non, mais du bourg d’Hasparitz, qui n’en est guère éloigné. »

« Alors il m’a fait des questions sur toute votre famille. J’ai dit :

« – Les vieux sont morts, le frère aîné a été tué à la contrebande, le second a disparu aux Amériques ; il ne reste plus que Franchita avec son fils Ramuntcho, un beau jeune garçon qui peut avoir dans les dix-huit ans aujourd’hui. »

« Il était tout songeur en m’écoutant parler.

« – Eh bien, m’a-t-il dit pour finir, puisque vous retournez là-bas, vous leur direz le bonjour de la part d’Ignacio. »

« Et, après m’avoir offert un verre à boire, il s’en est allé… »

Franchita s’était levée, tremblante et encore plus pâle que de coutume. Ignacio, le plus aventurier de toute la famille, son frère disparu depuis dix années sans donner de ses nouvelles !…

Comment était-il ? Quelle figure ? Habillé de quelle façon ?… Avait-il l’air heureux, au moins, ou la tenue d’un pauvre ?

« Oh ! répondit le matelot, il marquait bien encore, malgré ses cheveux gris ; pour le costume, il paraissait un homme à son aise, avec une belle chaîne d’or à sa ceinture. »

Et c’était tout ce qu’il pouvait dire, par exemple, cela, avec ce naïf et rude bonjour dont il était porteur ; au sujet de l’exilé, il n’en savait pas davantage, et peut-être, jusqu’à la mort, Franchita n’apprendrait jamais rien de plus sur ce frère, presque inexistant comme un fantôme.

Puis, quand il eut vidé un verre de cidre, il reprit sa route, le messager étrange qui se rendait là-haut dans son village. Alors, ils se mirent à table sans se parler, la mère et le fils ; elle, la silencieuse Franchita, distraite, avec des larmes qui faisaient briller ses yeux ; lui, troublé aussi, mais d’une manière différente, par la pensée de cet oncle, courant là-bas la grande aventure.

Au sortir de l’enfance, quand Ramuntcho commençait à déserter l’école, à vouloir suivre les contrebandiers dans la montagne, Franchita avait coutume de lui dire en le grondant :

« D’ailleurs, tu tiens de ton oncle Ignacio, on ne fera jamais rien de toi !… »

Et c’était vrai qu’il tenait de son oncle Ignacio, qu’il était fasciné par toutes les choses dangereuses, inconnues et lointaines…

Ce soir donc, si elle ne parlait pas à son fils du message qui venait de leur être transmis, c’est qu’elle devinait le sens de sa rêverie sur les Amériques et qu’elle avait peur de ses réponses. Du reste chez les campagnards ou chez les gens du peuple, les petits drames profonds et intimes se jouent sans paroles, avec des malentendus jamais éclaircis, des phrases seulement devinées et d’obstinés silences.

Mais, comme ils finissaient leur repas, ils entendirent un chœur de voix jeunes et gaies, qui se rapprochait, accompagné d’un tambour : les garçons d’Etchèzar, venant prendre Ramuntcho pour l’emmener avec eux faire en musique le tour du village, suivant la coutume des nuits de la Saint-Sylvestre, entrer dans chaque maison, y boire un verre de cidre et y donner une joyeuse sérénade sur un air du vieux temps.

Et Ramuntcho, oubliant l’Uruguay et l’oncle mystérieux, redevint enfant, dans son plaisir de les suivre et de chanter avec eux le long des chemins obscurs, ravi surtout de penser qu’on entrerait chez les Detcharry et qu’il reverrait un instant Gracieuse.

X

Le changeant mois de mars était arrivé, et avec lui l’enivrement du printemps, joyeux pour les jeunes, mélancolique pour ceux qui déclinent.

Et Gracieuse avait recommencé de s’asseoir, au crépuscule des jours déjà allongés, sur le banc de pierre devant sa porte.

