Vous n’êtes entourés d’aucun ennemi !

– Quoi ? cria le prince.

– Que vous disais-je ! triompha l’homme aux yeux noirs. C’est un espion ennemi ! Son plan est grossier ! Il aurait voulu désarmer notre vigilance, afin que l’ennemi s’emparât sans coup férir de la vallée !

– Par les saints stigmates, il se pourrait fort bien que vous eussiez raison, messire Malud ! dit le prince en lançant un regard plein de soupçon sur Blake. Point d’ennemis, en vérité ! Sais-tu bien, étranger, que, depuis sept siècles, les chevaliers de Nimmr attendent l’assaut des hordes d’Infidèles qui entourent la Vallée Sacrée ?

– Ils peuvent toujours attendre ! répliqua Blake, qui, fatigué du langage pompeux et archaïque des habitants de Nimmr, avait décidé de parler plus simplement.

– Eh ?… fit le prince, interloqué.

– Il s’exprime d’une singulière façon, se hâta d’expliquer Richard, mais je ne crois pas qu’une seule pensée déloyale ait jamais pénétré dans l’esprit de sire James, et je voudrais intercéder en sa faveur, afin d’obtenir pour lui le très grand privilège d’entrer au service de Votre Seigneurie.

– Eh bien, soit ! dit le prince après une légère hésitation. Cette requête sera satisfaite… »

Blake jeta un regard autour de lui. Il aperçut le regard hostile de messire Malud, puis ses yeux tombèrent sur la jeune fille, qui lui souriait.

« Je rends grâce à Votre Seigneurie ! » dit-il en s’inclinant profondément devant le prince.

CHAPITRE X

LE RETOUR DE ULAL

Numa avait faim. Depuis trois jours et trois nuits, il était en quête de gibier, mais à chaque fois sa proie lui avait échappé. Sans doute, Numa devenait-il vieux. Son flair n’était plus si subtil, sa charge si foudroyante, la détente de ses muscles si rapide que du temps de sa jeunesse ; pourtant, c’était encore une bête puissante et redoutable.

Or, Numa humait attentivement le vent. L’odeur de l’homme lui parvenait, plus affirmative à chaque bouffée. Quatre jours auparavant, Numa aurait renoncé prudemment à cette proie, mais la faim qui le tenaillait le fit passer sur les dangers qu’offre toujours cette chasse, l’homme étant le plus retors et le plus déconcertant des gibiers.

Plongé dans des pensées moroses, Zeyd, monté sur sa jument, avançait sans se douter qu’un terrible ennemi se préparait à bondir sur lui.

Cependant, Numa n’était pas la seule créature de la jungle à avoir senti l’approche du jeune Arabe, Tapi sur une branche, un être immobile épiait l’approche du nouveau venu…

Rendu nerveux par la faim qui lui tordait les entrailles, Numa n’attendit pas, pour bondir sur la jument, le moment où elle serait passée. Impatient, il émergea du fourré en poussant un rugissement si formidable que la monture, épouvantée, fit un écart, désarçonna son cavalier et se mit à fuir au grand galop.

Numa émit un second rugissement, plein de fureur et de déception, celui-là ! Il avait laissé échapper la proie la plus belle et il ne lui restait que le jeune Arabe, au lieu de l’appétissante jument ! Pourtant, faisant contre fortune bon cœur, le félin se jeta sur le malheureux Zeyd, terrorisé et à demi mort de peur…

Celui-ci, fermant les yeux, sentait déjà sur lui le souffle fétide de la bête, lorsque soudain il entendit un autre rugissement différent, mais aussi terrible que celui du lion, puis des halètements se firent entendre, des grognements et, enfin, l’horrible bruit des os broyés.

Lorsque Zeyd retrouva assez de courage pour ouvrir les yeux, son regard incrédule se porta sur un groupe étrange formé par le lion mort, étendu sur le sol, et par une haute silhouette humaine qui, en se frappant les pectoraux, lançait un sauvage cri de triomphe !

Alors, Zeyd reconnut son sauveur et il frissonna, en murmurant :

« Le seigneur Tarzan ! »

Le fils de la jungle lui lança un coup d’œil :

« Je t’ai vu dans le camp d’Ibn Jad, n’est-il pas vrai ? fit-il.

– Pardonne au pauvre Zeyd, maître tout-puissant, ô pourfendeur de lions, d’appartenir à la tribu de ton ennemi, murmura le jeune Arabe. Épargne-moi la vie et chaque jour tes louanges monteront vers Allah !

– Je n’ai nulle intention de te faire le moindre mal, Bédouin, fit Tarzan. C’est à Ibn Jad seul que je garde rancune. Est-il près d’ici ?

– Oh ! non, seigneur. Son camp est à plusieurs marches de cette partie de la forêt.

– Où sont tes compagnons ?

– Je n’en ai point.

– Es-tu donc seul ? Réfléchis bien, Bédouin, avant de mentir à Tarzan !

– Par Allah, je suis seul, c’est la vérité !

– Et pourquoi ? »

Alors Zeyd, se rassurant progressivement, conta le lâche complot de Fahd, dont il avait failli être victime et narra comment Ateja, la fille du cheik, l’avait fait évader.

« Quel est ton nom ? reprit Tarzan, lorsque le jeune homme eut achevé son récit.

– Zeyd, fils de Ahmed, fils de Isset.

– Tu ne pourras surmonter tous les périls qui t’attendent avant de rejoindre ta patrie, dit pensivement Tarzan.

