Un an après cette découverte, Winston Churchill l’Américain prit même l’initiative d’offrir un grand banquet en l’honneur de Winston Spencer Churchill lors de sa visite à Boston. Longtemps après, ce dernier se souvenait encore qu’une certaine confusion avait subsisté entre eux : « Tout mon courrier fut expédié à son adresse, et ce fut moi qui reçus la note du dîner. Inutile de dire que ces deux erreurs furent promptement réparées. »

 

Pierre ASSOULINE

1. Winston Churchill, Mes jeunes années (My early life : A roving commission, 1930, traduit de l’anglais par Jean Rosenthal, Tallandier, 2007).

2. Intervention d’Anthony Rowley, in À la recherche de Winston Churchill, dir. Pierre Assouline, Perrin/France-Culture, 2011.

3. François Kersaudy, Winston Churchill. Le pouvoir de l’imagination , Tallandier, 2000 ; nouvelle édition revue et augmentée, Tallandier, 2009.

4. « Books : his own », in Churchill’s wit. The definitive collection , Richard M. Langworth editor, Ebury Press, 2009.

5. « Book composition », ibid.

6. « Books : his own », op. cit.

7. http://savrola.co.uk/

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UN ÉVÉNEMENT D’IMPORTANCE POLITIQUE

Il y avait eu une grosse averse, mais le soleil brillait à présent à travers les nuages et jetait des ombres changeantes sur les rues, les maisons et les jardins de la ville de Lauranie. Partout des reflets luisaient ; la poussière avait été balayée ; l’air était frais ; les arbres verdoyaient avec une sorte de reconnaissance, semblait-il. C’était la première pluie après les chaleurs de l’été, et elle marquait le début de cette délicieuse saison d’automne qui a fait de la capitale lauranienne le refuge des artistes, des malades et des sybarites.

L’averse avait été violente. Mais elle n’avait pourtant pas dispersé les groupes assemblés sur la grand-place, devant la Chambre des députés. Si la pluie avait été accueillie avec joie, les regards de chacun restaient néanmoins chargés de colère et d’inquiétude : l’eau avait trempé les gens sans calmer les excitations. Il était évident qu’un événement considérable se préparait. La superbe bâtisse où les représentants du peuple allaient se rassembler paraissait auréolée d’une sombre importance que ne dissipaient pas les trophées et les statues dont un peuple ancien et amateur d’art avait décoré la façade. Un escadron de lanciers de la garde républicaine s’alignait au pied du grand escalier tandis que, face à l’entrée, un important corps d’infanterie avait dégagé un vaste espace libre. Derrière les soldats, il y avait le peuple. Sur la place, dans les rues avoisinantes, partout il y avait des gens, même jusque sur le sommet des monuments élevés par le bon goût et l’orgueil de la République à la mémoire de ses anciens héros, et qui ne ressemblaient plus qu’à des monticules d’êtres vivants. Les arbres aussi avaient trouvé des occupants, tandis que toutes les fenêtres et même les toits des maisons qui donnaient sur la place étaient envahis de spectateurs ; c’était une multitude énorme, vibrante d’excitation. Les passions sauvages s’enflent parmi la foule comme les bourrasques balayent une mer démontée. Çà et là, un homme, grimpé sur les épaules de ses compagnons, haranguait ceux que sa voix pouvait atteindre, et il suffisait d’une acclamation ou d’un cri pour que des milliers de voix les reprennent en chœur, sans que personne ait pu entendre les paroles semées au vent : il importait seulement de manifester bruyamment ses sentiments.

 

C’était un grand jour dans l’histoire de la Lauranie. Pendant cinq longues années, depuis la fin de la guerre civile, le peuple avait supporté l’offense d’un régime autocratique. Le fait que le gouvernement était fort, de même que le souvenir des désordres du passé, tout cela avait puissamment influé sur les esprits des citoyens les plus modérés. Pourtant, dès le début, il y avait eu des murmures. Beaucoup d’hommes avaient été du parti vaincu au cours de la longue lutte qui s’était terminée par la victoire du président Antonio Molara. Certains avaient été blessés ou avaient vu leurs biens confisqués ; d’autres avaient été emprisonnés, d’autres, enfin, avaient perdu des amis ou des parents, qui, à leur dernier souffle, avaient imploré que l’on continuât la lutte sans compromis. Le gouvernement avait commencé sa tâche avec des ennemis implacables et son attitude avait été rude et tyrannique. L’ancienne Constitution, à laquelle les citoyens étaient si fortement attachés et dont ils montraient tant de fierté, avait été renversée. Le président, alléguant la supériorité de la sédition, avait refusé d’inviter le peuple à envoyer des représentants à cette Chambre qui, pendant des siècles, avait été considérée comme le plus sûr rempart des libertés populaires. Aussi le nombre des mécontents s’accroissait-il jour après jour, année après année. Le parti national, constitué à l’origine d’un petit nombre de survivants du parti défait, avait grossi jusqu’à devenir la faction la plus nombreuse et la plus puissante de la nation ; et, surtout, ils avaient trouvé un chef.