Don Juan aux enfers

Quand Don Juan descendit vers l’onde souterraine

Et lorsqu’il eut donné son obole à Charon,

Un sombre mendiant, l’œil fier comme Antisthène,

D’un bras vengeur et fort saisit chaque aviron.

Montrant leurs seins pendants et leurs robes ouvertes,

Des femmes se tordaient sous le noir firmament,

Et, comme un grand troupeau de victimes offertes,

Derrière lui traînaient un long mugissement.

Sganarelle en riant lui réclamait ses gages,

Tandis que Don Luis avec un doigt tremblant

Montrait à tous les morts errant sur les rivages

Le fils audacieux qui railla son front blanc.

Frissonnant sous son deuil, la chaste et maigre Elvire,

Près de l’époux perfide et qui fut son amant,

Semblait lui réclamer un suprême sourire

Où brillât la douceur de son premier serment.

Tout droit dans son armure, un grand homme de pierre

Se tenait à la barre et coupait le flot noir;

Mais le calme héros, courbé sur sa rapière,

Regardait le sillage et ne daignait rien voir.

The two of you are subtle, shadowy:

Man, none has sounded your profound recess;

O sea, none knows the richness of your depths

Since you protect your secrets jealously!

And yet, because you both love death and strife,

You’ve fought each other through the endless years

With no remorse, without a pitying tear—

Relentless brothers, enemies for life!

15. Don Juan in Hell

When Don Juan had descended to the waves

Of Hell, and given coin for Charon’s chores,*

A beggar with Antisthenes’ proud gaze*

Took an avenger’s grip around the oars.

Showing their hanging breasts through open gowns,

Sad women* writhed beneath that blackened sky;

Like victims chosen for the killing ground

They trailed behind him, lowing mournfully.

Sganarelle badgered him to get his pay,

While Don Luis, with trembling gesture there,

Showed all the dead who lined the waterway

That shameless son, who’d mocked his old grey hair.

Quivering with grief, Elvira, chaste and thin,

Near to her lover and unfaithful spouse,

Seemed to be begging one last smile of him,

In which would shine the grace of his first vows.

A great stone man,* stiff in his uniform,

Was the stern helmsman on that gloomy run,

But our calm hero, bent upon his sword,

Stared at the wake, and gave his glance to none.

16. Châtiment de l’orgueil

En ces temps merveilleux où la Théologie

Fleurit avec le plus de sève et d’énergie,

On raconte qu’un jour un docteur des plus grands,

—Après avoir forcé les cœurs indifférents;

Les avoir remués dans leurs profondeurs noires;

Après avoir franchi vers les célestes gloires

Des chemins singuliers à lui-même inconnus,

Où les purs Esprits seuls peut-être étaient venus,—

Comme un homme monté trop haut, pris de panique,

S’écria, transporté d’un orgueil satanique:

‘Jésus, petit Jésus! je t’ai poussé bien haut!

Mais, si j’avais voulu t’attaquer au défaut

De l’armure, ta honte égalerait ta gloire,

Et tu ne serais plus qu’un fœtus dérisoire!’

Immédiatement sa raison s’en alla.

L’éclat de ce soleil d’un crêpe se voila;

Tout le chaos roula dans cette intelligence,

Temple autrefois vivant, plein d’ordre et d’opulence,

Sous les plafonds duquel tant de pompe avait lui.

Le silence et la nuit s’installèrent en lui,

Comme dans un caveau dont la clef est perdue.

Dès lors il fut semblable aux bêtes de la rue,

Et, quand il s’en allait sans rien voir, à travers

Les champs, sans distinguer les étés des hivers,

Sale, inutile et laid comme une chose usée,

Il faisait des enfants la joie et la risée.

16. Punishment for Pride

When in brave days of old, Theology

Flourished with utmost sap and energy,

A celebrated doctor,* it is said,

—When he had force-fed some indifferent heads;

Had stirred them in their blackest lethargy—

Vaulted himself towards holy ecstasy

By mystic processes he scarcely knew,

A state pure souls alone were welcomed to.

This man who’d tried to grasp beyond his reach,

Flushed with Satanic pride, made bold in speech:

‘O little Jesus! I have raised you high!

But if I chose to take the other side,

Thou helpless one, I’d bring thy glory low,

The Christ child an outlandish embryo!’

At once his Reason’s sentence had begun.

Shrouded in crepe was this once-blazing sun;

All chaos rolled in this intelligence

Before, a temple, ordered, opulent,

Where he’d held forth in pomp beneath its dome.

Now in him silence, darkness made their home,

As in a cellar vault without a key.

