Choisis la moitié de tes hommes pour accompagner le jeune maître. »

Il se tourna ensuite vers le plus vieux des porteurs : « Et toi, fit-il, tu prendras la tête de l’autre moitié des hommes et tu escorteras le vieux maître jusqu’à la côte, par le plus court chemin et sans aucun délai. Il n’a pas la permission de chasser et ne pourra se servir de son fusil que pour sa nourriture ou pour sa sécurité. J’ai dit. Obéissez ! Rappelez-vous que Tarzan sait tout et que Tarzan n’oublie jamais ! »

Il se tourna ensuite vers les deux Blancs.

« Blake, dit-il, toutes les dispositions sont prises. Vous pouvez partir quand il vous plaira et où il vous plaira, avec votre propre safari. La question de la chasse est laissée à votre discrétion : vous êtes l’hôte de Tarzan.

« Quant à vous, ajouta-t-il en s’adressant à Stimbol, vous quitterez le pays par la route la plus directe. Vous avez la permission de garder vos armes pour assurer votre sécurité, mais, si vous en abusez, cette permission vous sera ôtée. Le chef de votre safari veillera à l’exécution de mes ordres.

– La plaisanterie est excellente, railla Stimbol, mais vos calembredaines commencent à me porter sur les nerfs. Je suis citoyen américain, sachez-le, et, de plus, je pourrais vous acheter votre maudite jungle et vous-même, en payant dix fois plus cher que vous ne valez, sans seulement m’apercevoir que je me suis appauvri d’un centime ! Parbleu, Blake, expliquez donc à ce pauvre diable qui je suis, avant que je ne perde patience ! »

Tarzan appela d’un signe le chef qu’il avait désigné pour le safari de Stimbol :

« Tu peux prendre la route maintenant, dit-il. Si le Blanc ne vous suit pas, laissez-le en arrière. Prenez soin de lui s’il obéit à mes ordres, et amenez-le sain et sauf sur la côte. Obéissez-lui si ses ordres ne vont pas à l’encontre des miens. Et maintenant, va ! »

L’instant d’après, le safari de Stimbol était prêt, ainsi d’ailleurs que celui de Blake, qui désirait s’éloigner de son côté. Stimbol jura, menaça, fulmina, mais ses hommes, semblant soudain l’ignorer, s’engagèrent dans la direction de l’Est.

Tarzan disparut dans les frondaisons et soudain Stimbol se retrouva seul, dans le camp déserté.

Ulcéré, humilié, écumant presque de rage, il se mit à courir après ses hommes, en proférant des insultes qu’ils ne parurent même pas entendre. Vaincu, il finit par se taire et se résigna à marcher en tête de ses porteurs, dans la direction qu’ils avaient adoptée. Il reconnaissait enfin que la puissance de Tarzan était plus grande que la sienne, mais son cœur était plein de ressentiment et il échafaudait mille projets de vengeance.

*

* *

Pour s’assurer de la stricte exécution de ses ordres, Tarzan avait pris les devants et, d’arbre en arbre, était arrivé jusqu’à un endroit où le safari de Stimbol devait passer. Immobile dans le feuillage, il attendait l’escorte, dont il entendait déjà le piétinement lointain. Au-dessus des arbres, dans le ciel jusqu’alors si bleu, de gros nuages s’amoncelaient.

Soudain, sur la piste, une lourde silhouette velue apparut.

« Bolgani ! » héla le fils de la jungle.

Le gorille s’arrêta et regarda autour de lui.

« Je suis Tarzan !

– Et moi, je suis Bolgani ! grogna le singe.

– Le Tarmangani approche ! dit Tarzan.

– Bolgani tuera le Tarmangani !

– Non ! Tu laisseras passer le Tarmangani ! Lui et ses gens, ils ont des bâtons à feu. J’ai chassé le Tarmangani hors de la jungle. Laisse-le passer. Écarte-toi un peu de la piste. Les stupides Gomanganis et le Tarmangani, qui est encore plus stupide, passeront sans seulement se douter de la présence de Tarzan et de Bolgani. »

Dans le ciel obscurci, les nuées s’amoncelaient, et les deux bêtes contemplaient ce spectacle terrifiant.

« Pand, le tonnerre, est en chasse, remarqua Tarzan.

– Il chasse Usha, le vent, dit Bolgani.

– Et tout à l’heure, nous allons entendre Usha voler à travers les arbres pour s’enfuir, ajouta le fils de la jungle. Kudu, le soleil, lui-même redoute Pand, et se voile la face lorsque le tonnerre gronde ! »

Ara, l’éclair, jaillit et zigzagua dans le ciel. Pour Tarzan et Bolgani, c’était une flèche lancée par l’arc de Pand, et les grosses gouttes de pluie qui commençaient à tomber lentement n’étaient autres que des gouttes de sang de Usha, le vent, blessé par la flèche.

L’obscurité se faisait plus opaque. Usha courait à travers la forêt, et les arbres gémissaient sur son passage. Soudain, la pluie déferla et, avec des clameurs, tous les éléments se déchaînèrent.

Tarzan et Bolgani s’étaient accroupis, résignés, le premier sur une branche, l’autre en bordure de la piste.

Soudain, avec un fracas assourdissant, une lumière jaillit, le sol frémit et l’arbre sur lequel était perché Tarzan se fendit en deux, frappé par la foudre !

Assommé, Tarzan tomba à terre, sous la grosse branche qui lui avait servi d’asile.

Aussi vite qu’il était venu, l’ouragan s’éloigna. Kudu, le soleil, reparut à travers les nuages et les éloigna promptement. Bolgani, transi et terrifié, n’avait garde de bouger, ne se souciant pas d’attirer sur lui l’attention de Pand, le tonnerre.

Trempé jusqu’aux os et remâchant sa colère, Stimbol avait repris sa marche sur la piste détrempée, il n’avait même pas remarqué qu’il était très en avance sur son escorte, qui s’était arrêtée pendant l’ouragan.

À un détour du chemin, il se trouva soudain face à une grosse branche qui barrait le chemin. Tout d’abord, il n’aperçut pas le corps de l’homme qui gisait dessous, mais, lorsqu’il l’eut reconnu, un espoir naquit en lui. Si Tarzan était mort, il serait libre d’agir comme bon lui semblerait.