Du reste, il eût éprouvé quelque difficulté à commenter la situation, et jugeant le silence plus convenable et plus commode, il se tut.

Dans le train, il la regarda qui dormait et ne retrouva pas le visage gracieux de la belle Angélis. Mais, une fois près d’elle, dans la chambre conjugale, un élan imprévu le souleva. Il la saisit entre ses bras et avec des mots qu’il n’avait jamais prononcés, il l’étreignit d’une façon qui la surprit.

Les jours suivants, ils ne parlèrent pas davantage. Gustave pensait beaucoup au cachet de cinq cents francs et à l’emploi qu’en ferait Ernestine. Le premier du mois qui vint, elle lui dit :

— Nos affaires ne vont pas mal. Si l’on achetait les Clématites, qui sont à vendre ?

La propriété des Clématites englobait presque le pauvre terrain qu’ils occupaient, et parfois, ils avaient formulé le vœu de l’acquérir. Elle donna tous ses billets de banque à Gustave qui, le jour même acheta les Clématites et ils s’y installèrent le dimanche.

La vie prit pour eux une douceur particulière. Désormais, Gustave assista chaque samedi aux représentations. Il louait un fauteuil, braquait sa lorgnette, et ne quittait pas des yeux le corps splendide de sa femme, ce qu’il n’eût pas eu l’idée de faire aux heures d’intimité. Durant les entractes, il s’insinuait parmi les groupes et tressaillait d’aise quand un admirateur de la belle Angélis vantait sa gorge merveilleuse et ses hanches irréprochables. Toujours pas la moindre jalousie d’ailleurs ni la moindre défiance à l’égard d’Ernestine. Pour se rendre compte plutôt que pour la surveiller, il passa toute une représentation dans les coulisses, et constata qu’au sortir de la scène, Ernestine s’enveloppait pudiquement d’un manteau, comme si les regards l’eussent soudain effarouchée.

Un soir, il rencontra deux personnes de Vaucresson qui lui serrèrent énergiquement la main, en manière de félicitation. L’événement du reste commençait à être connu dans la région, et l’on venait au music-hall pour voir la femme, toute nue, de ce brave monsieur Bréaume. Peut-être les hommes lançaient-ils en arrière quelques plaisanteries égrillardes. Mais, vis-à-vis de Gustave, on se tenait très bien. Les formes d’Ernestine et le cachet de cinq cents francs imposaient de la déférence, et tout le monde approuvait la conduite et enviait le sort des deux époux, que leur réussite ne grisait pas et qui demeuraient sans morgue ni prétentions.

Ils auraient acquis certainement une jolie fortune, et eussent pu, le moment venu, acheter une ravissante roseraie contiguë aux Clématites, si Gustave, jadis si réservé, n’avait cédé trop souvent à ses légitimes transports. Ernestine tomba enceinte.

Elle ne lui fit aucun reproche et abandonna, quand il le fallut, l’emploi de la belle Angélis. Mais ils tenaient tellement à la roseraie mitoyenne qu’au jour où les ravages de la maternité se furent atténués, Ernestine parut dans une nouvelle revue. Rôle plus modeste, rôle de figurante qui convenait mieux à son corps alourdi, mais dont les bénéfices permirent au ménage de se payer leur fantaisie.

Ce fut la dernière. Les coupables, et si excusables, faiblesses de Gustave contraignirent sa femme à une nouvelle retraite. Elle mit au monde une seconde fille. Après quoi, elle dut s’avouer que toute exhibition devenait impossible. Elle y renonça. S’il y avait au fond d’eux d’autres rêves et d’autres ambitions, ils les abandonnèrent sans regret ni effort.

Et ainsi se termina la vie éphémère de la belle Angélis. Il n’en fut jamais question entre eux, bien qu’ils n’eussent pu dire la raison de leur silence. L’aventure avait commencé tout naturellement ; elle finit sans qu’il leur parût que le dénouement fût un désastre. C’étaient de ces gens très simples qui accueillent avec tranquillité la faveur du destin et qui ne se croient pas disgraciés quand il cesse de leur sourire. Deux photographies de femme nue ornent les murs de leur salon. Le jour où les enfants deviendront des fillettes, on reléguera la belle Angélis au fond d’un tiroir, et personne n’y songera plus.

 

Volupté

Un peu avant la fin du dîner, Natalie Helmans, qui passait la soirée au théâtre, se leva de table et partit sans dire adieu à son mari.

Ce n’était point là le signe d’un malentendu passager, mais l’affirmation toute naturelle d’un état de choses qui remontait aux premiers jours du mariage… on pourrait dire à la première nuit. La rupture avait eu lieu dès l’instant même de l’union nuptiale par la faute de Georges Helmans, qui, trop amoureux de sa femme, s’était montré brutal et maladroit.