Je n’ose encore me présenter aux yeux d’Ibn Jad, mais alors que le temps aura calmé sa colère, je voudrais revenir vers lui, le convaincre de mon innocence et protéger Ateja contre le misérable Fahd.
– Que veux-tu donc faire maintenant ? demanda Tarzan en souriant.
– Je voudrais rester dans le village où tu me conduis, ô Tarzan, en attendant le moment où Ibn Jad y passera, après avoir mené à bien son expédition. » Tarzan hésita un instant.
« Soit, dit-il enfin. Tu resteras six mois dans ce village. Si Ibn Jad n’est pas de retour au bout de ce temps, je donnerai des ordres pour qu’on te conduise auprès de moi et je te ferai alors escorter jusqu’aux frontières du pays.
– Que les bienfaits d’Allah se répandent sur ta tête ! » s’écria Zeyd avec vénération.
*
* *
Lorsqu’ils arrivèrent au village indigène, Tarzan donna ses instructions au chef de la tribu, conformément aux désirs de Zeyd, puis il prit congé de ce dernier et retourna à sa vie libre et errante de la jungle.
Il avait l’intention d’aller faire un tour aux environs du camp d’Ibn Jad, car il était intrigué par les détails que Zeyd lui avait donnés au sujet de la présence d’un Blanc parmi les Arabes.
Cependant, rien ne le pressait et, tout en suivant la piste des Bédouins, Tarzan se permettait de flâner, de se livrer au plaisir de la chasse, ou parfois de disputer sa proie à Numa, son adversaire favori.
Pendant tout un jour, il resta en la compagnie du peuple Manu, écoutant le babillage des petits singes, qui, grâce à leur curiosité insatiable, connaissaient au jour le jour la chronique des potins de la jungle.
il s’apprêtait enfin à les quitter, lorsque survint un groupe de nouveaux venus, essoufflés et surexcités, qui apprirent à Tarzan que des noirs approchaient, formant un long cortège et portant des fusils.
Curieux, Tarzan s’élança, de branche en branche, dans la direction que lui avaient indiquée les singes, et il arriva bientôt en vue d’un groupe de noirs en qui il reconnut aussitôt le safari de Blake. Alors, il se laissa tomber à terre, sous les regards stupéfaits des indigènes.
« Où est votre maître ? » demanda-t-il sans préambule.
Le chef du safari s’approcha et expliqua craintivement que le Seigneur blanc avait disparu avec un guide, le jour de l’ouragan. Les noirs avaient longtemps attendu son retour, puis ils avaient battu la jungle, à sa recherche, mais en vain. Finalement, abandonnant tout espoir, ils avaient décidé de repartir, pour leur pays et d’avertir les autorités du sort probable du malheureux Américain.
Tarzan écouta attentivement ce récit, sans quitter des yeux le visage du noir. L’autre ne détourna pas le regard et Tarzan se rendit compte qu’il disait vrai.
« C’est bon, dit alors le fils de la jungle, vous avez agi pour le mieux et vous pouvez maintenant regagner vos foyers. Toutefois, je désire que vous envoyiez ensuite un courrier à la tribu des Waziris. Ce messager leur dira que Tarzan réclame cent guerriers Waziris, qui le rejoindront au nord du pays Galla.
– Bien, Seigneur, tes ordres seront exécutés », répondit respectueusement le noir.
*
* *
Dans le château du prince Gobred, James Blake était initié aux devoirs d’un chevalier de Nimmr. Messire Richard l’avait pris sous sa protection et s’était institué son mentor. Il lui avait fait présent de quelques vêtements pris dans sa propre garde-robe, d’un de ses chevaux et de sa meilleure épée.
Timidement, Blake avait fait allusion à un paiement quelconque, mais Richard lui avait répondu avec vivacité que la monnaie d’échange la plus usitée à Nimmr était la réciprocité des services, et qu’on ne se servait qu’avec les artisans des quelques rares pièces de monnaies qui dataient de l’arrivée des Croisés dans le pays.
L’Américain constata en effet rapidement que l’argent avait peu de valeur à Nimmr. Les chevaliers estimaient trop l’honneur et le courage pour lui assigner un prix ; quant aux artisans, ils s’estimaient assez payés lorsqu’ils étaient parvenus à fabriquer un chef-d’œuvre. La vallée était fertile, luxuriante, les fruits et les légumes poussaient presque tout seuls, et nul ne manquait jamais de rien.
Chaque jour, Blake se perfectionnait dans le maniement des armes. Pourtant, le genre d’escrime en usage à Nimmr ne lui était pas familier, et les grands coups d’estoc qu’il fallait assener avec le lourd glaive des chevaliers différaient beaucoup de l’exercice du fleuret tel qu’il l’avait pratiqué autrefois lorsqu’il se trouvait à l’université. Aussi Malud ne se privait-il pas de ricaner lorsqu’il assistait aux leçons que messire Richard prodiguait à son élève. En revanche, la princesse Guinalda, fille du prince Gobred, prenait toujours la défense de l’apprenti-chevalier.