And when he crossed the fields unseeingly,

As unaware of winter as of spring,

Useless and ugly as a wornout thing,

He was no better than a common beast,

And was the jeering children’s special treat.

17. La Beauté

Je suis belle, ô mortels! comme un rêve de pierre,

Et mon sein, où chacun s’est meurtri tour à tour,

Est fait pour inspirer au poëte un amour

Éternel et muet ainsi que la matière.

Je trône dans l’azur comme un sphinx incompris;

J’unis un cœur de neige à la blancheur des cygnes;

Je hais le mouvement qui déplace les lignes,

Et jamais je ne pleure et jamais je ne ris.

Les poëtes, devant mes grandes attitudes,

Que j’ai l’air d’emprunter aux plus fiers monuments

Consumeront leurs jours en d’austères études;

Car j’ai, pour fasciner ces dociles amants,

De purs miroirs qui font toutes choses plus belles:

Mes yeux, mes larges yeux aux clartés éternelles!

18. L’Idéal

Ce ne seront jamais ces beautés de vignettes,

Produits avariés, nés d’un siècle vaurien,

Ces pieds à brodequins, ces doigts à castagnettes,

Qui sauront satisfaire un cœur comme le mien.

Je laisse à Gavarni, poëte des chloroses,

Son troupeau gazouillant de beautés d’hôpital,

Car je ne puis trouver parmi ces pâles roses

Une fleur qui ressemble à mon rouge idéal.

Ce qu’il faut à ce cœur profond comme un abîme,

C’est vous, Lady Macbeth, âme puisssante au crime

Rêve d’Eschyle éclos au climat des autans;

17. Beauty

I am lovely, o mortals, a stone-fashioned dream,*

And my breast, where you bruise yourselves all in your turn,

Is made so that love will be born in the poet—

Eternal, and silent as matter is timeless.

I reign in the air like a puzzling sphinx;*

My heart is of snow and is pure as the swans.

I hate only impulse, the breaking of line,

And I never will cry, nor will ever show smile.

The poets, in view of my lofty design—

The style, as it seems, of the finest of statues—

Will spend all their days in their painstaking studies

Since I have a charm for these suppliant suitors:

Pure mirrors, which transform to beauty all things—

My eyes, my wide eyes, clear as air, clear as time.

18. The Ideal

It will not be these beauties of vignettes,*

Poor products of a worthless century,

Feet in half-boots, fingers in castanets,

Who satisfy the yearning heart in me.

That poet of chlorosis,* Gavarni,*

Can keep his twittering troupe of sickly queens,

Since these pale roses do not let me see

My red ideal, the flower of my dreams.

I need a heart abyssal in its depth,

A soul confirmed in crime, Lady Macbeth,

Aeschylus’ dream,* storm-born out of the south,

Ou bien toi, grande Nuit, fille de Michel-Ange,

Qui tors paisiblement dans une pose étrange

Tes appas façonnés aux bouches des Titans!

19. La Géante

Du temps que la Nature en sa verve puissante

Concevait chaque jour des enfants monstrueux,

J’eusse aimé vivre auprès d’une jeune géante,

Comme aux pieds d’une reine un chat voluptueux.

J’eusse aimé voir son corps fleurir avec son âme

Et grandir librement dans ses terribles jeux;

Deviner si son cœur couve une sombre flamme

Aux humides brouillards qui nagent dans ses yeux;

Parcourir à loisir ses magnifiques formes;

Ramper sur le versant de ses genoux énormes,

Et parfois en été, quand les soleils malsains,

Lasse, la font s’étendre à travers la campagne,

Dormir nonchalamment à l’ombre de ses seins,

Comme un hameau paisible au pied d’une montagne.

20. Le Masque

Statue allégorique dans
le goût de la Renaissance

A Ernest Christophe, statuaire

Contemplons ce trésor de grâces florentines;

Dans l’ondulation de ce corps musculeux

L’Elégance et la Force abondent, sœurs divines.

Cette femme, morceau vraiment miraculeux,

Or you, great Night of Michelangelo’s,*

Who calmly twist in an exotic pose

Those charms he fashioned for a Titan’s mouth.

19. The Giantess

In times* when madcap Nature in her verve

Conceived each day a hatch of monstrous spawn,

I might have lived near some young giantess,

Like a voluptuous cat before a queen—

To watch her body flower with her soul,

And grow up freely in her dreadful play;

To guess about a passion’s sombre flame

Born in the mists that swim within her eyes.

At leisure to explore her mighty forms;

To climb the slopes of her enormous knees,

And sometimes, when the summer’s tainted suns

Had lain her out across the countryside,

To drowse in nonchalance below her breast,

Like a calm village in the mountain’s shade.

