Enfin, il rencontra une piste bien frayée, sur laquelle on pouvait encore relever l’empreinte de pieds nus et, dans son ignorance, il reprit courage en pensant qu’il était tombé sur les traces du safari de Blake. C’est ainsi qu’il arriva, exténué, moribond, au camp d’Ibn Jad.

Fejjuan, l’esclave Galla, l’aperçut le premier et le traîna aussitôt vers la tente du cheik, où Ibn Jad, son frère Tollog et quelques fidèles étaient en train de déguster leur café.

« Par Allah ! Quel étrange animal as-tu capturé là ? s’exclama le cheik en contemplant avec méfiance Stimbol qui flageolait sur ses jambes, dont les vêtements étaient en lambeaux et dont le visage était défiguré par une barbe de plusieurs jours.

– Ce doit être un saint homme, répondit l’esclave, car il est sûrement très pauvre et murmure des paroles incompréhensibles !

– Qui es-tu ? » fit brusquement le cheik, en s’adressant directement à l’Américain.

Faute de comprendre un mot du langage de l’Arabe, Stimbol répondit en anglais :

« Je meurs de faim. Donnez-moi à manger ! »

Ibn Jad eut une moue méprisante :

« Encore un Infidèle !

– Peut-être est-ce un roumi français ? suggéra Fejjuan.

– Il a plutôt l’air d’un roumi anglais, remarqua Tollog.

– S’il vient de France, tu pourrais lui parler en sa langue, Fahd, dit Ibn Jad, puisque tu as servi de guide autrefois à des soldats d’Algérie.

– Qui es-tu, étranger ? fit Fahd, en français.

– Je suis Américain, répliqua Stimbol dans la même langue, avec empressement. Je me suis perdu dans la jungle et je meurs de faim ! »

Fahd traduisit ces paroles au cheik, qui fit un signe pour qu’on apportât un plat de pois chiches à l’inconnu.

Pendant que Stimbol se rassasiait voracement, Fahd poursuivit sa conversation avec lui. Il apprit ainsi que l’escorte de l’étranger avait déserté et qu’il paierait un bon prix pour être conduit à la côte.

Le cheik était modérément enthousiasmé par la perspective de s’embarrasser de ce nouveau venu, mais Fahd, impressionné par les affirmations de Stimbol, qui se déclarait prêt à payer la forte somme, vit la possibilité de recueillir une grasse récompense et intercéda auprès d’Ibn Jad pour permettre à Stimbol de rester parmi eux, promettant qu’il partagerait sa propre tente avec lui.

« Le cheik voulait te faire décapiter, Infidèle, dit-il ensuite à Stimbol, mais j’ai pu te sauver. Rappelle-toi, lorsque le moment sera venu de distribuer les récompenses, qu’Ibn Jad se soucie de ton existence comme celle d’une mouche et que ta vie est entre les mains de Fahd. À combien estimes-tu ce service ?

– Je te couvrirai d’or ! » déclara l’Américain.

Durant les jours qui suivirent, Fahd et Stimbol firent plus ample connaissance. L’Arabe ne tarda pas à être ébloui par tous les récits que lui faisait Stimbol sur sa grosse fortune, si bien que Fahd se mit à rêver de luxe et de puissance, en même temps que sa cupidité et son ambition se développaient dans une égale proportion.

Pour encourager les bonnes dispositions de l’Américain à son égard, il ne cessait de lui dire qu’Ibn Jad décidait chaque jour de le mettre à mort, et que ce n’était qu’à ses éloquentes plaidoiries, à lui, Fahd, que Stimbol devait de rester en vie.

S’il lui mentait sur ce point – car en réalité Ibn Jad avait à peu près oublié la présence de l’étranger – en revanche Fahd ne dissimulait pas à Stimbol que l’intrigue et la dissension régnaient dans la tribu, et ce dernier décida à part lui d’en user à son avantage, si l’occasion s’en présentait.

