Es-tu venu me déranger, ô cheik, pour me faire une aussi sotte question ou pour me délivrer ?
– Qui a poussé ce cri ? Qu’est-ce que cela signifie ? » poursuivit le cheik sans daigner répondre.
Tarzan eut un sourire.
« Un fauve, sans doute, qui appelait à lui l’un de ses congénères. Est-il dans les habitudes des nobles Bédouins de trembler chaque fois qu’ils entendent un cri dans la jungle ?
– Par Allah ! gronda Ibn Jad, les Bédouins n’ont peur de rien ! Nous avons simplement cru que ce cri venait de cette tente, et nous sommes accourus à ton secours. Demain, ô Infidèle, tu seras délivré.
– Pourquoi ne me délivres-tu pas ce soir ?
– Mes hommes ont peur de toi. Ils voudraient être sûrs que tu t’éloigneras dès que tu seras libre.
– C’est bien mon intention. Je n’ai nulle envie de rester dans ce camp infesté de vermine !
– Nous ne pouvons te laisser partir dans la jungle la nuit, pendant que le lion erre aux environs ! » protesta le cheik avec une feinte sollicitude.
Tarzan, cette fois, se mit à rire franchement.
« Je suis plus en sécurité dans la jungle qu’un Bédouin dans le désert, dit-il. La jungle n’a point de mystère pour Tarzan !
– Eh bien, soit ! Demain, tu seras libre ! » fit le cheik, avec une bienveillance simulée, sans paraître avoir compris les paroles de Tarzan.
Et, en disant ces mots, il se retira, avec son escorte.
Tarzan attendit que le bruit de leurs pas se fût perdu dans l’éloignement, puis il colla son oreille au sol.
Les Arabes avaient été épouvantés par le hurlement qui s’était élevé dans la nuit, mais ils ne lui avaient attribué aucune signification. Au contraire, dans la jungle, en percevant ce cri, celui auquel il était destiné avait en même temps compris le message d’alarme qu’il représentait. Aussi Tantor éleva-t-il sa trompe en barrissant avec force, puis, ses petits yeux pleins de colère, il se mit à courir de son trot le plus rapide.
*
* *
Le silence était retombé sur le camp du cheik Ibn Jad, à mesure que les guerriers et les esclaves reprenaient leur somme interrompu. Seuls, le cheik et son frère étaient restés éveillés et fumaient en silence, devant la tente du chef.
« Prends soin que les esclaves ne t’aperçoivent pas lorsque tu t’approcheras de la tente de l’Infidèle pour l’égorger, dit Ibn Jad, à voix basse. Agis silencieusement et, lorsque tu auras terminé, ne t’adjoins que deux esclaves pour le reste de la besogne : Fejjuan, par exemple, et Abbas. Mais il vaudrait mieux qu’ils ignorent comme le roumi a péri. Tu pourrais leur dire que tu t’es approché de sa tente pour lui transmettre un message de ma part et que tu l’as trouvé poignardé.
– Compte sur ma discrétion, frère ! assura Tollog.
– Alors va, maintenant. Tout le monde dort ! »
Le cheik se leva et Tollog l’imita. Le premier rentra sous sa tente, tandis que l’autre rampait silencieusement dans la direction de la tente où gisait sa victime sans défense.
Pendant ce temps, Tantor l’éléphant, foulant sous ses énormes pieds les buissons et les arbustes, continuait sa marche lente, mais sûre…
Tollog, le frère de Ibn Jad, était maintenant tapi derrière la tente du prisonnier, mais, malgré toutes ses précautions, Tarzan l’avait entendu approcher, et ses allures circonspectes lui avaient permis de deviner aisément les intentions du visiteur.
Aussi, au moment où Tollog s’apprêtait à bondir dans la tente, Tarzan se dressa-t-il pour lancer de nouveau, à pleins poumons, l’épouvantable cri qui avait réveillé le camp en sursaut au début de la nuit.
Le Bédouin sentit ses dents claquer malgré lui.
« Par Allah ! cria-t-il. Quelle est cette bête. As-tu été attaqué, ô Infidèle ? »
Cette fois encore, bien des hommes, dans le camp, avaient été réveillés, mais, de plus en plus inquiets, ils n’osaient bouger et se contentaient de s’interroger à voix basse.
« Infidèle, es-tu blessé ? » reprit Tollog.
Il n’obtint pas de réponse.
Alors, tenant son poignard à la main, le Bédouin pénétra dans la tente. Il vit le fils de la jungle étendu à terre. Il était seul ! Alors, Tollog comprit :
« Par Allah ! c’était toi, Infidèle, qui poussait ces cris épouvantables ?
– Tu es venu tuer l’Infidèle, n’est-ce pas, Bédouin ? » fit Tarzan.
