Tous les jours nous peinions, mais nous n’avions pas la moindre idée du but vers lequel nous allions. Pour nos leçons, nous étions donc dans la situation du pessimiste qui compte uniquement les activités pantelantes du monde, mais ne peut voir l’infini repos de la perfection où ces activités puisent en chaque instant leur équilibre dans une harmonie et une adaptation absolues. Lorsque nous contemplons ainsi l’existence, nous perdons toute joie, parce que nous ne voyons pas la vérité. Nous voyons gesticuler le danseur, et nous imaginons qu’il obéit à un hasard impitoyablement tyran-nique, parce que nous sommes sourds à l’éternelle musique qui rend chacun de ses mouvements inévitablement spontané et beau. Ces mouvements se développent toujours dans cette musique de perfection, deviennent un avec elle et consacrent à chaque pas à cette mélodie les formes multiples qu’ils créent sans cesse.
La vérité de l’âme, et sa joie, c’est qu’elle doit toujours croître en Brahman, que tous ses mouvements doivent être modulés par cette idée ultime, et que toutes ses créations doivent être données en offrande à l’esprit suprême de perfection.
Il y a dans les Upanishads cette phrase remarquable : « Je ne crois pas que je Le connaisse bien, ni même que je Le connaisse, ni même que Je ne Le connaisse pas. »
Nous ne pouvons jamais connaître l’Être infini par le processus de la connaissance. Mais s’il est complètement hors de notre portée, il n’est absolument rien pour nous. La vérité, c’est que nous ne le connaissons pas, et que pourtant nous le connaissons.
Et cela est expliqué dans un autre verset des Upanishads : « De Brahman les paroles reviennent déconcertées, de même que la pensée, mais celui qui Le connaît par la joie de Lui est libéré de toutes craintes. »
La connaissance intellectuelle n’est que partielle, parce que notre intellect est un instrument, il n’est qu’une partie de nous, il peut seulement nous donner des informations sur des choses susceptibles d’être divisées, analysées, et dont les propriétés peuvent être classées morceau par morceau. Mais Brahman est parfait, et une connaissance partielle ne peut jamais être une connaissance de Lui.
Il peut cependant être connu par la joie, par l’amour. Car la joie est la connaissance dans sa plénitude, c’est connaître avec tout notre être. L’intellect nous isole des choses à connaître, mais l’amour connaît son objet par une sorte de fusion. Une telle connaissance est immédiate et n’admet aucun doute. C’est comme nous connaître nous-mêmes, mais mieux encore.
Aussi, comme le disent les Upanishads, la pensée ne peut-elle jamais connaître Brahman, et les mots ne peuvent-ils jamais Le décrire ; Il ne peut être connu que par notre âme, par la joie qu’elle prend en Lui, par l’amour qu’elle ressent pour Lui. En d’autres termes, nous ne pouvons entrer en rapports avec Lui que par union, par l’union de notre être tout entier. Il faut que nous soyons un avec le Père, et que nous soyons parfaits comme Il est parfait.
Comment cela peut-il se faire ? Dans la perfection infinie, il ne peut y avoir de degré. Nous ne pouvons croître de plus en plus en Brahman. Il est l’absolu unique, et en Lui il ne saurait y avoir ni plus ni moins.
En vérité, la réalisation de paramâtman, l’âme suprême, en notre antarâtman, notre âme individuelle intérieure, suppose un état de plénitude absolue. Nous ne pouvons l’imaginer comme non existante et dépendant pour sa constitution progressive de nos pouvoirs limités. Si nos relations avec le Divin étaient de notre propre création, comment pourrions-nous être sûrs qu’elles sont vraies, et comment pourraient-elles nous soutenir ?
Il nous faut savoir que nous avons en nous Cela en quoi l’espace et le temps ne règnent plus, et où les maillons de l’évolution se fondent dans l’unité. En cette éternelle demeure de l’âtman, de l’âme, la révélation de paramâtman, l’âme suprême, est déjà complète. C’est pourquoi les Upanishads disent : « Celui qui connaît Brahman, le vrai, le tout-conscient, l’infini, comme caché dans les profondeurs de l’âme, qui est le ciel suprême (le ciel intérieur de la conscience), jouit de tous les objets de désir en union avec l’omniscient Brahman. »
L’union est déjà accomplie. Paramâtman, l’âme suprême, a lui-même choisi notre âme pour épouse et le mariage a été célébré. Le mantra sacramentel a été prononcé : « Que ton cœur soit comme est mon cœur. » Dans ce mariage, il n’y a pas place pour que l’évolution vienne jouer le rôle de maître des cérémonies. L’esah, que l’on ne saurait décrire autrement que Ceci, la présence immédiate et sans nom, est toujours là, dans notre être le plus intime « Cet esah, Ceci, est la fin suprême de cet autre ceci. » « Cet esah est le trésor suprême de cet autre ceci. » « Cet esah est la demeure suprême de cet autre ceci. » « Cet esah est la joie suprême de cet autre ceci. » Parce que ce mariage de l’amour suprême s’est accompli dans le temps éternel. Et maintenant se poursuit la lîlâ sans fin, le jeu de l’amour. Celui qui a été conquis dans l’éternité est maintenant recherché dans le temps et l’espace, dans les joies et les peines, dans ce monde et dans les autres. Lorsque l’âme, la mariée, a bien compris cela, son cœur est heureux et paisible. Elle sait que, telle la rivière, elle est arrivée à l’océan de son accomplissement à un bout de son être, et qu’à l’autre bout elle l’atteint sans cesse ; à une extrémité le repos et la plénitude éternels, à l’autre le mouvement et le changement incessants. Lorsqu’elle sait que les deux extrémités sont inséparablement liées, elle sait que le monde entier est sa propre maison, car elle sait que le maître du monde est son propre seigneur. Alors tout son travail est un service d’amour, tous ses ennuis et toutes ses tribulations dans la vie sont pour elle des épreuves qu’elle traverse triomphalement pour prouver la force de son amour, et en souriant pour relever le défi de son amant. Mais tant qu’elle reste obstinément dans les ténèbres, qu’elle ne relève pas son voile, qu’elle ne reconnaît pas son amant, et qu’elle ne connaît le monde que dissocié de lui, elle sert comme domestique là où elle aurait le droit de régner en souveraine ; elle est ballottée par le doute, elle sanglote dans la tristesse et le désespoir.
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