Pourquoi ?
– J’ai rencontré une espèce de sauvage pendant la chasse et il m’a ordonné très majestueusement de ne plus chasser dans la jungle et de partir au plus vite. Que dites-vous de cela ? fit Stimbol en riant aux éclats.
– Un sauvage ?
– Oui ! Enfin, un homme des bois, un ermite, je ne sais quoi, un fou aussi, probablement. Les nègres avaient l’air de le connaître.
– Qui est-ce ?
– Il m’a annoncé, toujours en grande pompe, qu’il s’appelait Tarzan. » Blake haussa les sourcils.
« Ah bah ? Vous avez rencontré Tarzan, le Seigneur de la Jungle, et il vous a ordonné de partir ?
– Vous avez entendu parler de lui ?
– Certainement, et, si jamais il m’ordonnait de quitter la jungle, j’obéirais !
– Vous peut-être, mais pas Wilbur Stimbol !
– Pourquoi vous a-t-il donné cet ordre ?
– Est-ce que je sais ? Il m’a empêché de tuer un gorille que je tenais au bout de mon fusil… il avait sauvé cette bête d’un python ; il a tué le python, m’a ordonné de quitter la jungle, a annoncé sa visite à notre camp et a disparu avec le gorille, en le tenant par le bras comme un ami. Je n’ai jamais vu chose pareille, mais il en faut davantage pour m’impressionner, et je ne me laisserai pas donner des ordres par un déséquilibré…
– Qu’est-ce qui vous fait penser que Tarzan soit fou ?
– Avouez qu’il faut l’être pour se promener dans la jungle, seul, presque nu et sans armes !
– Ce n’est pas mon avis, Stimbol, et, si j’étais fou, j’obéirais à Tarzan avant qu’il ne m’en coûtât trop cher !
– Diable ! vous avez l’air de bien le connaître. L’avez-vous déjà rencontré ?
– Non, dit Blake, mais j’ai entendu nos hommes parler de lui. Il est aussi célèbre dans la jungle que le lion ; peu de nos porteurs ont eu l’occasion de le voir, mais il a sur leur imagination une influence aussi grande que les sorciers de leurs tribus, et ils redoutent davantage encore de provoquer son courroux. S’ils pensent que nous nous sommes attiré son inimitié, nous allons au-devant de complications sans fin.
– Peuh ! vous vous noyez dans un verre d’eau ! Moi, je conseille à votre homme des bois de ne plus se frotter à Wilbur Stimbol ; cette fois, il pourrait lui en cuire !
– Il doit nous rendre visite, n’est-ce pas ? fit Blake. Je serais bien aise de le voir, car je n’entends parler que de lui depuis que nous avons pénétré dans la jungle dont il a fait son domaine.
– C’est curieux, moi, je n’avais jamais encore entendu prononcer son nom.
– Vous ne parlez jamais à nos hommes, remarqua Blake.
– J’ai mieux à faire que d’écouter les bavardages d’une poignée d’indigènes ignorants », dit Stimbol.
Blake sourit et ne répondit pas, car les hommes du safari approchaient.
« Mr. Blake et moi allons nous séparer, annonça Stimbol en s’éclaircissant la voix. Pour ma part, je compte aller chasser un peu plus loin à l’Ouest, faire un tour par le Sud et retourner vers la côte par un autre chemin. J’ignore quels sont les projets de Mr. Blake, mais il a droit à la moitié des porteurs, que vous le vouliez ou non ! »
Il s’arrêta un instant pour donner plus de poids à ses paroles, puis reprit :
« Je désire que tout le monde soit content, aussi ceux qui par hasard auraient envie d’aller avec Mr. Blake sont libres. Maintenant, écoutez bien ! Le tas qui est de ce côté représente la part de Mr. Blake, celui qui est près de moi représente la mienne. Par conséquent, que ceux d’entre vous qui veulent partir avec Mr. Blake se rangent près du matériel qui lui revient. »
Aussitôt, l’un après l’autre, tous les hommes s’alignèrent autour des effets de Blake.
En riant aux éclats, Stimbol se tourna vers son compagnon.
« Ah, ah ! dit-il, ce sont vraiment des têtes de bois. Je croyais m’être exprimé clairement et aucun d’eux n’a compris ! »
Et, sans attendre la réponse de Blake, il apostropha les noirs :
« Idiots que vous êtes ! Je ne vous ai pas dit que vous deviez tous partir avec Mr. Blake, j’ai dit que ceux qui préféreraient partir avec lui pouvaient le faire. C’est clair, je pense ? Bien ! Alors que ceux qui veulent rester avec moi passent de ce côté. Compris ? »
Pas un homme ne bougea. Stimbol devint cramoisi.
« C’est de la mutinerie ! gronda-t-il. Celui qui a machiné cela s’en repentira ! Viens ici, toi ! – et il saisit rudement l’un des guides par le bras. – Qui vous a ordonné d’agir ainsi ? Mr. Blake vous a-t-il donné des instructions ?
– Soyez donc raisonnable, Stimbol, fit Blake en haussant légèrement les épaules. Personne n’a influencé nos hommes et ils ne se sont pas mutinés le moins du monde. On ne prend pas les mouches avec du vinaigre, et vous n’avez que des injures à la bouche lorsque vous vous adressez à ces malheureux. Si vous n’aviez pas été aveuglé par votre outrecuidance, vous auriez prévu qu’ils réagiraient ainsi. Je ne vois pas pourquoi des noirs seraient plus friands d’insultes et de coups que des blancs ! »
Déconcerté et abandonnant pour un temps sa morgue habituelle, Stimbol passa en revue les visages d’ébène des porteurs. Leur expression était dure, fermée, hostile.
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