20. The Mask

Allegorical Statue in the Style of
the Renaissance

for Ernest Christophe, sculptor*

Let us observe this prize, of Tuscan charm;

In how the muscles of the body flow

Those holy sisters, Grace and Strength, abound.

This woman, this extraordinary piece,

Divinement robuste, adorablement mince,

Est faite pour trôner sur des lits somptueux,

Et charmer les loisirs d’un pontife ou d’un prince.

—Aussi, vois ce souris fin et voluptueux

Où la Fatuité promène son extase;

Ce long regard sournois, langoureux et moqueur;

Ce visage mignard, tout encadré de gaze,

Dont chaque trait nous dit avec un air vainqueur:

‘La Volupté m’appelle et l’Amour me couronne!’

A cet être doué de tant de majesté

Vois quel charme excitant la gentillesse donne!

Approchons, et tournons autour de sa beauté.

Ô blasphème de l’art! ô surprise fatale!

La femme au corps divin, promettant le bonheur,

Par le haut se termine en monstre bicéphale!

—Mais non! ce n’est qu’un masque, un décor suborneur,

Ce visage éclairé d’une exquise grimace,

Et, regarde, voici, crispée atrocement,

La véritable tête, et la sincère face

Renversée à l’abri de la face qui ment.

Pauvre grande beauté! le magnifique fleuve

De tes pleurs aboutit dans mon cœur soucieux;

Ton mensonge m’enivre, et mon âme s’abreuve

Aux flots que la Douleur fait jaillir de tes yeux!

—Mais pourquoi pleure-t-elle? Elle, beauté parfaite

Qui mettrait à ses pieds le genre humain vaincu,

Quel mal mystérieux ronge son flanc d’athlète?

—Elle pleure, insensé, parce qu’elle a vécu!

Et parce qu’elle vit! Mais ce qu’elle déplore

Surtout, ce qui la fait frémir jusqu’aux genoux,

C’est que demain, hélas! il faudra vivre encore!

Demain, après-demain et toujours! — comme nous!

Divinely robust, admirably slim,

Was made to be enthroned on sumptuous beds

As entertainment for a pope or prince.

—Also, observe the fine voluptuous smile

Where Self-conceit parades its ecstasy;

This long, sly, languorous and mocking gaze;

This dainty visage, with its filmy veil,

Each trait of which cries out triumphantly,

‘Pleasure invites me, and I wear Love’s crown!’

In this creation of such majesty

Excitement flows from her gentility!

Let us approach and look from every side!

O blasphemy of art! fatal surprise!

This woman fashioned to embody bliss

Is at the top a monster with two heads!

—But no! it’s just a mask, a trick design,

This visage lit by an exquisite air,*

And look, see here how cruelly it is clenched,

The undissembling face of the true head,

Turned to the shelter of the face that lies.

O beauty, how I pity you! the great

Stream of your tears ends in my anxious heart;

Your lie transports me, and my soul drinks up

The seas brought forth by Sorrow from your eyes!

—But what has made her cry? A beauty who

Could have all mankind conquered at her feet,

What secret pain gnaws at her hardy flank?

—The reason, fool, she cries is that she’s lived!

And that she lives! But what she most deplores,

What makes her tremble even to her knees,

Is that tomorrow she’ll be living still!

Tomorrow, every day!—And so will we!

21. Hymne à la Beauté

Viens-tu du ciel profond ou sors-tu de l’abîme,

Ô Beauté? ton regard, infernal et divin,

Verse confusément le bienfait et le crime,

Et l’on peut pour cela te comparer au vin.

Tu contiens dans ton œil le couchant et l’aurore;

Tu répands des parfums comme un soir orageux;

Tes baisers sont un philtre et ta bouche une amphore

Qui font le héros lâche et l’enfant courageux.

Sors-tu du gouffre noir ou descends-tu des astres?

Le Destin charmé suit tes jupons comme un chien;

Tu sèmes au hasard la joie et les désastres,

Et tu gouvernes tout et ne réponds de rien.

Tu marches sur des morts, Beauté, dont tu te moques;

De tes bijoux l’Horreur n’est pas le moins charmant,

Et le Meurtre, parmi tes plus chères breloques,

Sur ton ventre orgueilleux danse amoureusement.

L’éphémère ébloui vole vers toi, chandelle,

Crépite, flambe et dit: Bénissons ce flambeau!

L’amoureux pantelant incliné sur sa belle

A l’air d’un moribond caressant son tombeau.

Que tu viennes du ciel ou de l’enfer, qu’importe,

Ô Beauté! monstre énorme, effrayant, ingénu!

