De sortir sans être vue, ça n’est pas malin !

 

– Et de rentrer ?

 

– De rentrer aussi, dame ! À trois heures du matin, il n’entendrait pas Dieu tonner.

 

– Mais le lendemain, ma chérie, quand ils ont su ?…

 

– Ils ont cru au suicide, comme tout le monde. Papa m’a embrassée. Il avait vu M. le marquis la veille. M. le marquis n’avait rien avoué. « Il a pris peur tout de même », a dit papa… Il a dit aussi : « Pour le mioche, on s’arrangera ; Gallet a le bras long. » Car ils voulaient te demander conseil. Mais je n’ai pas voulu.

 

– Tu n’as donc rien avoué non plus ?

 

– Non !

 

– Et sitôt le… l’acte commis… tu t’es sauvée ?

 

– J’ai couru seulement jusqu’à la mare pour laver mes souliers.

 

– Tu n’as rien pris, rien emporté ?

 

– Qu’est-ce que j’aurais pris ?

 

– Et qu’as-tu fait de tes souliers ?

 

– Je les ai brûlés, avec mes bas, dans notre four.

 

– J’ai vu le… j’ai examiné le cadavre, dit encore Gallet. Le suicide semblait évident. Le coup avait été tiré si près !

 

– Sous son menton, oui, dit Mouchette. J’étais tellement plus petite que lui, et il avançait tout droit… Il n’avait pas peur.

 

– Le… le défunt avait-il en sa possession des objets… des lettres ?…

 

– Des lettres ! fit Mouchette en haussant dédaigneusement les épaules. Pour quoi faire ?

 

« Cela paraît vraisemblable », pensa Gallet. Et il entendit avec surprise sa propre voix répéter tout haut sa pensée.

 

– Tu vois ! triompha Mouchette. Ça pesait vraiment trop dans ma tête ! Elle peut venir maintenant, ta Zéléda, tu vas voir ! Je serai sage comme une image. « Bonjour, Germaine. » (Elle se levait pour faire devant la glace une révérence.) Bonjour, madame…

 

Mais le médecin de Campagne ne sut pas dissimuler plus longtemps. Contracté par la peur, il se détendit tout à coup, et laissa échapper sa ruse, comme un animal pressé par les chiens, enfin libre, lâche l’urine.

 

– Ma fille, tu es folle, dit-il dans un long soupir.

 

– Hein ? Quoi ? s’écria Mouchette. Tu…

 

– Je ne crois pas un mot de cette histoire-là.

 

– Ne le répète pas deux fois, dit-elle entre ses dents. Il agitait la main en souriant, comme pour l’apaiser.

 

– Écoute, Philogone, reprit-elle d’une voix suppliante (et l’expression de son visage changeait plus vite même que la voix). J’ai menti tout à l’heure ; je faisais la brave. C’est vrai que je ne peux plus vivre, ni respirer, ni voir seulement le jour à travers cet affreux mensonge. Voyons ! J’ai tout dit maintenant ! Jure-moi que j’ai tout dit ?

 

– Tu as fait un vilain rêve, Mouchette. Elle supplia de nouveau :

 

– Tu me rendras folle. Si je doute de cela aussi, que croirai-je ? Mais qu’est-ce que je dis, reprit-elle, d’une voix perçante. Depuis quand refuse-t-on de croire la parole d’un assassin qui s’accuse, et qui se repent ? Car je me repens !… Oui… oui…

 

Je te ferai ce tour de me repentir, moi qui te parle. Et, si tu m’en défies, j’irai leur raconter à tous mon rêve, ce fameux rêve ! Ton rêve !

 

Elle éclata de rire. Gallet reconnut ce rire, et blêmit.

 

– J’ai été trop loin, bégaya-t-il. C’est bon, Mouchette, c’est bon, n’en parlons plus.

 

Elle consentit à baisser le ton :

 

– Je t’ai fait peur, dit-elle.

 

– Un peu, fit-il. Tu es en ce moment si nerveuse, si impulsive… Laissons cela. J’ai mon opinion faite, à présent.

 

Elle tressaillit.

 

– En tout cas, tu n’as rien à craindre. Je n’ai rien vu, rien entendu. D’ailleurs, ajouta-t-il imprudemment, moi, ni personne…

 

– Cela signifie ?

 

– Que vraie ou fausse, ton histoire ressemble à un rêve…

 

– C’est-à-dire ?

 

– Qui t’a vue sortir ? Qui t’a vue rentrer ? Quelle preuve a-t-on ? Pas un témoin, pas une pièce à conviction, pas un mot écrit, pas même une tache de sang… Suppose que je m’accuse moi-même. Nous serions manche à manche, ma petite.