Tout en moi vous exaspère. Je vous laisse, Natalie… Vous prendrez votre décision dans le calme.

— Je ne vous reverrai pas, je ne veux pas vous revoir.

— Que votre volonté soit faite. Quoiqu’il arrive, j’ai eu ma part de bonheur.

Il sortit. Jamais elle ne l’avait haï à ce point. Fiévreuse, saccadée, elle prit son chapeau et sa mante. Elle avait hâte de fuir. Mais, au moment d’ouvrir la porte, elle tomba assise. Tout son élan de révolte et de résistance se dissipait. Elle sentait qu’elle ne pourrait plus jamais s’échapper. Il la tenait par ses douces caresses, si habiles et si pénétrantes. Et déjà elle écoutait éperdument s’il n’allait pas revenir et lui donner de nouveau cette fête de volupté dont elle n’admettait plus que sa vie fût privée.

 

L’Infidèle

Tanger, 1893

 

 

Ils sortaient du café arabe où, tous les soirs, parmi la fumée du chanvre et les hurlements des nègres, les interprètes de Tanger empilent les voyageurs. Dehors les deux messieurs dont Jacques et sa femme avaient fait connaissance à l’hôtel, les saluèrent et disparurent.

Germaine demanda au guide :

— Où vont-ils, à cette heure ?

Hadji répondit mystérieusement :

— Dans une maison… monsieur et madame, si ça vous plaît, moi, je vous conduirai voir une fille qui danse très bien, très bien.

Germaine supplia :

— Oh ! Jacques, ça m’amuserait tant, veux-tu ?

Il résista. Jadis, en Algérie, il avait assisté à ce spectacle peu ragoûtant, et cela le choquait d’y mener sa femme, après deux mois de mariage.

Elle se suspendit à son bras :

— Je t’en prie, je t’en prie, personne ne le saura… je serais si heureuse !

Il dut céder. Hadji alluma sa lanterne. Et interminablement ils enfilèrent des rues étroites et noires où des formes blanches, à leur rencontre, s’aplatissaient contre les murs. À la fin le guide s’arrêta devant une porte basse et la frappa de sa canne. Des pas s’approchèrent. Il y eut des pourparlers. La porte s’ouvrit. Et une vieille femme s’effaça, démasquant un escalier que montèrent les deux jeunes gens.

On les introduisit dans une chambre à coucher meublée à la bourgeoise, d’un lit, d’une armoire et de tables en acajou. Il y avait des tapis à grosse laine, des rideaux de cretonne et, sous un globe de verre, une pendule et le portrait d’un jeune homme. Hadji, le montrant, dit :

— C’est le frère, il est en Amérique.

— Et la vieille femme ? demanda Germaine.

— C’est la mère de Slidja, une juive qui reçoit comme ça des amis…

Au bout de quelques minutes Slidja entrait. C’était une grande brune, à type accentué, plutôt belle. Elle portait une veste et un pantalon de soie bleue, une chemise de gaze et des quantités de bijoux. Un bandeau de cheveux noirs lui couvrait le front. La peau semblait fraîche, la poitrine lourde et bien placée.

Germaine murmura :

— Comment la trouves-tu ?

Jacques répondit d’un air ennuyé :

— Tout à fait ordinaire…

— Vrai ? fit-elle, pas moi, je la trouve même très bien.

Et elle la regardait en souriant. Slidja sourit aussi. Germaine, enchantée, pria le guide de lui transmettre son admiration. Et la juive à son tour riposta par des compliments flatteurs. Une atmosphère de sympathie régnait.

La mère cependant, accroupie dans un coin, chantait d’une voix indifférente et rauque, en tapotant sur une sorte de tambour.