Fahd et Motlog sont allés à la chasse, pour le repas du soir. S’ils ont tiré sur un éléphant, c’est certainement par erreur.

– Silence ! dit Tarzan. Qu’on m’enlève ces liens et préparez-vous à reprendre le chemin par lequel vous êtes venus. Je vous accorde des porteurs et des guides jusqu’à la frontière du Soudan, c’est tout ce que vous obtiendrez de moi !

– Nous avons fait un long et pénible voyage pour nous livrer en paix au commerce dans ce pays, larmoya Ibn Jad. Nous nous proposons de payer largement les porteurs que tu as pris pour des esclaves, et nous prendrons garde de ne tirer sur aucun éléphant. Laisse-nous poursuivre notre chemin et nous te récompenserons comme il convient. »

Tarzan secoua la tête.

« Non ! Vous partirez, j’ai dit ! Allons, coupez ces liens ! »

Ibn Jad fronça les sourcils :

« Nous t’avons offert la paix, Infidèle, dit-il, mais, si tu la refuses, ce sera la guerre ! Tu es en notre pouvoir et tu dois savoir qu’un ennemi mort est impuissant. Réfléchis-y ! »

Puis il se tourna vers Fahd :

« Entrave-lui les chevilles et place-le sous bonne garde.

– Réfléchis aussi, Musulman ! avertit Tarzan. Ma puissance est grande et ma vengeance pourrait bien t’atteindre, même par-delà la mort !

– Tu as jusqu’à la nuit pour te décider, Infidèle. Sache que Ibn Jad ne revient jamais sur ce qu’il a décidé une fois ! »

Tarzan fut aussitôt entouré et conduit, à distance, dans une hutte étroite. Il fallut quatre hommes robustes pour lui lier les jambes, car il se défendait avec acharnement, bien que ses mains fussent ligotées.

Sous la tente du cheik, les Bédouins buvaient le café et croquaient des amandes ou des pistaches, tout en discutant sur les suites qu’il convenait de donner au fâcheux événement qui venait de se produire. Malgré ses bravades, Ibn Jad se rendait parfaitement compte du danger qu’il courait en provoquant la colère d’un si redoutable ennemi.

« Sans Motlog, dit Fahd, rancunier, nous n’aurions plus à nous préoccuper de l’Infidèle, car j’étais prêt à l’égorger lorsque Motlog s’est interposé !

– Et nous aurions maintenant toute la population du pays contre nous ! dit Motlog en lançant un regard venimeux à son compagnon.

– Par Allah ! Je regrette que Fahd n’ait pas mis sa première intention à exécution, s’exclama Tollog. À quoi cela nous sert-il de laisser l’Infidèle en vie ? Si nous lui rendons la liberté, il ameutera tout le pays, et, si nous le gardons captif, toutes ces hordes, qui lui sont dévouées, viendront le délivrer. Le plus sûr serait encore de le mettre à mort !

– Tollog, la sagesse parle par ta bouche, approuva le cheik.

– Écoute ! fit Tollog, les paroles que je vais prononcer maintenant sont plus sages encore ! »

Et il reprit à mi-voix, après s’être assuré que nulle oreille indiscrète n’écoutait :

« Si nous laissions l’Infidèle s’échapper, nul de nos esclaves ne pourrait plus tard dire à ces frères que nous nous sommes attiré l’inimitié de Tarzan !

– Par Allah ! s’exclama Fahd avec mépris. Que nous dis-tu là, Tollog ! Si tu veux le libérer, l’Infidèle se chargera lui-même de soulever les gens contre nous ! Tu n’as pas plus de cervelle qu’un chameau, ô Tollog !

– Et toi, pas plus de patience qu’un enfant, ô Fahd ! répliqua Tollog, sans se fâcher. Attends la suite ! Nos esclaves croiront que l’Infidèle s’est enfui, car demain matin il aura disparu et nous entrerons dans une grande colère… ou, plutôt non, nous dirons : « Grâces soient rendues à Allah, car notre sage cheik a fait la paix avec l’Infidèle, qui est retourné dans la jungle après avoir conclu une alliance avec nous ! »

– Je ne comprends pas, frère ! dit Ibn Jad.

