Pas un seul n’eut un regard amical dans sa direction. En désespoir de cause, il se retourna vers Blake :
« Voyez ce que vous pouvez faire ! implora-t-il.
– Il est nécessaire que la moitié d’entre vous accompagne M. Stimbol à la côte, dit Blake aux noirs, d’une voix ferme. Il paiera doubles gages à ceux qui le suivront, pourvu qu’ils le servent avec loyauté. Discutez la question entre vous, et faites-nous transmettre votre réponse par votre chef. J’ai dit ! Vous pouvez vous disperser. »
Le reste de l’après-midi s’écoula. Chacun des deux Blancs s’était isolé sous sa tente. Les noirs se tenaient à l’écart et discutaient à mi-voix. Stimbol et Blake prirent séparément le repas du soir, puis ils se réunirent pour attendre la réponse des hommes du safari. L’attente se prolongeant, Blake envoya chercher le chef des porteurs.
« Alors, avez-vous décidé lesquels d’entre vous accompagneront M. Stimbol ? demanda Blake.
– Aucun ne veut aller avec l’autre maître, dit le noir. Tous, ils veulent partir avec toi, B’wana !…
– Mais M. Stimbol les paiera bien, observa Blake, et il est nécessaire qu’il garde la moitié des porteurs.
– Il ne pourrait pas payer assez cher, fit le noir en hochant la tête. Mes hommes ne veulent pas aller avec lui.
– Vous vous êtes engagés à nous faire escorte durant tout notre voyage, rappela Blake, vous devez remplir vos engagements !
– Nous nous sommes engagés à accompagner les deux maîtres ensemble, mais rien n’a été convenu pour un retour séparé. Si le jeune maître reste avec le vieux, nous remplirons nos engagements ! »
Le ton dont ces paroles avaient été prononcées semblait définitif. Blake réfléchit un instant et dit :
« C’est bien. Nous en reparlerons demain matin. »
Les noirs s’étaient depuis un moment enveloppés dans leurs couvertures pour dormir, lorsque la silhouette d’un homme apparut, claire sous la lueur du foyer. « Qu’est-ce que c’est que cela ? s’exclama Stimbol. Hé, Blake ! voilà l’homme sauvage ! »
Blake s’approcha et se sentit impressionné par l’attitude pleine de calme dignité du nouveau venu.
« Ainsi donc, vous êtes Tarzan ? » dit-il.
L’homme inclina la tête.
« Et vous ? dit-il.
– Je me nomme James Blake, de New-York.
– J’ai entendu votre conversation avec le chef du safari, dit Tarzan. J’ai déjà eu l’occasion de me former une opinion sur votre compagnon ; aussi je suppose que vous vous séparez parce que vous ne pouvez vous entendre ? »
Blake eut un léger signe d’assentiment.
« Et quels sont vos plans ensuite ?
– J’ai l’intention de pousser vers l’Ouest, dit Stimbol, puis de…
– Je parlais à M. Blake, observa Tarzan. En ce qui vous concerne, j’ai déjà pris ma décision.
– Par exemple ! Mais…
– Silence ! fit le fils de la jungle. Continuez, monsieur Blake.
– Nous n’avons pas eu beaucoup de chance jusqu’ici, dit Blake, en partie sans doute parce que nos méthodes diffèrent. J’ai un appareil de prises de vues, mais je n’ai pas encore réussi à enregistrer une seule scène de la vie de la jungle. Je suis contrarié de devoir abréger cette expédition, en raison du temps et de l’argent que j’y ai consacré, mais puisque nos hommes refusent de nous accompagner séparément, il ne nous reste plus qu’à reprendre ensemble le chemin le plus court vers la côte.
– Ma parole, on dirait que je n’existe pas, à vous entendre tous les deux ! fit hargneusement Stimbol. J’ai dépensé autant de temps et d’argent que Blake dans ce ridicule voyage. Vous oubliez que je suis venu ici pour chasser ; j’ai bien l’intention de mettre ce projet à exécution, et ce n’est certes pas un singe déguisé en homme ou un homme déguisé en singe qui réussira à m’en faire démordre ! »
Tarzan ne tourna même pas les yeux vers Stimbol, qui trépignait de colère.
« Préparez-vous à lever le camp une heure après le lever du soleil, dit-il à Blake. Vous n’aurez plus de difficultés quant à la répartition du safari. Je serai là pour y veiller et pour vous donner mes dernières indications. »
En disant ces mots, il fit un léger signe d’adieu et disparut dans l’ombre.
CHAPITRE VI
ARA, L’ÉCLAIR, ET USHA, LE VENT
À l’heure dite, les paquets étaient prêts et les porteurs attendaient en silence. Blake et Stimbol fumaient tous deux, sans mot dire.
Tout à coup, le feuillage d’un arbre frémit, et Tarzan se laissa choir à terre avec légèreté. Des exclamations de surprise craintive jaillirent des lèvres des porteurs. Se tournant vers eux, Tarzan leur adressa la parole en leur langue :
« Je suis Tarzan, le Seigneur de la Jungle, dit-il. Vous avez accompagné jusqu’ici des Blancs qui viennent tuer les créatures de mon empire. Je suis mécontent ! Ceux qui veulent conserver la vie et revoir un jour leur village et leur famille feront bien d’écouter Tarzan et d’exécuter ses ordres sans discuter !
« Toi, reprit-il en se tournant vers le chef des porteurs, tu accompagneras le jeune Blanc, que j’autorise à prendre des images de la jungle où et quand il le voudra.
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