Dans sa chute, le porteur entraîna Stimbol, qui tomba avec lui, sous les rires de tout le safari, qui s’amusait sans malice de l’incident.
Le porteur se releva péniblement et Stimbol s’épousseta, le visage pâle de colère.
« Maudit imbécile ! » s’écria-t-il.
Et, avant que Blake ait pu s’interposer, il brandit sa cravache et en assena de toutes ses forces un coup sur le visage du noir abasourdi. Il releva le bras, pour l’abattre de nouveau, mais déjà Blake, indigné, s’était précipité sur lui et, n’écoutant que le dégoût que lui inspirait cette conduite inqualifiable, il zébrait à son tour le visage de Stimbol d’un coup de cravache semblable à celui que celui-ci venait d’infliger à l’indigène.
Stimbol tomba sur les genoux et chercha son revolver dans son étui. Mais Blake l’avait devancé :
« Haut les mains ! clama-t-il, en dirigeant sur son compagnon le canon de son revolver. Levez-vous et, maintenant, écoutez-moi, Stimbol. Ceci est vraiment la goutte qui fait déborder le vase ! C’est fini, désormais, entre vous et moi. Demain matin, nous partagerons le safari et l’équipement et, quelle que soit la direction que vous preniez, j’irai dans la direction opposée ! »
Ayant ainsi parlé, Blake se détourna et fit signe à l’escorte de reprendre sa marche. Le safari se remit donc en mouvement, sans rires ni chansons, chacun étant absorbé par la pensée des événements qui venaient de se dérouler.
Blake établit le camp dès qu’un endroit convenable se présenta à lui. Il avait hâte que, durant l’après-midi, il fît le partage des provisions et des munitions, afin que les deux safaris pussent repartir dès le lendemain matin.
Stimbol, l’air sombre, n’avait pas desserré les dents. Avec deux hommes bien armés, il quitta le camp pour aller chasser et surtout pour échapper à la vue de Blake.
Il avait à peine parcouru un kilomètre avec ses guides lorsque l’un des noirs le saisit par le bras pour lui recommander la prudence. Stimbol aperçut alors une masse sombre parmi les arbres, à quelque distance.
« Qu’est-ce que cela ? murmura-t-il.
– Un gorille ! » répondit le nègre, sur le même ton.
Aussitôt, Stimbol leva son arme et tira sur la silhouette à peine distincte. Bien entendu, il manqua son coup.
« Sapristi ! s’écria-t-il. Allons, courons sur lui… Je veux l’avoir. Ce sera un superbe trophée ! »
Ils continuèrent donc à avancer et à plusieurs reprises se retrouvèrent en vue de l’animal qui battait en retraite. Chaque fois qu’il l’apercevait, Stimbol tirait et, chaque fois, il manquait la cible, en poussant de grands jurons. Les nègres le regardaient, narquois. Ils détestaient Stimbol et tous avaient eu plus ou moins à souffrir de ses brutalités.
De loin, Tarzan, qui était toujours en compagnie de la tribu de Toyat, entendit le premier coup de feu et aussitôt s’élança dans la direction d’où venait le bruit. Il se croyait certain que cette détonation n’avait pas été produite par le fusil d’un Bédouin, car il connaissait la différence d’intensité qui existe entre la détonation d’un antique mousquet, comme ceux dont se servent les Arabes, et celle d’une arme plus moderne.
Ce coup de feu annonçait donc la présence d’un Blanc, et d’un Blanc civilisé, dans la forêt qui était le domaine de Tarzan. Il n’était donc pas étonnant qu’il voulût se rendre compte de plus près de ce qui se passait.
À mesure qu’il approchait, les coups de feu se faisaient plus distincts, et bientôt il entendit un bruit de branches cassées et le murmure des voix.
Bolgani, le gorille, fuyait avec précipitation, car il redoutait les Tarmanganis et leurs terribles armes. Il se hâtait si bien qu’il n’aperçut pas Histah, le python, qui enroulait son long corps autour de l’un des patriarches de la forêt.