Si ton œil, ton souris, ton pied, m’ouvrent la porte

D’un Infini que j’aime et n’ai jamais connu?

De Satan ou de Dieu, qu’importe? Ange ou Sirène,

Qu’importe, si tu rends, — fée aux yeux de velours,

Rythme, parfum, lueur, ô mon unique reine!—

L’univers moins hideux et les instants moins lourds?

21. Hymn to Beauty

O Beauty! do you visit from the sky

Or the abyss? infernal and divine,

Your gaze bestows both kindnesses and crimes,

So it is said you act on us like wine.

Your eye contains the evening and the dawn;

You pour out odours like an evening storm;

Your kiss is potion from an ancient jar,

That can make heroes cold and children warm.

Are you of heaven or the nether world?

Charmed Destiny, your pet, attends your walk;

You scatter joys and sorrows at your whim,

And govern all, and answer no man’s call.

Beauty, you walk on corpses, mocking them;

Horror is charming as your other gems,

And Murder is a trinket dancing there

Lovingly on your naked belly’s skin.

You are a candle where the mayfly dies

In flames, blessing this fire’s deadly bloom.

The panting lover bending to his love

Looks like a dying man who strokes his tomb.

What difference, then, from heaven or from hell,

O Beauty, monstrous in simplicity?

If eye, smile, step can open me the way

To find unknown, sublime infinity?

Angel or siren, spirit, I don’t care,

As long as velvet eyes and perfumed head

And glimmering motions, o my queen, can make

The world less dreadful, and the time less dead.

21 a. Les Bijoux

La très-chère était nue, et, connaissant mon cœur,

Elle n’avait gardé que ses bijoux sonores,

Dont le riche attirail lui donnait l’air vainqueur

Qu’ont dans leurs jours heureux les esclaves des Mores.

Quand il jette en dansant son bruit vif et moqueur,

Ce monde rayonnant de métal et de pierre

Me ravit en extase, et j’aime à la fureur

Les choses où le son se mêle à la lumière.

Elle était donc couchée et se laissait aimer,

Et du haut du divan elle souriait d’aise

A mon amour profond et doux comme la mer,

Qui vers elle montait comme vers sa falaise.

Les yeux fixés sur moi, comme un tigre dompté,

D’un air vague et rêveur elle essayait des poses,

Et la candeur unie à la lubricité

Donnait un charme neuf à ses métamorphoses;

Et son bras et sa jambe, et sa cuisse et ses reins,

Polis comme de l’huile, onduleux comme un cygne,

Passaient devant mes yeux clairvoyants et sereins;

Et son ventre et ses seins, ces grappes de ma vigne,

S’avançaient, plus câlins que les Anges du mal,

Pour troubler le repos où mon âme était mise,

Et pour la déranger du rocher de cristal

Où, calme et solitaire, elle s’était assise.

21 a. The Jewels

Knowing my heart, my dearest one was nude,

Her resonating jewellery all she wore,

Which rich array gave her the attitude

Of darling in the harem of a Moor.

When dancing, ringing out its mockeries,

This radiating world of gold and stones

Ravishes me to lovers’ ecstasies

Over the interplay of lights and tones.

Allowing love, she lay seductively

And from the high divan smiled in her ease

At my love—ocean’s deep felicity

Mounting to her as tides draw in the seas.

A tiger tamed, her eyes were fixed on mine,

With absent air she posed in novel ways,

Whose candour and lubricity combined

Made charming all her metamorphoses;

Her shoulders and her arms, her legs, her thighs,

Polished with oil, undulent like a swan,

Passed by my tranquil and clairvoyant eyes;

Then belly, breasts, those clusters on my vine,*

Came on, tempting me more than devils could

To break the peace my soul claimed as its own,

And to disturb the crystal rock abode

Where distant, calm, it had assumed its throne.

Je croyais voir unis par un nouveau dessin

Les hanches de l’Antiope au buste d’un imberbe,

Tant sa taille faisait ressortir son bassin.

Sur ce teint fauve et brun le fard était superbe!

—Et la lampe s’étant résignée à mourir,

Comme le foyer seul illuminait la chambre,

Chaque fois qu’il poussait un flamboyant soupir,

Il inondait de sang cette peau couleur d’ambre!

22. Parfum exotique

Quand, les deux yeux fermés, en un soir chaud d’automne,

Je respire l’odeur de ton sein chaleureux,

Je vois se dérouler des rivages heureux

Qu’éblouissent les feux d’un soleil monotone;

Une île paresseuse où la nature donne

Des arbres singuliers et des fruits savoureux;

Des hommes dont le corps est mince et vigoureux,

Et des femmes dont l’œil par sa franchise étonne.

