Je suis Bolgani ! Je suis Bolgani et je tue, Tarmangani !
– Je suis Tarzan, et je t’ai sauvé de l’étreinte de Histah !
– Tu n’es pas venu pour tuer Bolgani ? fit le gorille étonné.
– Non ! Soyons amis ! »
Bolgani fit un effort pour concentrer ses facultés sur ce surprenant problème. Enfin, il reprit la parole :
« Nous serons amis, en effet, dit-il, mais le Tarmangani qui est derrière toi s’apprête à nous tuer tous les deux avec son bâton à feu. Tuons-le d’abord ! »
Péniblement, il se redressa.
« Non, dit Tarzan. Je vais chasser le Tarmangani loin d’ici !
– Le chasser d’ici ? Mais il ne voudra pas partir !
– Je suis Tarzan, seigneur de la Jungle, fit le géant avec orgueil. La parole de Tarzan est la loi de la jungle ! »
Stimbol, de loin, voyant l’homme et la bête grommeler et gronder, supposait qu’un nouveau duel se préparait. Retrouvant son assurance, il cria à Tarzan, au moment où celui-ci s’approchait de lui :
« Écartez-vous, jeune homme, pendant que j’achève cette bête. Après la lutte que vous venez de soutenir contre le serpent, je suppose que vous n’avez pas envie de vous frotter à ce gorille ! »
Tarzan continua à s’approcher et croisa les bras devant l’Américain, qui, tranquillement, s’apprêtait à tirer.
« Baissez votre fusil, dit-il. Vous n’allez pas tirer sur ce gorille.
– Par exemple ! Et pourquoi pas ? Pour quelle raison pensez-vous que je l’aie pourchassé jusqu’à maintenant ?
– C’est votre affaire, mais vous n’allez pas le tuer.
– Dites donc, mon garçon, savez-vous qui je suis ? fit Stimbol, à qui la moutarde commençait à monter au nez.
– Cela ne m’intéresse pas, répliqua froidement Tarzan.
– Eh bien, vous le saurez quand même. Je suis Wilbur Stimbol, de la Compagnie Stimbol et Stimbol de New-York ! »
C’était un nom universellement connu à New-York, commercialement estimé à Londres et à Paris, mais il fallait l’esprit borné du chasseur pour imaginer que cet état civil impressionnerait le moins du monde son étrange interlocuteur.
« Que faites-vous sur mes domaines ? reprit Tarzan avec non moins de hauteur que l’impérieux héritier de la firme Stimbol et Stimbol de New-York.
– Vos domaines ? Qui donc êtes-vous, mon garçon ? » Sans répondre, Tarzan se tourna vers les deux noirs qui suivaient ce débat, bouche bée.
« Je suis Tarzan, leur dit-il en leur dialecte. Que fait cet homme sur mes domaines. Combien de blancs sont avec lui ?
– Ô grand Seigneur ! répondit l’un des noirs avec déférence, nous avons compris que tu étais Tarzan, maître des forêts, lorsque nous t’avons vu lutter contre le serpent. Nul autre dans la jungle ne réaliserait pareil exploit. Ce Blanc est un mauvais maître. Il est en compagnie d’un autre Blanc qui est un bon maître. Ils sont venus pour faire la chasse aux lions, mais ils n’ont pas eu beaucoup de chance et, demain, ils doivent partir.
– Où est leur camp ? demanda Tarzan.
– Près d’ici », répondit le noir.
Alors le fils de la jungle se tourna vers Stimbol :
« Retournez à votre camp, dit-il. Je vous y rejoindrai ce soir et je parlerai avec vous et votre compagnon. Mais ne chassez plus sur les terres de Tarzan, sauf pour la nourriture qui vous est nécessaire. »
Il y avait dans la fière attitude et dans les manières de l’étranger quelque chose qui impressionna Stimbol et l’incita au respect – sentiment qu’il n’avait jamais éprouvé jusque-là que pour quelques milliardaires américains dont la fortune était plus considérable que la sienne.
Sans répondre, il fit demi-tour, en grommelant quelques vagues menaces. Puis il jeta un regard en arrière et, avec ébahissement, vit l’homme et la bête, se tenant fraternellement par le bras, disparaître ensemble dans les fourrés.
Alors, il essuya longuement la sueur qui ruisselait sur son front, rassembla ses idées en déroute et se retourna vers ses porteurs, d’un air furibond :
« Une journée entière est perdue, cria-t-il. Quel est cet individu ? Vous avez l’air de le connaître ?
– C’est Tarzan, répondit l’un des noirs.
– Tarzan ? Je ne connais pas ce nom ! fit Stimbol avec dédain.
– Tous ceux qui connaissent la jungle connaissent Tarzan !
– Peuh ! fit Stimbol, en recouvrant graduellement toute sa morgue, ce n’est pas un coureur de bois qui va apprendre à Wilbur Stimbol où il doit chasser et ce qu’il doit chasser !
– Maître ! dit le noir qui avait déjà parlé, la parole de Tarzan est la loi de la jungle. Ne l’offense pas !
– Taisez-vous !… Je ne vous paie pas pour recevoir vos conseils ! hurla Stimbol hors de lui. Si je dis que nous allons chasser, nous chasserons, et vous tâcherez de ne pas oublier que c’est moi qui suis votre maître ! »
Et, toujours furieux, il se remit en marche, à pas rapides, pour retourner au camp.
CHAPITRE V
LE TARMANGANI
Pendant l’absence de Stimbol, Blake s’occupa donc de diviser les provisions et l’équipement en deux fractions égales. Pour la répartition des porteurs il avait préféré attendre le retour de Stimbol avant de procéder à cette opération, et il était en train d’écrire lorsque les chasseurs revinrent au camp.
D’un coup d’œil, il constata que Stimbol était de fort méchante humeur, mais, comme c’était l’état habituel de celui-ci, Blake ne s’en inquiéta pas, tout en se félicitant intérieurement d’avoir pris la décision de se séparer définitivement de son compagnon.
Lorsqu’il passa devant les deux tas d’effets et de provisions élevés par les soins de Blake, le visage de Stimbol s’assombrit encore.
« Vous voudrez bien vérifier si la répartition est faite à votre convenance, lui dit Blake.
– C’est inutile, fit l’autre, brusquement. Je sais très bien à l’avance que vous avez agi pour le mieux.
– Merci, dit Blake.
– Et quant aux porteurs ?
– Ce ne sera peut-être pas aussi simple que pour les provisions, dit Blake avec embarras. Vous ne les avez pas pris par la douceur, il faut bien le dire, et je crains qu’aucun ne souhaite partir avec vous.
– C’est vous qui êtes dans l’erreur, Blake. Vous ne connaissez rien aux indigènes et vous leur passez tous leurs caprices. Il en résulte qu’ils n’ont aucun respect pour vous parce qu’ils ne vous considèrent pas comme un maître. Je ne serais pas surpris qu’ils veuillent tous m’accompagner. Vous avez fait le partage du matériel, laissez-moi en faire autant pour le personnel.
– Parfait, dit Blake, satisfait d’échapper à cette corvée.
– Hé là ! toi ! fit Stimbol en se tournant vers un des porteurs. Viens ici, et plus vite que ça ! »
Le noir accourut et s’inclina devant les deux hommes.
« Rassemble tous les hommes du camp, dit Stimbol. J’aurai à leur parler dans dix minutes.
– Bien, Seigneur. »
Le noir s’en fut, et Stimbol se tourna vers Blake :
« Un étranger s’est-il présenté au camp cet après-midi ? demanda-t-il.
– Non.
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