Fahd suivait ce manège avec une fureur qui n’osait s’exprimer et Tollog le contemplait avec une joie perfide.
« Zeyd est un prétendant plus favorisé que toi ! murmura-t-il, à l’oreille du jaloux.
– Il lui a répété des calomnies sur mon compte et, depuis, elle ne daigne même plus me regarder ! grommela Fahd avec une rage concentrée.
– Pourtant, si le cheik te donnait la préférence…
– Mais il ne se prononce pas… Tu m’avais promis d’intercéder en ma faveur !
– Par Allah, je l’ai fait, dit Tollog, mais mon frère est trop faible pour sa fille et il cédera toujours aux caprices de celle-ci. Or, elle s’est entichée de ce blanc-bec !
– Mais alors, que faire ? dit Fahd.
– Ah ! si seulement j’étais le cheik, dit Tollog en coulant un regard hypocrite sur son compagnon.
– Eh bien, si tu étais le cheik, que ferais-tu ?
– Ma nièce n’aurait pas d’autre époux que celui de mon choix.
– Oui, mais tu n’es pas le cheik ! » murmura Fahd.
Tollog s’approcha tout près de Fahd et lui murmura à l’oreille :
« Un prétendant aussi ardent que Zeyd trouverait bien le moyen de faire de moi un cheik si son bonheur en dépendait ! »
Fahd ne répondit rien et continua son chemin, la tête basse et les sourcils froncés.
CHAPITRE III
LES SINGES DE TOYAT
Trois jours passèrent lentement. Les Arabes poursuivaient leur chemin vers El-Habash. Pendant ce temps, Tarzan gisait dans la petite clairière, garrotté et veillé par Tantor. Chaque jour, l’éléphant allait chercher de l’eau et de la nourriture pour son compagnon.
Les courroies de cuir ne cédaient pas et rien ne semblait devoir permettre à Tarzan de s’en délivrer. Il avait appelé Manu, le singe, pour lui demander de le délier, mais Manu, toujours étourdi, avait promis avec emphase et oublié tout aussitôt.
Aussi le fils de la jungle restait-il sans secours, inerte et sans défense, sachant fort bien que la situation pourrait s’éterniser ainsi jusqu’à sa fin.
Le matin du quatrième jour, Tantor montra des signes d’impatience et de malaise. Il avait épuisé les ressources des environs pour assurer sa nourriture et celle de Tarzan. Il désirait maintenant partir et emporter son compagnon, mais le fils de la jungle, lui, s’y opposait.
En effet, Tarzan se rendait compte qu’il aurait moins de chances encore d’être délivré s’il s’enfonçait plus loin dans la jungle. Tout compte fait les seuls êtres qui fussent capables de le délivrer, c’étaient les Mangani, les grands orangs. Or, il se trouvait déjà à la limite de la contrée habitée par les grands singes, et, s’il s’en éloignait, toutes ses chances disparaîtraient du même coup.
Pourtant, Tantor désirait vivement s’en aller. Il saisit doucement Tarzan avec sa trompe et le retourna sur le gazon ; puis il l’éleva dans les airs.
« Remets-moi par terre, Tantor ! » dit Tarzan.
Le pachyderme obéit, mais il se détourna et s’éloigna. Arrivé au bout de la clairière, il hésita et s’arrêta un instant, en agitant sa trompe avec indécision.
« Pars, Tantor ! dit Tarzan. Va plus loin, là où la provende est plus abondante. Demain, les Mangani viendront peut-être ! »
L’éléphant eut un barrissement joyeux et s’enfonça dans la jungle. Longtemps, Tarzan entendit les pas de son ami qui s’éloignait.
« Il est parti ! se dit-il. Je ne peux pas lui en vouloir… Et, d’ailleurs, qu’importe que mon sort se décide aujourd’hui ou demain ? »
La matinée s’écoula, puis la chaleur accablante de midi s’étendit sur la jungle. Seuls les insectes semblaient encore vivants. Ils tourbillonnaient autour de Tarzan en nuées compactes et l’importunaient, mais le poison de leur piqûre était depuis longtemps sans effet sur le géant.
Soudain un grand remue-ménage se fit dans les frondaisons. Le petit Manu et toute sa famille descendirent en troupeaux des basses branches sur lesquelles ils étaient perchés, jasant, babillant, piaillant et grimaçant pour exprimer une extrême terreur.
« Manu, cria Tarzan. Que se passe-t-il ?
– Les Manganis ! Les Manganis, répondirent les macaques.
– Va les chercher, Manu ! ordonna Tartan.
– Mais nous avons peur !
– Va sur la cime des arbres et, de là, tu diras aux Manganis de venir près de moi, dit Tarzan. Tu sais bien qu’ils ne peuvent t’atteindre lorsque tu es sur les hautes branches.
– Nous avons peur !
– Allons, va ! Manu est courageux et n’a point peur des Manganis !
– C’est vrai, c’est vrai ! s’écrièrent les singes ravis de cette flatterie imméritée. Allons ! »
Et quelques-uns parmi les macaques, séduits par ce compliment, se mirent en devoir de grimper à la cime des arbres.
Tarzan attendit.
Bientôt, il entendit les paroles gutturales des grands singes, ses frères, les Manganis. Peut-être les membres de la horde qui s’approchait le connaissaient-ils ? En tout cas, c’était sur eux que reposait son unique espoir !
Tarzan entendit les macaques héler les Manganis, tandis qu’ils se tenaient à distance respectueuse, tout au haut des plus grands arbres, là où les branches supportent à peine leur poids et où les grands singes ne peuvent se hasarder.
Puis le silence se fit, troublé seulement par le bourdonnement des insectes. Tarzan savait que, maintenant, à travers les épaisses frondaisons, des yeux injectés de sang l’épiaient attentivement. Sans doute sa vue allait-elle éveiller la haine et la colère des singes, car, extérieurement, n’avait-il pas l’apparence d’un homme, d’un Tarmangani, et par conséquent de l’ennemi le plus cruel des Manganis ?
Il se hâta de prendre la parole, dans la langue des orangs :
« Je suis un ami ! cria-t-il. Les Tarmanganis m’ont capturé et m’ont lié les poignets et les chevilles. Je ne peux plus bouger, je ne peux plus me défendre, je ne peux plus chercher ni eau ni fruits. Viens et ôte mes liens ! » Le feuillage bougea légèrement :
« Tu es un Tarmangani ! répliqua une voix.
– Je suis Tarzan ! rectifia Tarzan.
– Oui ! s’exclamèrent les macaques, il est Tarzan ! Il est Tarzan, c’est vrai ! Les Tarmanganis et les Gomanganis l’ont capturé et Tantor l’a amené ici !
– Je connais Tarzan ! » fit une autre voix.
Le feuillage frémit et un grand singe velu apparut. Il s’approcha de Tarzan.
« M’walat ! s’exclama Tarzan.
– C’est bien Tarzan ! déclara le grand singe.
– Que dis-tu ? s’écrièrent ses compagnons, sans comprendre.
– Quelle est cette horde ? demanda Tarzan à M’walat.
– Toyat en est le roi, répondit le singe.
– Alors, ne leur dis pas encore qui je suis réellement, murmura Tarzan. Coupe d’abord ces liens qui me serrent, car Toyat me hait et me tuera s’il me voit sans défense !
– C’est vrai ! reconnut M’walat.
– Tiens ! fit Tarzan en tendant ses poignets : tranche ces liens avec tes dents !
– Tu es Tarzan, l’ami de M’walat, dit le singe.
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