M’walat fera donc ce que tu demandes ! »
Certes, cette conversation était loin de ressembler à la transcription que nous en donnons ici. C’était un mélange de grognements, de cris gutturaux et de reniflements, mais il suffisait parfaitement à Tarzan et à son ami pour se comprendre.
Tandis que les autres membres de la horde restaient encore invisibles, M’walat se pencha sur les courroies et, d’un seul coup de dents, trancha le lien qui retenait les poignets du fils de la jungle. Après quoi, il opéra de même pour ses chevilles.
Tarzan bondit alors sur ses pieds ; et la bande parut alors. À sa tête se trouvait Toyat, le roi, suivi par une dizaine de grands mâles robustes et un nombre égal de femelles. Celles-ci, avec leurs petits, restèrent en arrière, mais les mâles s’avancèrent tout droit vers Tarzan.
Le roi grondait d’une façon peu rassurante :
« Tarmangani ! cria-t-il l’écume à la bouche.
– Je suis Tarzan, l’ami des Manganis, dit le fils de la jungle.
– C’est un Tarmangani, ennemi des Manganis ! fit Toyat. Ses congénères viennent avec des bâtons à feu et nous tuent. Tuons les Tarmanganis !
– C’est Tarzan ! grommela Gayat. Lorsque j’étais encore petit, il m’a sauvé des griffes de Numa. Tarzan est l’ami des Manganis !
– Tuons le Tarmangani ! » hurla Toyat.
Le cercle menaçant des singes s’était rapproché de Tarzan. M’walat et Gayat s’étaient rangés à ses côtés, mais Tarzan savait qu’à eux trois ils ne pourraient venir à bout de tous les autres. Aussi leva-t-il la main pour réclamer l’attention :
« Silence ! cria-t-il. Je suis Tarzan ! le puissant chasseur, le grand guerrier ! Autrefois j’appartenais à la tribu de Kerchak. Lorsque celui-ci mourut, je devins roi à sa place. Beaucoup d’entre vous me connaissent ; ils savent que j’ai été longtemps un Mangani et que je suis resté l’ami et l’allié des Manganis. Toyat voudrait me tuer parce qu’il me hait. Il me hait, non pas parce qu’il me prend pour un Tarmangani, mais parce que je l’ai empêché autrefois de devenir roi ! Il y a bien longtemps de cela et la plupart d’entre vous tétaient encore leur mère. Si Toyat est maintenant un bon roi, Tarzan est content, mais Toyat n’agit pas en bon roi en essayant de vous irriter contre votre meilleur ami ! »
Tarzan s’arrêta un instant. Tous les singes l’écoutaient attentivement.
« Toi, Zutho ! reprit-il en désignant du doigt un jeune anthropoïde, tes yeux brillent de fureur et tu es prêt à plonger tes griffes dans la chair de Tarzan. As-tu donc oublié ce jour où, mourant, tu fus abandonné par ta tribu ? As-tu oublié qui t’a apporté des fruits et de l’eau ? Qui t’a protégé de la dent de Numa ou de Sheeta durant les longues nuits ? »
Ce discours était bien long pour les hôtes de la jungle. Avant que Tarzan eût terminé, l’attention des singes s’était déjà détournée. L’un d’eux se grattait avec délices, l’autre cherchait des insectes comestibles dans un tronc d’arbre mort. Pourtant Zutho cherchait à rassembler ses souvenirs, dans son petit crâne obtus.
« Zutho se souvient, déclara-t-il enfin. Zutho est un ami de Tarzan ! »
Et il se rangea aux côtés de M’walat et de Gayat. Mais, sauf Toyat, tous les autres singes s’étaient maintenant désintéressés de la question et commençaient à se disperser en quête de baies et de fruits.
Toyat, lui, continua à gronder, mais, puisque le plaisir de la lutte lui était refusé, il finit par se résigner et se mit à chercher pâture à son tour.
Ainsi donc, Tarzan se retrouvait avec les grands anthropoïdes. Comme si ces événements dataient de la veille, il se rappelait Kerchak, l’énorme bête qui, à ses yeux d’enfant, avait personnifié la force brutale, la férocité et l’autorité à tel point que, rétrospectivement, Tarzan ressentait encore un certain malaise à se remémorer ses gigantesques proportions.
Il se rappelait aussi ses batailles avec Terkoz, puis avec Bolgani, le gorille. Il pensa à Teeka, la gracieuse guenon, à Tana, à Tibo, à tous ses compagnons de jadis et il se laissa reprendre au plaisir de cette vie insouciante et vagabonde, cependant qu’Ibn Jad poursuivait patiemment son chemin vers la légendaire cité de Nimmr et que, à l’autre extrémité de la jungle, se déroulaient des événements qui allaient entraîner Tarzan dans une nouvelle et bien étrange aventure.
CHAPITRE IV
BOLGANI, LE GORILLE
Un porteur noir se prit le pied dans une racine et tomba sur le sol, éparpillant sa charge autour de lui.
Cet accident, qui n’a rien en soi de très extraordinaire, devait modifier entièrement l’existence de James Hunter Blake, jeune et riche Américain qui était parti pour l’Afrique, en expédition de chasse, avec son ami Wilbur Stimbol.
Ce dernier avait passé trois semaines dans la jungle, deux ans auparavant, et il était par conséquent le chef moral de l’expédition ; il se considérait comme une autorité infaillible en matière de chasse au gros gibier et de mœurs indigènes. De plus, comme il était l’aîné de Blake d’au moins vingt ans, c’était une raison de plus pour qu’il eût le pas sur son compagnon.
Toutefois des froissements n’avaient pas tardé à se faire sentir entre les deux hommes. Blake s’était rapidement senti irrité par le ton cassant et les manières brutales de son camarade. Ils étaient partis avec un opérateur de cinéma, afin de prendre des vues de la jungle, mais celui-ci, excédé par l’attitude de Stimbol, s’était bientôt séparé d’eux.
Blake était surtout révolté par la façon dont Stimbol agissait envers les indigènes de l’escorte. Pourtant, il espérait bien prendre le chemin du retour sans s’être positivement fâché avec Stimbol…
Mais un nègre se prit le pied dans une racine et renversa sa charge…
Stimbol et Blake marchaient côte à côte, non loin de là.
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