– Peut-être, mais si j’étais resté au pouvoir d’Ibn Jad, alors ma mort aurait été certaine ! »

Tarzan sourit et resta un moment silencieux.

« Grands doivent être l’amour et la confiance que te porte Ateja, la fille du cheik, dit-il enfin.

– Par Allah, nous nous aimons tendrement, dit le jeune homme avec ardeur, et elle sait bien que je n’ai pas tenté d’assassiner son père ! »

Tarzan hocha la tête :

« Eh bien, j’ai décidé de t’aider, dit-il. Je vais te conduire au village le plus proche, dont le chef te fournira une escorte jusqu’au village suivant, là, tu auras une nouvelle escorte jusqu’au village d’après et, ainsi, de village en village, tu pourras atteindre le Soudan en sûreté.

– Qu’Allah te garde, toi et les tiens, jusqu’à la septième génération ! » s’écria Zeyd, enthousiasmé, et n’osant croire encore à la chance qui s’offrait à lui.

Les deux hommes se mirent en marche, et, sur le chemin, Tarzan posa encore à Zeyd de nombreuses questions :

« Pourquoi donc Ibn Jad a-t-il entrepris ce long et périlleux voyage ? demanda le fils de la jungle à son compagnon. Ce n’est point pour faire le commerce de l’ivoire, n’est-ce pas ?

– Par Allah ! seigneur Tarzan, tu dis vrai ! Ibn Jad est venu ici pour chercher un trésor, et il se soucie peu d’ivoire en ce moment.

– Quel trésor ?

– Un magicien a dit au cheik qu’un grand trésor était caché dans la cité de Nimmr, au cœur du pays des Habashis. Ce trésor est si considérable que soixante chameaux ne suffiraient pas à transporter l’or et les pierreries qui le composent. Mais sans doute as-tu déjà entendu parler du fabuleux trésor de Nimmr ? »

Tarzan hocha la tête :

« Je crois me rappeler en effet que des guerriers Gallas m’ont conté cette légende, parfois, autour d’un feu, mais c’est une fable qui m’a toujours semblé inventée de toutes pièces. Sûrement Ibn Jad n’a pas entrepris cette expédition sur la simple parole d’un magicien ?

– Quelle parole serait plus sûre que celle d’un devin ? » demanda sérieusement Zeyd.

Tarzan sourit et haussa les épaules.

Pendant les deux jours que dura leur voyage jusqu’au village qui se trouvait le plus proche de l’endroit où ils s’étaient rencontrés, Zeyd revint souvent sur ce sujet, sans réussir à faire partager à Tarzan sa confiance dans les vaticinations du magicien. Il lui parla aussi de l’homme blanc qui était arrivé dans le camp d’Ibn Jad, mais les descriptions de Zeyd étaient si confuses, que Tarzan ne put deviner s’il s’agissait de Stimbol ou de Blake.

*

* *

Pendant ce temps, Fejjuan, l’esclave Galla, attendait patiemment l’occasion de s’enfuir pour regagner son pays natal, et Ateja priait et soupirait pour Zeyd.

« Toi qui as vécu autrefois dans ce pays, Fejjuan, dit-elle un jour à l’esclave Galla, crois-tu que Zeyd réussira à le traverser seul ?

– Par Allah, non ! dit le noir. Sans aucun doute, il a déjà succombé à l’heure qu’il est ! »

Ateja pâlit et étouffa un cri.

« Je le déplore comme toi, Ateja, reprit Fejjuan, car Zeyd était un bon guerrier et n’avait pas commis le crime dont on l’a accusé !

– Que dis-tu, Fejjuan ! s’écria la jeune fille bouleversée. Sais-tu donc la vérité sur ce crime ?

– Si je te dis ce que je sais, promets-moi, Ateja, de ne point le répéter, car il est mauvais pour un pauvre esclave de savoir ce qui ne le concerne pas.

– Par Allah ! je ne te trahirai pas, Fejjuan, dit la jeune fille. Mais vite, dis-moi, que sais-tu ?

– Je n’ai pas vu quel était l’homme qui a tiré sur ton père, Ateja, dit lentement le noir, mais j’ai vu autre chose, avant que le coup de feu ne retentisse !

– Quoi donc ?

– J’ai vu Fahd pénétrer furtivement sous la tente de Zeyd, et en sortir avec le fusil de Zeyd. Cela, je l’ai vu !

– Ah ! je l’avais deviné ! murmura Ateja.

– Mais Ibn Jad ne te croira pas si tu le lui dis.

– Je le sais. Du moins, maintenant que je suis sûre de la vérité, je ne manquerai pas l’occasion de venger sur Fahd la mort de Zeyd ! » fit Ateja, sauvagement.

*

* *

Les jours passaient, et Ibn Jad était impatient d’entrer en contact avec les Gallas Habashis pour se faire guider par eux vers la cité fabuleuse de Nimmr. Mais les habitants du pays, avertis sans doute de l’approche des Arabes cruels, semblaient être devenus invisibles, et, sur son passage, Ibn Jad ne trouvait que huttes abandonnées et campements déserts.

« Par Allah ! s’écria-t-il un jour. Il y a une cité de Nimmr, et il y a un moyen de l’atteindre. Va me chercher Fejjuan, Tollog, j’ai besoin de lui ! »

Lorsque l’esclave se présenta devant le cheik, celui-ci le reçut avec plus d’affabilité que d’habitude.

« Fejjuan, lui dit-il, tu es un Habashi, et j’ai entendu dire que tu te rappelais bien l’époque de ton enfance et la légende de Nimmr. Va et mets-toi à la recherche des hommes de ta race.