Blessée moralement et physiquement, Natalie gardait de ces quelques heures une telle impression d’effarement qu’elle n’avait jamais pu pardonner. Les deux époux n’eurent aucune explication. Chacun d’eux vécut désormais l’existence qui lui plut, sans qu’aucun d’eux demandât à l’autre le moindre compte.
Georges Helmans partagea son temps entre des maîtresses, qu’il afficha sans vergogne, et des travaux historiques qui lui valaient quelque estime parmi les érudits. Natalie eut des flirts, mais demeura strictement honnête. Elle éprouvait tant d’aversion pour l’amour que, au dernier moment, prise de peur, toute frémissante, et bien que l’effort fût douloureux pour cette femme jeune, belle et privée de caresses, elle brisait net.
Ce soir-là, son chauffeur ayant congé, elle trouva devant la porte l’automobile de location qu’elle avait commandée et se fit conduire au Théâtre-Français, où l’attendaient deux jeunes femmes de ses amies et leurs maris, qui tous deux la courtisaient. Elle passa une soirée agréable. La pièce était émouvante et voluptueuse. Elle sentait sur ses épaules nues les regards de convoitise de ses deux flirts. Elle s’en alla troublée et, en même temps, par une réaction de son instinct, presque maussade et mécontente.
Vers minuit l’auto la ramena à l’Étoile, où elle habitait. Mais elle fut très surprise de voir, au milieu de la place de la Concorde, que le chauffeur tournait brusquement à gauche et traversait la Seine. Elle voulut l’interpeller : il n’y avait de cornet acoustique. Elle essaya d’ouvrir une glace ; mais d’un coup, avec un seul bruit, quatre volets à lames de bois serrées s’abattirent devant elle et à ses côtés, l’enfermant dans une prison obscure. Natalie, très impressionnable, tomba évanouie.
Quand elle se réveilla, deux hommes la portaient. On monta un étage. Une porte fut ouverte. Dans une chambre, à peine éclairée, se trouvait un grand lit où elle fut couchée et liée par les jambes et par les épaules. La pièce resta vide un moment. Quelqu’un entra, qui éteignit la lampe électrique et s’approcha.
Elle se mit à trembler des pieds à la tête. Doucement, l’homme lui saisit les poignets qu’il couvrit de petits baisers à peine appuyés, qui, peu à peu, lui enveloppèrent les bras d’une caresse tendre et chaude.
Elle ne pouvait bouger. Elle n’en avait ni la possibilité, ni la force, et quelle que fût son épouvante, malgré la révolte de tout son être éperdu, elle n’eut pas un instant l’idée de résister à ce qu’il lui sembla dès l’abord inéluctable.
Une heure après, elle fut ramenée. Elle ne rapportait aucun indice qui la pût renseigner sur la personnalité ou la figure de cet inconnu, sur l’ameublement de la chambre, l’emplacement de la maison, les rues qu’elle suivit au retour.
Elle rentra en courant, aperçut la lumière habituelle dans le bureau de son mari, défit sa robe froissée et déchirée, et passa la nuit sur un fauteuil, stupéfaite, bouleversée, honteuse de l’aventure, mais plus honteuse encore de s’avouer à elle-même que tout n’avait pas été horreur et ignominie durant cette heure abominable. Elle se souvenait de certaines minutes... Mais elle ne voulait pas se souvenir. Elle serrait ses poings contre ses joues brûlantes et se faisait mal pour oublier l’étrange et nouvelle sensation que sa chair apaisée lui rappelait sans relâche. Était-ce croyable ?
Deux semaines de suite, Natalie Helmans ne quitta pas sa chambre. Elle demeurait là, refusant toute visite, perdue dans un rêve qu’elle ne comprenait pas bien et que, d’ailleurs, elle ne cherchait pas à comprendre, un rêve doux, calme et bienfaisant. Elle s’efforçait à peine de découvrir, parmi tous les hommes qui lui faisaient la cour, celui qui avait eu l’audace de l’enlever et l’infamie de l’attacher comme une proie dont on abuse à son gré. Les images de trois ou quatre d’entre eux, plus hardis et qui lui plaisaient davantage, passaient devant ses yeux. Mais elle ne tenait pas à savoir.
Un jour, elle fut invitée à nouveau par ses deux amies. Pourquoi eut-elle refusé, puisque son chauffeur la conduirait et la ramènerait ? Mais, au sortir du théâtre, quand la voiture traversa la place de la Concorde, il se produisit le même événement : on tourna vers la Seine, et les volets tombèrent.
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