Elle alluma. Ce n’était pas son auto, mais une auto exactement pareille à la sienne.
Dix minutes plus tard, elle descendit dans une cour obscure, au bas d’un perron, et on l’entraîna vers la même chambre. Son compagnon n’eut pas besoin de l’attacher. Tout alanguie, et vaincue d’avance, elle s’abandonna.
Il en fut ainsi chaque semaine, durant un mois, sans que Natalie tachât de dissiper les ténèbres où se dissimulait l’aventure et de questionner son chauffeur dont la trahison ne faisait pas de doute. Rien ne lui importait que les joies de sa chair et les sensations voluptueuses éprouvées durant ces heures impatiemment attendues. Elle ne vivait que pour cet amant inconnu aux bras de qui elle se laissait aller avec une ardeur passionnée. Entrevues silencieuses, où elle ne songeait qu’à se donner et à se donner encore. Lui non plus, elle ne l’interrogeait point. Qui était-ce ? Il se démasquerait au moment choisi par lui, et de manière que l’aventure fût aussi belle que possible. Il était le maître et l’amant. Elle le paraît de magnificence, et lui appartenait comme elle n’imaginait pas qu’on pût appartenir à un homme.
Une nuit – car leurs rendez-vous se prolongeaient de plus en plus – il lui prit son anneau de mariage. Natalie le laissa faire, mais elle vit là comme une indication, un ordre de divorce, et elle en conclut que, la semaine suivante, il ne la laisserait pas rentrer chez elle et la garderait auprès de lui.
Elle accepta cette éventualité et s’y prépara. Le soir venu, elle résolut loyalement d’avertir son mari et le pria de la rejoindre dans son boudoir.
Petit de taille, gauche de gestes et d’attitude, il avait un visage dur et peu sympathique.
Natalie éprouva un vif plaisir à communiquer ses projets de divorce à cet homme qu’elle avait toujours détesté. Il parut indifférent et dit :
— Vous aimez quelqu’un ?
— Oui.
— Quelqu’un qui est votre amant ?
— Oui, affirma-t-elle, d’un air de provocation, et en montrant sa main où manquait l’anneau d’or.
Il haussa les épaules.
— Soit, fit-il. Je vous rendrai libre le plus tôt que cela se pourra.
Tout était dit entre eux, et Natalie se dirigea vers la porte. Cependant, il l’arrêta d’un mot, et, comme elle s’était retournée, il demeura hésitant. À la fin, il prononça :
— Vous ne partirez pas avant de savoir combien je me sens responsable du passé. Pardonnez-moi d’avoir abîmé les plus belles années de votre vie.
À son tour, elle haussa les épaules.
— Tout cela n’a aucune importance. Mon passé est plein de mon bonheur actuel.
— Êtes-vous sûre de l’avenir ? demanda-t-il. Vous connaissez bien cet homme ?
Elle sourit.
— Je le connais plus que si je le connaissais depuis des années.
— C’est-à-dire que vous le connaissez surtout comme amant.
— Cela suffit, dit-elle, avec véhémence. Entre un homme jeune et une femme jeune, la condition essentielle du bonheur est dans l’accord…
— Dans l’accord physique.
— Oui, déclara-t-elle fortement. Tout découle de là, et tout s’arrange ensuite. Je suis sûre de l’avenir.
Il réfléchit, puis prononça :
— Depuis longtemps j’avais prévu cette heure. Tenez, voici l’écrin dans lequel je vous ai donné autrefois votre anneau de mariage. Vous l’y remettrez, et tout sera fini.
Il prit cet écrin au fond d’un tiroir et le lui tendit. Elle le saisit, le tourna pensivement entre ses doigts, puis d’un geste machinal, l’ouvrit.
— Vous vous trompez, dit-elle, étonnée, il y a dedans un autre anneau.
Il ne répondit pas. Elle examina le cercle d’or. Son nom était gravé à l’intérieur, ainsi que la date de son mariage avec Georges Helmans.
Elle regarda son mari, longtemps, avec une angoisse sourde, puis mit le cercle d’or à son doigt, l’examina, retrouva certains détails, certaines hachures produites par l’usage.
Elle chancelait sous le poids d’une pensée affreuse, et elle balbutia :
— C’est le mien, n’est-ce pas ?
— Oui.
— Où l’avez-vous eu ?
— À votre doigt, l’autre nuit.
— Ah, fit-elle, toute tremblante et sans même essayer de se soustraire à une vérité qui s’imposait à elle par tant de preuves.
Elle se mit à pleurer, assise, et les mains plaquées contre sa figure. Georges Helmans, après avoir attendu quelques secondes, chuchota, à phrases lentes et affectueuses :
— Vous êtes déçue, n’est-ce pas ? Oui, vous aviez fait un rêve que la réalité détruit… Excusez-moi… et comprenez… Je n’ai jamais cessé de vous aimer, et, depuis dix ans, mon seul but est de réparer ma première faute. Je suis arrivé à dominer mes sens, à ne plus être la brute que j’étais… et je pensais à vous continuellement, vous aimant de plus en plus… Alors j’ai arrangé ces choses… qui vous paraissent aujourd’hui intolérables, mais qui cependant… nous ont rapprochés…
Elle se dressa toute rouge et s’écria :
— Taisez-vous… je vous défends…
— Vous avez raison, dit-il, en reculant.
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