L’énorme serpent, dont le tempérament est naturellement irritable, était déjà de mauvaise humeur à cause du bruit des détonations qui l’avaient troublé dans sa sieste. Aussi, lorsqu’il aperçut Bolgani, il décida de passer sa colère sur celui-ci, qu’il laissait cependant généralement tranquille.
Ses petits yeux froids dardés fixement devant lui, il attendit le passage du gorille et lorsque celui-ci, sans défiance, passa au-dessous de la branche sur laquelle était enroulé Histah, le serpent se laissa tomber sur sa proie. Aussitôt les redoutables anneaux se mirent à étreindre Bolgani qui, hagard, essayait de se débattre. Grande est la force du gorille, mais plus grande encore est celle de Histah, le python.
Un cri désespéré, presque humain, jaillit des lèvres de Bolgani lorsqu’il se rendit compte de la situation dans laquelle il se trouvait. Déjà, il était jeté à terre et complètement paralysé par la terrible étreinte qui allait se resserrer jusqu’à ce que son corps broyé ne fût plus qu’une masse informe qu’Histah ingurgiterait alors, lentement, entre ses mâchoires démesurément distendues…
C’est à ce moment que Stimbol et Tarzan surgirent simultanément des fourrés. Mais nul n’aperçut le fils de la jungle, car, comme toujours, il était arrivé silencieusement par le chemin aérien qui lui était familier, et maintenant debout, sur une branche, dissimulé par les frondaisons, il assistait au spectacle qui se déroulait devant lui.
Il vit Stimbol lever son fusil, enchanté à l’idée du magnifique coup double qu’il allait réaliser et qui lui permettrait d’enrichir à la fois sa collection des trophées d’un gorille et d’un python.
Tarzan n’avait pas d’affection particulière pour Bolgani le gorille. Depuis son enfance, il l’avait toujours évité, sans raison spéciale et simplement parce que c’était l’usage chez les orangs.
Cependant, cette fois, il lui sembla excessif que le malheureux Bolgani eût à affronter deux ennemis à la fois et il entreprit de lui porter secours.
En deux bonds, il se précipita sur Stimbol, le jeta à terre, l’étourdit d’un coup de poing et lui arracha son couteau de chasse. Puis, prompt comme l’éclair, il se retourna vers la masse confuse et effrayante que formaient le python et le gorille.
Lorsque Stimbol rouvrit les yeux, il crut rêver devant l’incroyable spectacle qui s’offrait à sa vue. Un géant, qui n’était vêtu que d’une peau de bête en guise, de pagne, luttait de toute la force de ses muscles prodigieux contre le python qui cherchait à l’étreindre, sans y parvenir. Des grondements et des rugissements se faisaient entendre et, incrédule, Stimbol s’aperçut que ces cris ne provenaient pas du gorille inanimé, mais de ce géant, semblable à un demi-dieu grec !
Épouvanté, les yeux hors de la tête, Stimbol recula à distance, craignant pour sa vie s’il restait à proximité de ces trois extraordinaires fauves de la jungle.
Il savait à l’avance que l’homme, quelle que fût sa force, finirait rapidement par être vaincu par le serpent, car quel être humain pourrait, seul, échapper à l’étreinte mortelle des redoutables anneaux du python ?
Déjà Histah avait enserré le torse et une des jambes de l’homme, mais son pouvoir de constriction était diminué par son combat contre le gorille, et Tarzan, au moyen de la lame qu’il avait arrachée à Stimbol, lui infligeait de terribles blessures.
L’homme et le serpent étaient couverts de sang. Tarzan enfonçait son couteau dans le corps du monstre, tandis que celui-ci resserrait ses anneaux, pour essayer de le paralyser. Enfin, il parvint à trancher la colonne vertébrale alors que Histah venait de s’enrouler une fois de plus autour de lui.
Le monstre eut encore quelques mouvements convulsifs, puis peu à peu son étreinte se relâcha et Tarzan put rejeter à terre le corps inanimé de son ennemi.
Alors, sans jeter un coup d’œil à Stimbol, il se tourna vers Bolgani.
« Vas-tu mourir ? lui demanda-t-il dans le langage des grands anthropoïdes.
– Non ! fit le gorille.
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