C’est un jeu dangereux où l’on perd toujours, et dans lequel l’homme joue le tout pour gagner un fragment. Le péché est l’estompage de la vérité ; il cache la pureté de notre conscience. Dans le péché, nous aspirons à des plaisirs, non pas parce qu’ils sont véritablement désirables, mais parce qu’ils paraissent tels à la rouge lueur de nos passions. Nous désirons des objets non parce qu’ils sont grands en eux-mêmes, mais parce que nos appétits les magnifient et les font paraître grands. Ces exagérations, ces déformations de la perspective des choses rompent à chaque pas l’harmonie de notre vie ; nous perdons de vue la véritable échelle des valeurs, nous sommes distraits par les fausses prétentions des divers intérêts qui dans notre vie luttent les uns contre les autres. C’est par suite de cette incapacité à faire entrer tous les éléments de sa nature sous la direction unifiante du Suprême unique que l’homme ressent la douleur d’être séparé de Dieu et lance cet appel éperdu : « Ô Dieu, ô Père, balaie complètement tous mes péchés. » « Donne-nous ce qui est bon », le bien qui est le pain quotidien de notre âme. Dans nos plaisirs, nous sommes limités à nous-mêmes ; dans le bien, nous sommes libérés et nous appartenons à tous. De même que l’enfant dans le sein maternel est nourri par l’union de sa vie avec la vie plus vaste de la mère, de même notre âme est uniquement nourrie par le bien, qui est la reconnaissance de notre parenté intérieure, le canal par lequel l’âme communique avec l’infini qui l’entoure et la fait vivre. Aussi dit-on : « Heureux ceux qui ont faim et soif de justice, car ils seront rassasiés. » La justice en effet est la divine nourriture de l’âme. Rien d’autre ne peut alimenter l’homme, le faire vivre de la vie de l’infini, l’aider dans sa croissance vers l’éternel. « Nous nous prosternons devant Toi de qui viennent les jouissances de notre vie. » « Nous nous prosternons aussi devant Toi de qui vient le bien de notre âme. » « Nous nous prosternons devant Toi qui es le bien, le plus haut bien », en qui nous sommes avec tout ce qui est, dans la paix et l’harmonie, la bonté et l’amour.

Ce que l’homme appelle de toutes ses forces, c’est la réalisation de sa plus complète expression. C’est ce désir de s’exprimer qui le conduit à rechercher la richesse et la puissance. Mais il doit apprendre qu’accumuler n’est pas réaliser. Ce qui le révèle à lui-même, c’est la lumière intérieure, et non les objets extérieurs. Lorsque cette lueur jaillit, il sait instantanément que la plus haute révélation de l’Homme est la révélation de Dieu en lui. Et c’est cela qu’il appelle cette manifestation de son âme, qui est la manifestation de Dieu dans son âme. L’homme devient l’homme parfait et atteint sa plus pleine expression lorsque son âme se réalise dans l’Être infini qui est âvih, et dont l’essence même est expression.

La véritable misère de l’homme réside en ce fait qu’il n’est pas pleinement éclos, qu’il est masqué par son ego, perdu dans le labyrinthe de ses propres désirs. Il ne peut se sentir lui-même au-delà de ce qui limite sa personne, son plus grand moi est effacé, sa vérité n’est pas réalisée. Aussi la prière qui s’élève de tout son être est-elle : « Ô Toi ! qui es l’esprit de manifestation, manifeste-Toi en moi. » Cette aspiration à la parfaite expression de son moi est plus profondément inhérente en l’homme que sa soif et sa faim d’aliments matériels, son désir de richesses et d’honneurs. Et cette prière n’est pas née uniquement en l’homme individuel, elle vibre dans les profondeurs de toutes choses, elle est en l’homme l’appel incessant de l’âvih, de l’esprit de manifestation éternelle.

Ce n’est pas dans le firmament étoilé, ni dans la splendeur des corolles que se voit dans toute sa perfection la révélation de l’infini dans le fini, qui est le motif de toute création – c’est dans l’âme de l’homme. Là en effet la volonté cherche sa manifestation dans la volonté, et la liberté cueille ses ultimes lauriers dans la liberté de l’abandon.

C’est donc le moi de l’homme que le grand Roi de l’univers n’a pas relégué dans l’ombre de son trône ; il l’a laissé libre. Dans son organisme mental et physique, où il est relié à la nature, l’homme doit rendre hommage à son roi, mais dans son moi, il est libre de le renier. Là notre Dieu doit solliciter d’être admis ; il y vient en hôte et non pas en souverain, et il lui faut attendre d’être invité. C’est du moi de l’homme que Dieu a retiré Sa domination, parce qu’il y vient pour gagner notre amour. Ses forces armées, les lois de la nature, ne passent pas le seuil ; seule la beauté, messagère de Son amour, est admise dans le sanctuaire.

C’est la seule province de la volonté où l’anarchie soit autorisée ; c’est seulement dans le moi de l’homme que règne la discorde de l’erreur et de l’injustice. Et les choses peuvent en arriver à un point tel que nous nous écrions dans notre angoisse : « Un tel règne de l’injustice ne pourrait jamais exister s’il y avait un Dieu ! » En vérité Dieu S’est tenu à l’écart de notre moi, où Sa patience vigilante ne connaît pas de bornes, et où Il n’enfonce jamais les portes qu’on ferme devant Lui. Notre moi en effet doit parvenir à sa signification dernière, qui est l’âme, non pas par la coercition de la puissance de Dieu, mais par l’amour, et ainsi ne faire plus qu’un avec Dieu dans la liberté.

L’individu dont l’esprit est devenu un avec Dieu est pour nous la fleur suprême de l’humanité. En lui, l’homme découvre ce qu’il est en réalité ; l’âvih nous est révélé dans l’âme de l’homme comme la plus parfaite révélation de Dieu pour l’homme, et nous voyons l’union de la volonté suprême avec notre volonté, de notre amour avec l’amour immortel.

C’est pourquoi dans notre pays nous rendons à l’homme qui aime véritablement Dieu des hommages qu’en Occident on jugerait presque sacrilèges. En lui, nous voyons s’accomplir le désir de Dieu, nous voyons écarter le plus insurmontable des obstacles à la réalisation divine, nous voyons la parfaite joie de Dieu s’épanouir pleinement dans l’humanité. Et par lui nous trouvons le monde entier de l’homme comme tout imprégné d’une senteur divine.