Sidney est un impertinent, Miss Heywood. Et
il faut vous dire que, selon lui, les douleurs de mes deux sœurs sont en grande partie imaginaires. Mais ce n’est pas vrai,
ou si peu. Leur santé est déplorable, comme vous nous l’avez souvent entendu dire, et elles sont sujettes à toutes sortes
de troubles très graves. En fait, je crois bien qu’elles ne savent pas ce que c’est qu’un jour de santé. Et en même temps,
ce sont d’excellentes femmes, si utiles, elles ont une telle force de caractère que lorsqu’il y a une bonne action à accomplir,
elles se poussent à des efforts qui paraissent extraordinaires à ceux qui ne les connaissent pas parfaitement. Mais il n’y a vraiment aucune affectation
en elles, vous savez. Simplement, leur constitution est plus faible et leur esprit plus solide que chez la plupart des gens,
ensemble ou séparément. Quant à notre jeune frère, qui vit avec elles et qui a vingt ans à peine, je regrette d’avoir à dire
qu’il est presque aussi malade qu’elles. Il est si fragile qu’il ne peut exercer aucun emploi. Sidney se moque de lui. Mais
il n’y a réellement pas de quoi plaisanter, même si Sidney me fait souvent rire d’eux tous malgré moi. Maintenant, s’il était
là, je sais qu’il parierait que, d’après cette lettre, Susan, Diana ou Arthur ont été à deux doigts de mourir le mois dernier. »
Ayant parcouru la lettre, il agita la tête et annonça :
« Aucun espoir de les voir à Sanditon, malheureusement. De bien piètres nouvelles en vérité. Je suis sérieux, de bien piètres
nouvelles. Mary, vous serez fort désolée d’apprendre combien ils ont souffert et souffrent encore. Miss Heywood, si vous me
le permettez, je vais lire à haute voix la lettre de Diana. J’aime que mes amis se connaissent entre eux et je crains que
ce ne soit pour moi le seul moyen de vous les faire connaître. Je n’ai aucun scrupule pour Diana, car ses lettres la montrent
exactement telle qu’elle est, l’être le plus actif, le plus affectueux et le plus aimable qui existe, et ne peuvent donc créer
qu’une impression favorable. »
Il lut :
Mon cher Tom, votre accident nous rend tous bien tristes, et si vous n’aviez pas affirmé être tombé en de si bonnes mains,
je me serais mise en route contre vents et marées dès réception de votre lettre, bien que je fusse alors sous le coup, plus grave qu’à l’accoutumée, d’une attaque de mon vieux mal, la bile spasmodique, qui
me permettait à peine de me traîner de mon lit au sofa. Mais comment vous a-t-on traité ? Envoyez-moi plus de détails dans
une prochaine lettre. S’il ne s’agit que d’une foulure, comme vous l’appelez, rien n’aurait été mieux venu qu’une friction,
de la main seule, si elle avait pu être appliquée aussitôt. Il y a deux ans, j’allais chez Mrs. Sheldon lorsque son cocher
se foula la cheville en nettoyant la voiture ; il put à grand-peine atteindre la maison en boitant, mais par le recours immédiat
à une simple friction acharnée (et je passai six heures à lui frotter la cheville sans relâche), il fut remis en trois jours.
Mille mercis, cher Tom, pour votre gentillesse envers nous, qui sommes largement responsables de votre accident. Je vous en
supplie, ne risquez plus jamais de tels dangers pour nous trouver un apothicaire car, quand bien même vous auriez établi le
plus habile homme à Sanditon, ce ne serait pas pour nous une recommandation. Nous en avons bien fini de toute la race des
médecins. Nous avons consulté en vain docteur après docteur, et nous sommes à présent convaincus qu’ils ne peuvent rien pour
nous et que nous devons nous fier, pour trouver soulagement, à notre propre connaissance de nos misérables constitutions.
Mais s’il vous semble bon, dans l’intérêt du lieu, de faire venir un médecin, je me chargerai bien volontiers de vous en trouver
un, sans douter un instant d’y réussir. Je pourrais bien vite mettre les fers nécessaires sur le feu. Quant à aller à Sanditon
moi-même, c’est tout à fait impossible. Je regrette de devoir dire que je n’ose pas tenter ce voyage mais, ainsi que mes pressentiments ne me l’apprennent que trop, dans mon état présent, l’air de
la mer me serait probablement fatal. Ni l’un ni l’autre de mes chers compagnons ne souhaite me quitter, sans quoi j’insisterais
pour qu’ils aillent passer chez vous deux semaines. Mais à la vérité, je ne crois pas que les nerfs de Susan résisteraient
à cet effort.
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