À l’origine, le village ne comptait guère que des chaumières, mais l’esprit du jour y avait soufflé, comme Mr. Parker eut plaisir à le faire remarquer à Charlotte, et deux ou trois des plus belles s’ornaient d’un rideau blanc et de l’écriteau « Chambres à louer ». Plus loin, sur la petite pelouse d’une vieille ferme, on pouvait voir deux femmes élégamment vêtues de blanc, munies de livres et de pliants. En tournant au coin de la boulangerie, on entendait le son d’une harpe venu d’une fenêtre, à l’étage.

Ces visions et ces sons plongeaient Mr. Parker dans le ravissement. Il n’avait pourtant aucun intérêt personnel en jeu dans le succès du village, car il le considérait comme trop éloigné de la plage et n’y avait donc rien entrepris, mais c’était une preuve précieuse de la popularité croissante de tout le site. Si même le village exerçait une attraction, la colline pourrait bientôt se remplir. Il prévoyait une saison formidable. À la même époque, l’année précédente, à la fin de juillet, il n’y avait pas eu un seul locataire au village ! Et il ne pouvait se souvenir d’aucun autre durant tout l’été, à part une famille nombreuse qui était venue de Londres pour prendre l’air marin après la coqueluche des enfants et dont la mère refusait qu’ils approchassent du rivage de peur de les voir tomber à l’eau.

« La civilisation, vous dis-je, la civilisation ! cria Mr. Parker, enchanté. Regardez, Mary, ma bonne, regardez les vitrines chez William Heeley. Des chaussures bleues et des bottines de nankin ! Qui se serait attendu à voir cela chez un cordonnier du vieux village ? C’est une nouveauté du mois. Il n’y avait pas de chaussures bleues quand nous sommes passés par ici il y a un mois. Voilà qui est fameux ! Eh bien, je pense que j’ai fait quelque chose dans ma vie. Maintenant, en route vers notre colline, notre vivifiante colline. »

En grimpant, ils passèrent devant le pavillon d’entrée de Sanditon House et aperçurent les toits de la maison proprement dite parmi les futaies. C’était le dernier bâtiment ancien dans cette partie de la paroisse. Un peu plus haut, les constructions modernes commençaient et, en traversant le plateau, Perspective House, Bellevue Cottage et Denham Place purent être contemplés par Charlotte avec une curiosité amusée et par Mr. Parker de l’œil passionné d’un homme qui espérait ne voir aucune maison vide. Plus d’écriteaux aux fenêtres qu’il ne l’avait escompté, moins de gens visibles sur la colline, moins de voitures, moins de promeneurs. Il s’était imaginé qu’il était précisément l’heure où tous s’en revenaient dîner après avoir pris l’air, mais la plage et l’Esplanade attiraient toujours quelques personnes et la marée montait ; elle était à mi-course. Il tardait à Mr. Parker d’être à la plage, parmi les falaises, chez lui et partout ailleurs tout à la fois. Son enthousiasme s’accrut à la vue de la mer et il lui semblait déjà sentir sa cheville devenir plus forte.

Trafalgar House, située sur le point le plus élevé de la colline, était un bâtiment noble et gracieux, entouré d’une petite pelouse et d’une très jeune plantation, à une centaine de mètres du bord d’une falaise escarpée mais pas très haute ; aucune construction ne s’en approchait davantage, excepté une courte rangée de maisons élégantes, bordée d’une large avenue appelée l’Esplanade, qui ambitionnait de devenir la promenade à la mode. Là se trouvaient la bibliothèque et la meilleure boutique de modiste ; un peu à l’écart, l’hôtel et la salle de billard. C’est là que commençait la descente vers la plage et les cabines de bain. C’était donc le lieu préféré de la beauté et de la mode.

À Trafalgar House, qui s’élevait à quelque distance derrière l’Esplanade, les voyageurs furent déposés sains et saufs ; tout n’était que bonheur et joie entre papa, maman et leurs enfants. Pour sa part, Charlotte, ayant pris possession de sa chambre, trouva une distraction suffisante, debout à la vaste fenêtre vénitienne, à contempler par-delà les différents bâtiments inachevés le linge qui voltigeait et le sommet des maisons, jusqu’à la mer qui dansait et scintillait sous le soleil, dans la fraîcheur.

5

Lorsqu’ils se retrouvèrent avant le dîner, Mr. Parker regardait le courrier.

« Pas un mot de Sidney ! s’exclama-t-il. C’est un paresseux. Je lui ai envoyé de Willingden un récit de mon accident et je pensais qu’il aurait daigné me répondre. Mais peut-être est-ce le signe qu’il vient en personne. Je veux l’espérer. Mais voici une lettre d’une de mes sœurs. Elles, du moins, ne m’oublient jamais. Les femmes sont les seules à qui l’on peut se fier en matière de correspondance. Voyons, Mary, dit-il en souriant à sa femme, avant que je ne l’ouvre, devinons l’état de santé de ceux qui nous l’envoient, ou plutôt ce que Sidney en dirait s’il était ici.