Elle avait en effet écarté les
filles de la maison proprement dites et leur avait préféré Clara, une nièce, plus démunie et plus à plaindre que les autres,
bien entendu : recueillie par une famille pauvre, elle était un fardeau de plus dans un foyer déjà surchargé et se trouvait
si bas dans l’échelle sociale que, malgré ses dons et ses aptitudes naturelles, elle envisageait pour l’avenir une situation
à peine au-dessus de celle de bonne d’enfants.
Clara était revenue avec elle et, par son bon sens et ses mérites, s’était à présent, selon toute apparence, gagné l’estime
de Lady Denham. Les six mois étaient passés depuis longtemps et pas une syllabe n’avait été dite à propos d’un quelconque
échange. Clara était adorée de tout le monde. Tous subissaient l’influence de sa conduite réglée et de son tempérament doux
et paisible. Les préjugés qu’elle avait d’abord rencontrés chez certains s’étaient dissipés. On la jugeait digne de confiance,
digne d’être la compagne qui pourrait guider Lady Denham, la rendre plus humaine, qui pourrait lui élargir l’esprit et lui apprendre la générosité. Elle était aussi
parfaitement aimable qu’elle était belle et, depuis qu’elle profitait de la brise de Sanditon, sa beauté s’était épanouie.
4
« Et à qui est cette maison qui paraît si confortable ? » demanda Charlotte alors qu’ils traversaient une dépression abritée
à une lieue de la mer, en passant près d’une propriété de taille moyenne, entourée d’une clôture et de nombreux arbres, riche
de ces jardins, vergers et prés qui sont les meilleurs embellissements d’une telle demeure. « Elle semble aussi agréable que
Willingden.
— Ah ! fit Mr. Parker. C’est mon ancienne maison, celle de mes ancêtres, la maison où nous sommes nés et où nous avons grandi,
mes frères, mes sœurs et moi-même, où sont nés les trois aînés de mes enfants, où Mrs. Parker et moi vivions encore il y a
deux ans, jusqu’à ce que notre nouvelle maison fût terminée. Je suis content qu’elle vous plaise. C’est une bonne vieille
demeure, que Hillier entretient très bien. Vous savez, je l’ai cédée à l’homme qui occupe la principale de mes terres. Pour
lui, c’est une meilleure maison, et j’ai gagné un meilleur emplacement ! Encore une colline, et nous serons à Sanditon, dans
la partie moderne, une bien belle ville. Autrefois, vous savez, on construisait toujours dans un trou. Nous étions là serrés
dans ce petit recoin fermé, sans air, sans vue, à une lieue seulement de la plus superbe partie de la côte entre le South Foreland et Land’s End, et sans en tirer le moindre
avantage. Vous ne trouverez pas que j’aie perdu au change quand nous atteindrons Trafalgar House, que je regrette presque
d’ailleurs d’avoir baptisée ainsi, car Waterloo est plus à la mode en ce moment. Cela dit, Waterloo est en réserve, et si
nous recevons cette année assez d’encouragements pour nous lancer dans une nouvelle construction (et je suis sûr que ce sera
le cas), nous pourrons l’appeler Waterloo Crescent, et ce nom, joint à la forme de croissant qui plaît toujours, nous assurera
des locataires. Les bonnes années, nous devrions avoir plus de demandes que nous ne pourrons en satisfaire.
— Ça a toujours été une maison bien confortable », dit Mrs. Parker avec une nuance de regret affectueux, en regardant son
ancien domicile par la vitre arrière. « Et un jardin si joli, si excellent.
— Oui, mon amie, mais nous pouvons dire que nous l’avons emporté avec nous. Comme jadis, il nous fournit tous les fruits et
les légumes dont nous avons besoin. Et nous profitons en fait de tous les bienfaits d’un excellent potager sans avoir, pour
l’œil, le déplaisir constant de ses alignements ou de voir la végétation pourrir. Qui peut supporter un carré de choux en
octobre ?
— Mon Dieu, oui. Nous sommes aussi riches qu’autrefois en produits du jardin, car si l’on oublie de nous en apporter, nous
pouvons toujours acheter ce qu’il nous faut à Sanditon House. Leur jardinier se fait un plaisir de nous en fournir. Mais les
enfants aimaient tellement y courir ! L’ombre y était si fraîche, l’été !
— Mon amie, nous aurons assez d’ombre sur la colline, et plus qu’assez, d’ici bien peu d’années. La croissance de mes plantations
étonne tout le monde. En attendant, nous avons l’auvent de toile qui nous donne le plus parfait confort à l’intérieur. Et
vous pouvez quand vous le voudrez acheter une ombrelle chez Whitby pour la petite Mary ou un grand chapeau chez Jebb. Quant
aux garçons, je dois dire que j’aimerais mieux les voir courir au soleil. Je suis sûr que, comme moi, mon amie, vous souhaitez
qu’ils soient aussi robustes que possible.
— Certes oui, je le souhaite.
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