Mais il est passé, maintenant…
— J’ai vécu une heure dans une telle anxiété, dit-elle, puis, apercevant son visage meurtri, elle sursauta : Mais vous êtes blessé ?…
— Ce n’est rien… Ils ont jeté des pierres. Nous avons tiré quelques balles, c’est un meilleur argument.
— Que s’est-il passé au Sénat ?
— Je m’attendais à des troubles. Je leur ai dit, dans mon discours, que, bien que les affaires de l’État ne fussent pas réglées, nous avions décidé de restaurer l’ancienne Constitution. Mais, néanmoins, qu’il était nécessaire de purger le registre des révolutionnaires et des rebelles. Le maire sortit alors le registre et ils se précipitèrent tous pour voir quel était le corps électoral. Lorsqu’ils virent combien il était réduit, ils furent pris de fureur. Godoy en avait perdu l’usage de la parole. Cet homme est un idiot. Louvet leur annonça que cela ne représentait qu’un minimum ; qu’au fur et à mesure du rétablissement de l’ordre, nous étendrions le droit de vote ; mais ils ont poussé des hurlements de fureur. En vérité, sans les huissiers et quelques hommes de la garde, je crois bien qu’ils m’auraient attaqué, là, dans la Chambre. Moret m’a menacé du poing – ce ridicule petit imbécile – et il s’est précipité dehors pour haranguer la foule.
— Et Savrola ?
— Oh ! Savrola resta calme. Il riait en voyant le registre. « Ce n’est qu’une question de quelques mois, dit-il, je suis étonné que vous pensiez que cela en vaille la peine. » Je lui dis alors que je ne comprenais pas, mais il n’avait pas tort.
Il prit la main de sa femme et gravit l’escalier lentement, plongé dans ses pensées.
Il y a peu de repos pour un homme politique pendant une époque de désordre civil. À peine Molara avait-il atteint les derniers degrés qu’un homme s’avança à sa rencontre. Il était petit, sombre et très laid, avec une figure ridée par l’âge et la vie sédentaire. Sa pâleur contrastait avec sa chevelure et sa courte moustache de ce noir violacé que la nature elle-même ne peut imiter. Il tenait dans sa main une liasse épaisse de papiers,
soigneusement classés entre ses doigts longs et délicats. C’était le secrétaire particulier de Molara.
— Qu’y a-t-il, Miguel ? demanda le président. Avez-vous quelques papiers à me communiquer ?
— Oui, monsieur, quelques minutes suffiront. Vous avez eu une journée agitée. Je me réjouis qu’elle se soit bien terminée.
— Elle n’a pas manqué d’intérêt, dit Molara avec lassitude. Avez-vous quelque chose pour moi ?
— Plusieurs dépêches étrangères. La Grande-Bretagne a envoyé une note concernant la sphère d’influence du sud de la Colonie africaine ; notre ministre des Affaires étrangères a rédigé un projet de réponse.
— Ah ! ces Anglais, si cupides, si dominateurs ! Mais nous devons être fermes ; je sauvegarderai les territoires de la République contre tout ennemi, qu’il soit intérieur ou extérieur. Nous ne pouvons envoyer d’armées, mais, Dieu merci, nous pouvons expédier des dépêches… Est-ce assez violent ?…
— Votre Excellence n’a aucune crainte à avoir. Nous avons défendu nos droits de la façon la plus catégorique ; ce sera une grande victoire morale.
— J’espère que nous en tirerons aussi des avantages matériels. Le pays est riche, il y a de l’or… Cela explique la note. Évidemment, nous devons répondre sévèrement… Quoi d’autre ?
— Quelques papiers relatifs à l’armée, nominations et promotions, dit Miguel en montrant le paquet de papiers qu’il tenait entre le pouce et l’index. Ces sentences à confirmer, un projet du budget Morgon, afin d’avoir votre avis et vos directives, et une ou deux choses moins importantes…
— Hm… Un long travail… Très bien, je viens, nous allons voir cela. Très chère, vous savez combien je suis
occupé. Nous nous verrons ce soir au dîner.
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