Oh ! les vieux bancs de pierre, autour des maisons, faits dans les temps passés, pour les rêveries des soirées douces et pour les causeries éternellement pareilles des amoureux !…

La maison de Gracieuse était très ancienne, comme la plupart des maisons de ce pays basque, où les années changent, moins qu’ailleurs, les choses… Elle avait deux étages ; un grand toit débordant, en pente rapide ; des murailles comme une forteresse, que l’on blanchissait à la chaux tous les étés ; de très petites fenêtres, avec des entourages de granit taillé et des contrevents verts. Au-dessus de la porte de façade, un linteau de granit portait une inscription en relief ; des mots compliqués et longs, qui, pour des yeux de Français, ne ressemblaient rien de connu. Cela disait : « Que notre Sainte Vierge bénisse cette demeure, bâtie en l’an 1630 par Pierre Detcharry, bedeau, et sa femme Damasa Irribarne, du village d’Istaritz. » Un jardinet de deux mètres de large, entouré d’un mur bas pour permettre de voir passer le monde, séparait la maison du chemin ; il y avait là un beau laurier-rose de pleine terre, étendant son feuillage méridional au-dessus du banc des soirs, et puis des yuccas, un palmier, et des touffes énormes de ces hortensias, qui deviennent géants ici, dans ce pays d’ombre, sous ce tiède climat enveloppé si souvent de nuages. Par derrière ensuite, venait un verger mal clos, qui dévalait jusqu’à un chemin abandonné, favorable aux escalades d’amants.

Les rayonnants matins de lumière qu’il eut ce printemps-là, et les tranquilles soirs roses !…

Après une semaine de pleine lune, qui maintenait jusqu’au jour les campagnes toutes bleues de rayons, et où les gens d’Itchoua ne travaillaient plus, – tant était clair leur domaine habituel, tant s’illuminaient leurs grands fonds vaporeux de Pyrénées et d’Espagne, – la fraude de frontière reprit de plus belle, dès que le croissant aminci fut redevenu discret et matinal. Alors, par ces beaux temps recommencés, la contrebande des nuits fut exquise à faire ; métier de solitude et de rêve où l’âme des naïfs et très pardonnables fraudeurs grandissait inconsciemment en contemplation du ciel et des ténèbres animées d’étoiles, – comme il arrive pour l’âme des gens de mer veillant sur la marche nocturne des navires, et comme il arrivait jadis pour l’âme des pasteurs de l’antique Chaldée.

Elle était favorable aussi et tentante pour les amoureux, cette période attiédie qui suivit la pleine lune de mars, car il faisait noir partout autour des maisons, noir dans tous les chemins voûtés d’arbres, – et très noir, derrière le verger des Detcharry, dans le sentier à l’abandon où ne passait jamais personne.

Gracieuse vivait de plus en plus sur son banc devant sa porte.

C’était là qu’elle s’était assise, comme chaque année, pour recevoir et regarder les danseurs du carnaval : ces groupes de jeunes garçons et de jeunes filles d’Espagne ou de France, qui, chaque printemps, s’organisent pour quelques jours en bande errante et, vêtus tous de mêmes couleurs roses ou blanches, s’en vont parcourir les villages de la frontière, danser le fandango devant les maisons, avec des castagnettes.

Elle s’attardait toujours davantage à cette place qu’elle aimait, sous l’abri du laurier-rose près de fleurir, et, quelquefois même, sortait sans bruit par la fenêtre, comme une petite sournoise, pour venir là respirer longuement, après que sa mère était couchée. Or, Ramuntcho le savait, et, chaque soir, la pensée de ce banc troublait son sommeil.

XI

Un clair matin d’avril, ils cheminaient tous deux vers l’église, Gracieuse et Raymond. Elle, d’un air demi-grave, demi-moqueur, d’un petit air particulier et très drôle, le menant là pour lui faire faire une pénitence qu’elle lui avait commandée.

Dans le saint enclos, les parterres des tombes refleurissaient, comme aussi les rosiers des murailles. Une fois de plus les sèves nouvelles s’éveillaient, au-dessus du long sommeil des morts. Ils entrèrent ensemble, par la porte d’en bas, dans l’église vide, où la vieille benoîte en mantille noire était seule, époussetant les autels.

Quand Gracieuse eut donné à Ramuntcho l’eau bénite et qu’ils eurent fait leur signe de croix, elle le conduisit, à travers la nef sonore pavée de dalles funéraires, jusqu’à une étrange image accrochée au mur, dans un recoin d’ombre, sous les tribunes des hommes.

C’était une peinture, empreinte d’un mysticisme ancien, qui représentait la figure de Jésus les yeux fermés, le front sanglant, l’expression lamentable et morte ; la tête semblait tranchée, séparée du corps, et posée là sur un linge gris. Au-dessous, se lisaient les longues Litanies de la Sainte-Face, qui ont été composées, comme chacun sait, pour être dites en punition par les blasphémateurs repentants. La veille, Ramuntcho, étant en colère, avait juré très vilainement : une kyrielle tout à fait inimaginable de mots, où les sacrements et les plus saintes choses se trouvaient mêlés aux cornes du diable et à d’autres vilenies plus affreuses encore. C’est pourquoi la nécessité d’une pénitence s’était imposée à l’esprit de Gracieuse.