Le prince et sa cour ne dédaignaient pas en effet d’assister souvent à l’entraînement qui était donné aux pages. Gobred louait fort la façon dont Blake, excellent cavalier, se tenait sur son cheval, mais Malud, qui jouissait d’un grand crédit à la cour du prince, raillait férocement la maladresse du jeune homme à se servir de ses armes.
Un matin, Blake, à la fin de son entraînement, s’approcha de la princesse et la salua.
« Vous êtes fort bon cavalier, sire James, lui dit gracieusement Guinalda. J’aime à vous voir caracoler sur votre destrier !
– Oui, mais sire James se sert de son épée et de son bouclier comme s’il s’agissait de découper une pièce de venaison posée sur un grand plat ! » ricana Malud.
Les rires fusèrent autour de lui et, encouragé par ce succès, Malud reprit :
– « Oui, certes ! Comme écuyer-tranchant, messire James ferait merveille ! »
Blake se tourna vers le mauvais plaisant.
« Messire Malud s’intéresse à la cuisine plus qu’il n’est coutume parmi les chevaliers, dit-il. Sans doute sait-il alors ce qu’il faut pour servir du porc frais ?
– Ma foi non, dit Malud interloqué.
– Eh bien, il faut un écuyer-tranchant tel que moi, un couteau bien aiguisé et un cochon bien gras, tel que vous, messire Malud ! » répliqua froidement Blake.
Cette riposte fut tout à fait du goût des chevaliers, qui avaient gardé l’esprit fruste de leurs ancêtres, et tous ils partirent d’un grand rire sonore, auquel se mêlèrent les éclats argentins de la voix de la princesse Guinalda.
Seul Malud ne riait pas. Écumant de rage, il s’approcha de Blake et lui jeta son gant de mailles d’acier au visage.
Un silence mortel succéda alors aux rires. C’était là une insulte qui ne pouvait être lavée que par un combat singulier.
« C’est bien, dit Blake, blanc de colère. Nous nous retrouverons demain, dans la grande cour du château, et nous verrons si je sais découper ! »
Tremblante, la princesse Guinalda s’avança vers l’Américain. « Messire James, dit-elle, je désire faire quelques pas dans le jardin, accompagnez-moi ! »
Et, prenant son bras, elle l’entraîna, après avoir indiqué, d’un geste impérieux à ses filles d’honneur, qu’elle entendait rester seule avec le jeune chevalier.
Blake demeura longtemps silencieux, marchant auprès de la jeune fille et lui lançant de temps en temps un regard furtif plein d’admiration.
« Vous êtes bien belle ! murmura-t-il enfin.
– En vérité ? » fit la jeune fille avec coquetterie.
Soudain, elle s’arrêta et le contempla gravement.
« Sire James, dit-elle, vous êtes très brave… ou bien vous êtes fou d’avoir ainsi provoqué la fureur de Malud. Il vous tuera demain, car il est victorieux dans tous les tournois !
– Et vous vous souciez un peu de mon sort ? » demanda doucement Blake.
Guinalda rougit et détourna les yeux. Puis elle répondit :
« Je suis la fille du prince de Nimmr, et je me soucie du sort du plus humble de nos sujets. »
« Et pan ! voilà pour te clouer le bec, mon garçon ! » se dit Blake en lui-même.
Mais il ne formula point sa pensée et se contenta de sourire. Alors Guinalda rougit plus fort et frappa du pied.
« Voilà un sourire bien impertinent, messire ! dit-elle. Il ne me plaît point qu’on me raille comme une chambrière !
– Je ne raille pas ! protesta Blake.
– Alors, pourquoi avez-vous souri ?
– Parce que vos yeux m’ont répondu avant vos lèvres et que j’ai compris que vos yeux me disaient la vérité ! »
Écarlate, Guinalda resta un moment sans voix :
« Voilà vraiment une grande insolence ! dit-elle enfin. Je ne supporterai pas de nouvelles offenses ! »
Et elle se détourna, hautaine, pour rejoindre ses femmes. Blake courut derrière elle et la rattrapa.
« Demain, murmura-t-il en ployant le genou devant la princesse, demain je combattrai contre messire Malud dans la grande cour du château. Mais si vous priez un peu pour moi, je sens que je serai capable de triompher du meilleur jouteur de la cité de Nimmr. »
Mais, digne et hautaine, la princesse Guinalda poursuivit son chemin, sans marquer par un clignement de cils qu’elle avait entendu les paroles du jeune homme.
CHAPITRE XII
TU MOURRAS DEMAIN !
La nuit qui suivit le retour d’Ulal, une grande fête fut donnée dans le village de Batando.
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