On ne pouvait servir la reine Flavie avec un demi-dévouement.
II – Une gare sans fiacres.
Les arrangements pour ma rencontre avec M. Rassendyll avaient été pris soigneusement par correspondance, avant son départ d’Angleterre. Il devait être à l’hôtel du Lion d’Or à onze heures du soir, le 15 octobre. Je comptais arriver à la ville, entre huit et neuf heures, le même soir, me rendre à un autre hôtel et, sous prétexte d’aller faire mon tour, me glisser dehors et rejoindre Rodolphe à l’heure convenue. Je ferais alors ma commission, recevrais sa réponse et jouirais du rare plaisir d’une longue conversation avec lui. Le lendemain matin, de bonne heure, il quitterait Wintenberg, et je reprendrais le chemin de Strelsau. Je savais qu’il serait exact au rendez-vous et j’étais certain de pouvoir être tout à fait fidèle au programme. Néanmoins, j’avais pris la précaution d’obtenir un congé de huit jours, en cas d’accident imprévu qui retarderait mon retour. Persuadé que j’avais prévu tout ce qui pourrait empêcher une erreur ou un accident, je pris le train dans un état d’esprit assez calme. La boîte était dans ma poche intérieure, la lettre dans un porte-monnaie. Je les sentais sous ma main. Je n’étais pas en uniforme, mais je pris mon revolver. Bien que je n’eusse aucune raison de prévoir des difficultés, je n’oubliais pas que ce que je portais devait être protégé à tout hasard et à tout prix.
L’ennuyeuse nuit de voyage s’écoula. Au matin, Bauer vint me retrouver, fit son petit service, remit mon sac de voyage en ordre, me procura du café, puis me quitta.
Il était alors environ huit heures. Nous étions arrivés à une station de quelque importance et ne devions repartir que vers midi. Je vis Bauer entrer dans son compartiment de seconde classe et je m’installai dans mon coupé. Ce fut à ce moment, je crois, que le souvenir de Rischenheim me revint à l’esprit, et je me surpris à me demander pourquoi il s’attachait à la pensée sans espoir de faire revenir Rupert et quelle affaire pouvait lui avoir fait quitter Strelsau. Mais je n’arrivai à aucune conclusion et, fatigué d’une nuit presque sans sommeil, je m’assoupis bientôt. Étant seul dans le coupé, je pouvais dormir sans crainte ni danger. Je fus éveillé dans l’après-midi par un arrêt. De nouveau, je vis Bauer.
Après avoir pris un potage, j’allai au télégraphe pour envoyer une dépêche à ma femme ; non seulement elle en serait rassurée, mais elle pourrait instruire la Reine du cours satisfaisant de mon voyage. En entrant au bureau, je rencontrai Bauer qui en sortait. Il parut un peu troublé de notre rencontre, mais il m’expliqua avec assez de sang-froid qu’il venait de télégraphier à Wintenberg pour y retenir des chambres, précaution bien inutile, car il était fort peu probable que l’hôtel fût plein. Par le fait, j’en fus plutôt ennuyé, car je désirais surtout ne pas appeler l’attention sur mon arrivée.
Toutefois, le mal était fait et j’aurais pu l’aggraver par des reproches ; mon domestique, étonné, se serait peut-être mis à chercher la raison qui me faisait désirer le mystère. Je ne lui dis donc rien et passai en lui adressant un simple signe de tête. Quand tout me fut révélé, j’eus des raisons de croire qu’outre sa dépêche à l’hôtelier, Bauer en avait envoyé une autre, dont je n’avais ni soupçonné la nature ni le destinataire.
Il y eut encore un arrêt avant d’arriver à Wintenberg. Je mis la tête à la portière et vis Bauer debout, près du wagon aux bagages. Il accourut avec empressement et me demanda si j’avais besoin de quelque chose. « Rien, » répondis-je. Mais au lieu de s’éloigner, il se mit à me parler. Ennuyé de sa conversation, je repris ma place et attendis avec impatience le départ du train qui eut lieu au bout de cinq minutes.
« Dieu soit loué ! » m’écriai-je, en m’installant confortablement ; je tirai un cigare de mon étui.
Mais un instant après, le cigare roula par terre, car je m’étais levé précipitamment pour courir à la portière.
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