De la jungle s’éleva le rugissement bref d’un lion et le barrissement tout proche d’un éléphant. Mais la palissade du camp était haute et bien garnie d’épines, aussi Tollog ne prêta-t-il pas la moindre attention à ces bruits familiers de la nuit africaine. Sans répondre à la question de Tarzan, il éleva son bras, au bout duquel scintillait la lame de son poignard, et ceci, en somme, constituait une réponse suffisante.
Puis il s’approcha, doucement, sans se presser, de sa victime. Il abattit son bras sur la poitrine du prisonnier, mais celui-ci, prompt comme l’éclair, avait levé ses poignets liés, pour parer le coup, en même temps que, d’une brusque détente des genoux, il envoyait son adversaire rouler à l’autre bout de la tente.
Dehors, quelque chose craqua avec fracas, et on entendit un gémissement d’agonie.
Déjà Tollog s’était relevé et revenait à la charge :
« Tu vas mourir, Infidèle ! » murmura-t-il.
Mais, soudain, il tressaillit :
« Par Allah ! Qu’est-ce que cela ? »
À l’instant précis où il prononçait ces mots, la tente tout entière fut arrachée du sol, comme si elle eût été emportée, par un ouragan. Égaré, Tollog cherchait à fuir, mais quelque chose de souple et de fort l’enserra par la taille et l’enleva dans les airs, pour le laisser retomber, comme une pierre, dans le vide !
Tantor poussa un rauque cri de victoire. Avec délicatesse, il s’empara du corps de Tarzan et le posa sur son dos. Puis, satisfait, il traversa le camp terrifié et disparut dans la nuit.
Les Arabes étaient terrorisés, d’autant plus qu’ils n’avaient pas encore réalisé exactement ce qui s’était passé. Lorsque le danger se fut un peu écarté, une troupe d’hommes armés fit une ronde dans tout le camp et on découvrit qu’à l’emplacement où s’élevait la tente qui servait de prison à l’Infidèle, le sol était nu, la prison ayant disparu avec le prisonnier.
Non loin de là, un groupe de Bédouins contemplaient, bouche bée, un singulier spectacle : un homme était accroché par ses vêtements au sommet pointu de l’une des tentes des guerriers et se débattait comme une araignée au bout d’un fil.
Cet homme n’était autre que Tollog, qui jurait et vociférait, alors qu’il aurait au contraire dû rendre grâces à Allah d’avoir été ainsi miraculeusement arrêté dans sa course aérienne au lieu de s’écraser par terre.
Attiré par le bruit, Ibn Jad apparut à son tour et reconnut son frère.
« Par Allah ! s’écria-t-il stupéfait. Que se passe-t-il et que fais-tu, mon frère, au sommet de la tente d’Abd-Aziz ? »
Un esclave s’approcha du cheik :
« L’Infidèle est parti et il a emporté la tente avec lui ! » dit-il en roulant des yeux effarés.
Ibn Jad se tourna vers Tollog :
« Ne peux-tu t’expliquer, frère ? fit-il. L’Infidèle est-il vraiment parti ?
– Oui ! dit Tollog. Il a fait alliance avec Cheïtan, qui est apparu sous la forme d’un éléphant et l’a emporté dans la jungle, après m’avoir jeté sur le toit de cette tente, où je me trouve encore, pendant que toutes ces canailles me contemplent au lieu de venir à mon aide ! »
Le cheik fronça les sourcils et s’absorba dans ses réflexions, puis, faisant signe à ses guerriers d’aider son frère à se dégager de sa fâcheuse position, il s’éloigna.
« Demain, de bonne heure, le rahla ! » dit-il.
Et chacun, en conséquence, fit ses préparatifs pour lever le camp.
*
* *
Dans la forêt, Tantor avait conduit Tarzan jusqu’à une étroite clairière tapissée de mousse, sur laquelle l’éléphant déposa doucement son fardeau.
« Demain, dit Tarzan, nous verrons comment nous pourrons venir à bout de ces liens, mais, pour l’instant, dormons ! »
Cette nuit-là, les fauves de la forêt, attirés par l’odeur de l’homme sans défense, rôdèrent autour de la clairière, sans oser s’en approcher, tenus en respect par la présence de Tantor, qui veillait sur le sommeil de son ami.
*
* *
Dès l’aube, le camp d’Ibn Jad se trouva en pleine effervescence. À peine les guerriers prirent-ils le temps d’absorber une mince galette de maïs pour le premier repas du matin. Ils s’occupèrent aussitôt après d’aider les femmes et les esclaves à abattre et à plier les tentes.
Moins d’une heure après, la caravane était en marche, dans la direction du Nord, vers El-Habash.
Les Bédouins et leurs femmes étaient montés sur ceux des chevaux qui avaient survécu au long voyage à travers le désert, tandis que leurs esclaves les plus dévoués marchaient en tête de la colonne.
Les esclaves récemment arrachés à leurs foyers servaient de porteurs et étaient reliés les uns aux autres par une immense chaîne.
Zeyd caracolait aux côtés d’Ateja, la fille du cheik, avec laquelle il échangeait souvent de doux regards énamourés.
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