– Le roumi est sans défense, sous une tente que j’ai choisie un peu à l’écart des autres. La nuit sera sombre, et un coup de poignard sera vite donné. Quelques hommes de confiance suffiront à creuser une fosse profonde dans laquelle nous enterrerons ce Tarzan, dont nous n’entendrons plus parler jamais ensuite !

– Par Allah ! le sang des cheiks ne coule pas en vain dans tes veines, ô Tollog ! s’écria Ibn Jad. Ton plan est sage et, en récompense, tu l’exécuteras toi-même. Que la bénédiction d’Allah soit sur toi ! »

Et le cheik leva la séance, satisfait de la solution qu’avait fournie son frère à cet embarrassant problème. Quant à Tollog, il s’éloigna de son côté, pour se livrer à ses sinistres préparatifs.

CHAPITRE II

UN AMI À TOUTE ÉPREUVE

Une nuit sans étoiles régnait sur le camp. Tarzan avait cherché à rompre les liens qui l’enserraient, mais les courroies de cuir étaient solides et, malgré sa force herculéenne, il avait dû y renoncer.

Il écoutait attentivement les bruits de la jungle qui parvenaient jusqu’à lui ; il reconnaissait le rugissement de Numa, le lion, et le grognement de Sheeta, la panthère. Enfin, de loin, il perçut le barrissement de Tantor.

Cachés dans l’ombre, derrière la tente du cheik, Ateja, sa fille, parlait à voix basse avec Zeyd, qui lui étreignait doucement les mains.

« Dis-moi que tu n’aimes que Zeyd, ô Ateja ! murmurait le jeune homme.

– Combien de fois te l’ai-je déjà dit ? fit Ateja en riant doucement.

– Tu n’aimes pas Fahd, n’est-ce pas ?

– Par Allah, non !

– Pourtant, ton père semble avoir décidé que tu serais son épouse.

– Il se peut que mon père ait formé ce projet, mais je hais Fahd, je le méprise, et jamais je n’accepterai pour époux un homme que je hais et que je méprise !

– Moi aussi, je méprise Fahd, et je me méfie de lui, dit Zeyd. Je le crois déloyal envers ton père, et non pas seulement lui, ô Ateja ! Il en est un autre qui le trahirait volontiers, mais je n’ose dire son nom… je les ai souvent surpris tous deux en conciliabule secret. » La jeune fille hocha la tête.

« Je sais ! Tu n’as point besoin de me dire son nom, mais je le hais autant que Fahd.

– Il appartient pourtant à ta famille, murmura le jeune homme en hésitant.

– Sans doute, mais puisque le frère de mon père trahit sa confiance, pourquoi continuerais-je à l’honorer ? Je sais que c’est un traître, mais mon père est aveuglé à son endroit. Tollog convoite le titre de cheik et je suis certaine qu’il a gagné Fahd en lui promettant de décider mon père à l’accepter pour gendre.

– Ô Ateja, cela n’est pas possible…

– Par Allah, qu’est-ce que cela ? » s’exclama soudain la jeune fille.

Au même instant, un grand mouvement se produisit dans le camp. Les esclaves, déjà couchés, se relevèrent en hâte et les Arabes sortirent de leurs tentes, leurs mousquets à la main. Un cri effrayant et inhumain venait de retentir dans le calme de la nuit.

« Par Allah ! s’exclama Ibn Jad. Ce cri venait du camp, et c’était celui d’une bête fauve, alors qu’il n’y a ici que des hommes.

– Peut-être, était-ce ?… »

Fahd se tut, n’osant achever sa phrase.

« Celui-là est un homme, et seul le gosier d’un fauve peut avoir émis pareil hurlement, répondit Ibn Jad en haussant les épaules.

– Mais c’est un Infidèle, insista Fahd. Peut-être a-t-il conclu un pacte avec Cheïtan ?

– D’autant plus que le bruit provenait de l’endroit où il est enfermé, observa un autre Bédouin.

– Allons ! fit Ibn Jad.

Pistolets au poing, les Arabes s’approchèrent de la tente sous laquelle Tarzan était étendu. Craintivement, ils jetèrent un coup d’œil à l’intérieur.

« Il est là ! » murmura Fahd. Ibn Jad s’avança :

« As-tu entendu crier ? demanda-t-il rudement au prisonnier.

– Oui, répondit Tarzan.