« Allons, mon Ramuntcho, recommanda t-elle en s’éloignant, n’omets rien de ce qu’il faut dire. »

Elle le quitta donc devant la Sainte-Face, commençant de murmurer ses litanies à voix basse, et se rendit auprès de la benoîte, pour l’aider à changer l’eau des pâquerettes blanches, devant l’autel de la Vierge.

Mais quand le langoureux soir fut revenu, et Gracieuse assise dans l’obscurité à rêver sur son banc de pierre, une jeune forme humaine surgit tout à coup près d’elle ; quelqu’un qui s’était approché en espadrilles, sans faire plus de bruit que les hiboux soyeux dans l’air, venant du fond du jardin sans doute, après quelque escalade, et qui se tenait là, droit et cambré, la veste jetée sur une épaule : celui vers qui allaient toutes ses tendresses de cette terre, celui qui incarnait l’ardent rêve de son cœur et de ses sens…

« Ramuntcho ! dit-elle… Oh ! que j’ai eu peur de toi !… D’où es-tu sorti à une heure pareille ? Qu’est-ce que tu veux ? Pourquoi es-tu venu ?

– Pourquoi je suis venu ? A mon tour, pour te commander une pénitence, répondit-il en riant.

– Non, dis vrai, qu’est-ce qu’il y a, qu’est-ce que tu viens faire ?

– Mais, te voir seulement ! C’est ça que je viens faire… Qu’est-ce que tu veux ! nous ne nous voyons plus jamais !… Ta mère m’éloigne davantage chaque jour. Je ne peux pas vivre comme ça, moi… Nous ne faisons pas de mal après tout, puisque c’est pour nous marier, dis !… Et tu sais, je pourrai venir tous les soirs, si cela te va, sans que personne s’en doute…

– Oh ! non !… Oh ! ne fais pas ça, jamais, je t’en supplie «

Ils causèrent un instant et si bas, si bas, avec plus de silences que de paroles, comme s’ils avaient peur d’éveiller les oiseaux dans les nids. Ils ne reconnaissaient plus le son de leurs voix, tant elles étaient changées et tant elles tremblaient, comme s’ils avaient commis là quelque crime délicieux et damnable, rien qu’en restant près l’un de l’autre, dans le grand mystère caressant de cette nuit d’avril, qui couvait autour d’eux tant de montées de sèves, de germinations et d’amours…

Il n’avait même pas osé s asseoir à ses côtés ; il demeurait debout, prêt à fuir sous les branches à la moindre alerte comme un rôdeur nocturne.

Cependant, quand il voulut partir, ce fut elle qui demanda, confuse, en hésitant et de façon à être à peine entendue :

« Et…, tu reviendras demain, dis ?

Alors, sous sa moustache commençante, il sourit de voir ce brusque changement d’idée et il répondit :

« Mais oui, bien sûr !… Demain et tous les soirs !… Tous les soirs où nous n’aurons pas de travail pour l’Espagne…, je viendrai… »

XII

Le logis de Raymond était, dans la maison de sa mère et juste au-dessus de l’étable, une chambre très nettement badigeonnée à la chaux ; il avait là son lit, toujours propre et blanc, mais où la contrebande lui laissait maintenant peu d’heures pour dormir. Des livres de voyages ou de cosmographie, que lui prêtait le curé de sa paroisse, posaient sur sa table, – inattendus dans cette demeure. Les portraits encadrés de différents saints ornaient les murailles, et plusieurs gants de joueur de pelote pendaient aux poutres du plafond, – de ces longs gants d’osier et de cuir, qui semblent plutôt des engins de chasse ou de pêche.

Franchita, à son retour au pays, avait racheté cette maison, qui était celle de ses parents défunts, avec une partie de la somme donnée par l’étranger à la naissance de son fils. Elle avait placé le reste ; puis elle travaillait à faire des robes ou à repasser du linge pour les personnes d’Etchézar, et louait, à des fermiers d’une terre environnante, deux chambres d’en bas, avec l’étable où ceux-ci mettaient leurs vaches et leurs brebis.

Différentes petites musiques familières berçaient Ramuntcho dans son lit. D’abord, le bruit constant d’un torrent très proche ; puis, des chants de rossignols quelquefois, des aubades de divers oiseaux.