Qu'importe un peu de nuit et de souffrance ?

La route est bonne et la mort est au bout.

Oui, garde toute espérance surtout.

La mort là-bas te dresse un lit de joie.

Et fais-toi doux de toute la douceur.

La vie est laide, encore c'est ta soeur.

Simple, gravis la côte et même chante,

Pour écarter la prudence méchante

Dont la voix basse est pour tenter ta foi.

Simple comme un enfant, gravis la côte, Humble comme un pécheur qui hait la faute, Chante, et même sois gai, pour défier

L'ennui que l'ennemi peut t'envoyer

Afin que tu t'endormes sur la voie.

Ris du vieux piège et du vieux séducteur, Puisque la Paix est là, sur la hauteur, Qui luit parmi des fanfares de gloire.

Monte, ravi, dans la nuit blanche et noire.

Déjà l'Ange Gardien étend sur toi

Joyeusement des ailes de victoire.

XXII

Pourquoi triste, à mon âme,

Triste jusqu'à la mort,

Quand l'effort te réclame,

Quand le suprême effort

Est là qui te réclame ?

Ah, tes mains que tu tords

Au lieu d'être à la tâche,

Tes lèvres que tu mords

Et leur silence lâche,

Et tes yeux qui sont morts !

N'as-tu pas l'espérance

De la fidélité,

Et, pour plus d'assurance

Dans la sécurité,

N'as-tu pas la souffrance ?

Mais chasse le sommeil

Et ce rêve qui pleure.

Grand jour et plein soleil !

Vois, il est plus que l'heure :

Le ciel bruit, vermeil,

Et la lumière crue

Découpant d'un trait noir

Toute chose apparue

Te montre le Devoir

Et sa forme bourrue.

Marche à lui vivement,

Tu verras disparaître

Tout aspect inclément

De sa manière d'être,

Avec l'éloignement.

C'est le dépositaire

Qui te garde un trésor

D'amour et de mystère,

Plus précieux que l'or,

Plus sûr que rien sur terre,

Les biens qu'on ne voit pas,

Toute joie inouïe,

Votre paix, saints combats,

L'extase épanouie

Et l'oubli d'ici-bas,

Et l'oubli d'ici-bas !

XXIII

Né l'enfant des grandes villes

Et des révoltes serviles,

J'ai là tout cherché, trouvé,

De tout appétit rêvé.

Mais, puisque rien n'en demeure,

J'ai dit un adieu léger

A tout ce qui peut changer,

Au plaisir, au bonheur même,

Et même à tout ce que j'aime

Hors de vous, mon doux Seigneur !

La Croix m'a pris sur ses ailes

Qui m'emporte aux meilleurs zèles,

Silence, expiation,

Et l'âpre vocation

Pour la vertu qui s'ignore.

Douce, chère Humilité,

Arrose ma charité,

Trempe-la de tes eaux vives.

O mon coeur, que tu ne vives

Qu'aux fins d'une bonne mort !

XXIV

L'âme antique était rude et vaine

Et ne voyait dans la douleur

Que l'acuité de la peine

Ou l'étonnement du malheur.

L'art, sa figure la plus claire,

Traduit ce double sentiment

Par deux grands types de la Mère

En proie au suprême tourment.

C'est la vieille reine de Troie :

Tous ses fils sont morts par le fer.

Alors ce deuil brutal aboie

Et glapit au bord de la mer.

Elle court le long du rivage,

Bavant vers le flot écumant,

Hirsute, criarde, sauvage,

La chienne littéralement !...

Et c'est Niobé qui s'effare

Et garde fixement des yeux

Sur les dalles de pierre rare

Ses enfants tués par les dieux.

Le souffle expire sur sa bouche,

Elle meurt dans un geste fou.

Ce n'est plus qu'un marbre farouche

Là transporté nul ne sait d'où !...

La douleur chrétienne est immense,

Elle, comme le coeur humain.

Elle souffre, puis elle pense,

Et calme poursuit son chemin.

Elle est debout sur le Calvaire

Pleine de larmes et sans cris.

C'est également une mère,

Mais quelle mère de quel fils !

Elle participe au Supplice

Qui sauve toute nation,

Attendrissant le sacrifice

Par sa vaste compassion.

Et comme tous sont les fils d'elle,

Sur le monde et sur sa langueur

Toute la charité ruisselle

Des sept blessures de son coeur.

Au jour qu'il faudra, pour la gloire

Des cieux enfin tout grands ouverts,

Ceux qui surent et purent croire,

Bons et doux, sauf au seul Pervers,

Ceux-là, vers la joie infinie

Sur la colline de Sion

Monteront d'une aile bénie

Aux plis de son assomption.