Et j’achèterai à Mary une petite ombrelle, dont elle sera bien fière. Elle se promènera toute sérieuse et se croira une vraie petite femme. Oh, je ne doute pas un instant que nous ne soyons bien mieux là où nous sommes à présent. Si l’un de nous veut se baigner, il n’y a pas un quart de mile à parcourir. Mais vous savez, ajouta-t-elle en regardant de nouveau par la vitre arrière, on aime revoir ses vieux amis, les lieux où l’on fut heureux. Les Hillier n’ont nullement paru souffrir des tempêtes, l’hiver dernier. Je me rappelle avoir vu Mrs. Hillier après l’une de ces affreuses nuits où nous avions été littéralement secoués dans notre lit, elle ne semblait pas savoir que le vent soufflait plus que d’ordinaire.

— Oui, oui, c’est assez probable. Nous avons toute la grandeur des tempêtes avec moins de danger réel parce que le vent, qui ne rencontre autour de notre maison rien qui lui résiste ni qui l’emprisonne, se déchaîne puis poursuit son chemin, simplement ; alors qu’en bas, dans ce fossé, on ignore tout de l’état de l’air sous le sommet des arbres, et les habitants peuvent être entièrement surpris par l’une de ces terribles bourrasques qui font plus de ravages lorsqu’elles se lèvent dans une vallée que n’en fait la pire rafale en terrain découvert. Quant aux produits du jardin, ma chère amie, vous disiez que tout oubli accidentel est aussitôt réparé par le jardinier de Lady Denham. Mais il me vient à l’esprit que nous devrions nous adresser ailleurs en de telles occasions et que le vieux Stringer et son fils peuvent mieux y prétendre. Je l’ai encouragé à s’installer, vous le savez, et je crains que ses affaires n’aillent pas fort bien. C’est-à-dire qu’il ne s’est pas encore écoulé assez de temps. Ses affaires iront très bien, c’est certain. Mais il faut d’abord lutter et nous devrons donc lui donner toute l’aide que nous pourrons — quand nous aurons besoin de légumes ou de fruits, et il sera bon d’en avoir souvent besoin, d’avoir oublié telle ou telle chose la plupart du temps, de n’avoir qu’une provision théorique pour que ce pauvre vieil Andrew ne perde pas son emploi quotidien. Nous devrons en fait acheter l’essentiel de notre consommation aux Stringer.

— Fort bien, mon ami, cela peut se faire sans peine. La cuisinière en sera bien aise, ce qui sera une grande satisfaction, car elle se plaint désormais sans cesse du vieil Andrew, qui ne lui apporte jamais ce qu’elle veut. Ça y est, on ne voit plus la vieille maison. Votre frère Sidney ne disait-il pas que c’est un hôpital, à présent ?

— Ma chère Mary, ce n’était qu’une plaisanterie. Il feint de me conseiller d’en faire un hôpital. Il feint de rire de mes améliorations. Sidney dit toutes sortes de choses, vous le savez. Il a toujours dit ce qui lui plaisait, à nous tous et sur notre compte à tous. La plupart des familles comptent un tel membre, je crois, Miss Heywood. Il y a dans la plupart des familles quelqu’un à qui ses facultés supérieures donnent le droit de tout dire. Chez nous, c’est Sidney, qui est un jeune homme fort habile et doté d’une grande capacité de plaire. Il vit trop dans le monde pour s’établir, c’est son seul défaut. Il est ici, là et partout. J’aimerais le faire venir à Sanditon. Je voudrais que vous le connaissiez. Et ce serait un tel atout pour la ville ! Un jeune homme comme Sidney, avec son superbe attelage et son air à la mode ! Vous et moi, Mary, nous savons l’effet que cela pourrait avoir. Plus d’une famille respectable, plus d’une mère attentive, plus d’une jolie demoiselle nous choisiraient au détriment de Eastbourne et de Hastings. »

Ils s’approchaient maintenant de l’église et du vieux village de Sanditon, situé au pied de la colline qu’ils devaient ensuite gravir. Les bois et les enclos de Sanditon House couvraient le flanc de cette colline dont les hauteurs se terminaient en une dune ouverte où apparaîtraient bientôt les nouveaux bâtiments. Une des branches de la vallée, qui serpentait en oblique vers la mer, servait de passage à un cours d’eau insignifiant et formait à son embouchure une troisième zone habitable, un petit bouquet de maisons de pêcheurs.