Lui aussi a sa pancarte. Il l’accroche à sa porte avant de la refermer brutalement. On peut y lire :

 

fermée pour cause de chagrin d’amour

 

Les jours passent. L’été s’achève. Arlequin et Colombine continuent à parcourir le pays. Mais leur bonheur n’est plus le même. De plus en plus souvent maintenant, c’est Colombine qui traîne la roulotte tandis qu’Arlequin s’y repose. Puis le temps se gâte. Les premières pluies d’automne crépitent sur leur tête. Leurs beaux costumes bariolés commencent à déteindre. Les arbres deviennent roux, puis perdent leurs feuilles. Ils traversent des forêts de bois mort, des champs labourés bruns et noirs.

 

Et un matin, c’est le coup de théâtre ! Toute la nuit le ciel s’est empli de flocons voltigeants. Quand le jour se lève, la neige recouvre toute la campagne, la route, et même la roulotte. C’est le grand triomphe du blanc, le triomphe de Pierrot. Et comme pour couronner cette revanche du mitron, ce soir-là une lune énorme et argentée flotte au-dessus du paysage glacé.

 

Colombine pense de plus en plus souvent à Pouldreuzic, et aussi à Pierrot, surtout quand elle regarde la lune. Un jour un petit papier s’est trouvé dans sa main, elle ne sait pas comment. Elle se demande si le mitron est passé par là récemment pour déposer ce message. En réalité il l’a écrit pour elle et attaché à l’un des montants de l’échafaudage devenu l’une des pièces de la roulotte. Elle lit :

 

Colombine !

 

Ne m’abandonne pas ! Ne te laisse pas séduire par les couleurs chimiques et superficielles d’Arlequin ! Ce sont des couleurs toxiques, malodorantes et qui s’écaillent. Mais moi aussi j’ai mes couleurs. Seulement ce sont des couleurs vraies et profondes.

 

Écoute bien ces merveilleux secrets :

Ma nuit n’est pas noire, elle est bleue ! Et c’est un bleu qu’on respire.

Mon four n’est pas noir, il est doré ! Et c’est un or qui se mange.

La couleur que je fais réjouit l’œil, mais en outre elle est épaisse, substantielle, elle sent bon, elle est chaude, elle nourrit.

 

Je t’aime et je t’attends,

 

Pierrot

 

Une nuit bleue, un four doré, des couleurs vraies qui se respirent et qui nourrissent, c’était donc cela le secret de Pierrot ? Dans ce paysage glacé qui ressemble au costume du mitron, Colombine réfléchit et hésite. Arlequin dort au fond de la roulotte sans penser à elle. Tout à l’heure, il va falloir remettre la bricole qui lui meurtrit l’épaule et la poitrine pour tirer le véhicule sur la route gelée. Pourquoi ? Si elle veut retourner chez elle, qu’est-ce qui la retient auprès d’Arlequin puisque les belles couleurs ensoleillées qui l’avaient séduite sont fanées ? Elle saute hors du véhicule. Elle rassemble son baluchon, et la voilà partie d’un pied léger en direction de son village.

Elle marche, marche, marche, la petite Colombine-Arlequine dont la robe a perdu ses brillantes couleurs sans être redevenue blanche pour autant. Elle fuit dans la neige qui fait un doux frou-frou froissé sous ses pieds et frôle ses oreilles : fuite-frou-fuite-frou-fuite-frou… Bientôt elle voit dans sa tête une quantité de mots en F qui se rassemblent en une sombre armée, des mots méchants : froid, fer, faim, folie, fantôme, faiblesse. Elle va tomber par terre, la pauvre Colombine, mais heureusement un essaim de mots en F également, des mots fraternels, vient à son secours, comme envoyés par Pierrot : fumée, force, fleur, feu, farine, fournil, flambée, festin, féerie…

Enfin elle arrive au village. C’est la pleine nuit. Tout dort sous la neige. Neige blanche ? Nuit noire ? Non.