Cependant, lentement, mais avec persévérance, les Arabes continuaient leur marche vers la fabuleuse cité de Nimmr, et chaque soir Zeyd venait s’entretenir avec Ateja. Lorsque Fahd était près du cheik, Tollog ne manquait jamais de dire à son frère quelques paroles en faveur de ce prétendant malheureux, mais c’était uniquement pour s’assurer la fidélité de celui-ci, car, en réalité, peu importait à Tollog que sa nièce épousât l’un ou l’autre de ses compagnons.

Aussi Fahd était-il peu satisfait des progrès de sa cause. La jalousie le rongeait et bientôt il désira ardemment la perte de Zeyd. Il l’espionna et s’aperçut bientôt que le jeune homme rencontrait chaque jour Ateja à quelque distance du camp.

Un plan germa alors dans l’esprit du jaloux. Un soir, Fahd ne parut pas à l’assemblée habituelle devant la tente du cheik. Blotti derrière la tente de Zeyd, il attendit que le jeune homme en sortît pour se rendre à son rendez-vous. En rampant, il se glissa alors à l’intérieur, s’empara du mousquet de son rival, vérifia s’il était bien chargé et s’approcha sans bruit de l’endroit où Zeyd attendait avec impatience sa bien-aimée.

À quelque distance, sous la lueur des lanternes de papier, on voyait distinctement Ibn Jad et ses compagnons, fumant et devisant, comme tous les soirs. Ateja était encore auprès de sa mère, dans la partie de la tente du cheik réservée aux femmes.

Fahd, invisible derrière Zeyd, leva lentement l’antique fusil, épaula et visa. Ce n’était pas Zeyd qu’il voulait atteindre, car Fahd était rusé comme un renard, et il savait que tout le monde, Ateja la première, le désignerait comme le meurtrier. Il ne visait pas non plus Ibn Jad ; le temps n’était pas venu de soulever la rébellion dans le camp. Il fallait d’abord que les trésors de Nimmr fussent conquis, car Ibn Jad gardait jalousement secrets les conseils que le magicien lui avait donnés.

Fahd visait donc, tout simplement, une broderie dessinée sur la tente, au-dessus de la tête du cheik. Il tira et, dès que la détonation eut retenti, il jeta le fusil et se jeta sur Zeyd, qu’il maintint entre ses bras, en hurlant à pleins poumons.

Alertés par le coup de feu et les cris, les guerriers se mirent à courir dans toutes les directions, le cheik à leur tête. Ils trouvèrent Zeyd, qui se débattait vigoureusement contre l’étreinte de Fahd.

« Que signifie cela ? fit Ibn Jad.

– Par Allah ! Seigneur, il a voulu te tuer ! s’écria Fahd. Je suis arrivé au moment où il venait de tirer et je me suis jeté sur lui pour l’empêcher de s’enfuir.

– Il ment ! fit Zeyd d’une voix déchirante. Le coup de fusil est parti derrière moi. Si quelqu’un a tiré sur toi, Ibn Jad, c’est Fahd lui-même ! »

Égarée, les cheveux épars, Ateja accourut auprès de son amoureux :

« Ce n’est pas vrai, Zeyd ? Dis-moi, ce n’est pas vrai, n’est-ce pas ?

– Je jure sur le Coran que je suis innocent ! » fit Zeyd avec force.

Avec adresse, Fahd n’avait pas parlé du fusil. Il pensait que la preuve paraîtrait plus évidente si l’arme était découverte par un autre que lui. Il n’eut pas longtemps à attendre. Tollog se baissa et ramassa le mousquet.

« Voici l’arme ! s’écria-t-il.

– Examinons-la à la lumière, ordonna Ibn Jad. Elle nous dira la vérité plus sûrement que la langue de tous ces fourbes ! »

Zeyd s’achemina vers la tente du cheik d’un pas assuré. L’arme ne pouvait être la sienne et il se sentait délivré d’un grand poids. Chaleureusement, il serra la main d’Ateja entre les siennes.

À la lueur des lanternes en papier, Ibn Jad se pencha sur l’arme ; un regard lui suffit. Le visage assombri, il leva les yeux :

« C’est là ton fusil, Zeyd », dit-il.

Avec un cri, Ateja s’écarta du jeune homme.

« Ce n’est pas moi ! Je le jure ! répéta Zeyd, atterré.

– Qu’on l’emporte ! ordonna le cheik.