Guidé par ton odeur vers de charmants climats,

Je vois un port rempli de voiles et de mâts

Encor tout fatigués par la vague marine,

Pendant que le parfum des verts tamariniers,

Qui circule dans l’air et m’enfle la narine,

Se mêle dans mon âme au chant des mariniers.

Her waist contrasted with her haunches so

It seemed to me I saw, in new design,

A boy above, Antiope* below.

The painting on her brown skin was sublime!

—And since the lamp resigned itsef to die,

The hearth alone lit up the room within;

Each time it uttered forth a blazing sigh

It washed with tones of blood her amber skin.

22. Exotic Perfume

When, eyes closed, on a pleasant autumn night,

I breathe the warm scent of your breast, I see

Inviting shorelines* spreading out for me

Where steady sunlight dazzles in my sight.

An idle isle, where friendly nature brings

Singular trees, fruit that is savoury,

Men who are lean and vigorous and free,

Women whose frank eyes are astonishing.

Led by your fragrance to these charming shores

I see a bay of sails and masts and oars,

Still wearied from the onslaught of the waves—

While verdant tamarind’s enchanting scent,

Filling my nostrils, swirling to the brain,

Blends in my spirit with the boatmen’s chant.

23. La Chevelure

Ô toison, moutonnant jusque sur l’encolure!

Ô boucles! Ô parfum chargé de nonchaloir!

Extase! Pour peupler ce soir l’alcôve obscure

Des souvenirs dormant dans cette chevelure,

Je la veux agiter dans l’air comme un mouchoir!

La langoureuse Asie et la brûlante Afrique,

Tout un monde lointain, absent, presque défunt,

Vit dans tes profondeurs, forêt aromatique!

Comme d’autres esprits voguent sur la musique,

Le mien, ô mon amour! nage sur ton parfum.

J’irai là-bas où l’arbre et l’homme, pleins de sève,

Se pâment longuement sous l’ardeur des climats;

Fortes tresses, soyez la houle qui m’enlève!

Tu contiens, mer d’ébène, un éblouissant rêve

De voiles, de rameurs, de flammes et de mâts:

Un port retentissant où mon âme peut boire

A grands flots le parfum, le son et la couleur;

Où les vaisseaux, glissant dans l’or et dans la moire,

Ouvrent leurs vastes bras pour embrasser la gloire

D’un ciel pur où frémit l’éternelle chaleur.

Je plongerai ma tête amoureuse d’ivresse

Dans ce noir océan où l’autre est enfermé;

Et mon esprit subtil que le roulis caresse

Saura vous retrouver, ô féconde paresse,

Infinis bercements du loisir embaumé!

Cheveux bleus, pavillon de ténèbres tendues,

Vous me rendez l’azur du ciel immense et rond;

Sur les bords duvetés de vos mèches tordues

Je m’enivre ardemment des senteurs confondues

De l’huile de coco, du musc et du goudron.

23. Head of Hair

O fleece, billowing even down the neck!

O locks! O perfume charged with nonchalance!

What ecstasy! To people our dark room

With memories that sleep within this mane,

I’ll shake it like a kerchief in the air!

Languorous Asia, scorching Africa,

A whole world distant, vacant, nearly dead,

Lives in your depths, o forest of perfume!

While other spirits sail on symphonies

Mine, my beloved, swims along your scent.

I will go down there, where the trees and men,

Both full of sap, swoon in the ardent heat;

Strong swelling tresses, carry me away!

Yours, sea of ebony, a dazzling dream

Of sails, of oarsmen, waving pennants, masts:*

A sounding harbour where my soul can drink

From great floods subtle tones, perfumes and hues;

Where vessels gliding in the moire and gold

Open their wide arms to the glorious sky

Where purely trembles the eternal warmth.

I’ll plunge my drunken head, dizzy with love

In this black sea where that one is confined;

My subtle soul that rolls in its caress

Will bring you back, o fertile indolence!

Infinite lulling, leisure steeped in balm!

Blue head of hair, tent of spread shadows, you

Give me the azure of the open sky;

In downy wisps along your twisted locks

I’ll gladly drug myself on mingled scents,

Essence of cocoa-oil, pitch and musk.

Longtemps! toujours! ma main dans ta crinière lourde

Sèmera le rubis, la perle et le saphir,

Afin qu’à mon désir tu ne sois jamais sourde!

N’es-tu pas l’oasis où je rêve, et la gourde

Où je hume à longs traits le vin du souvenir?

24. ‘Je’ t’adore à l’égal…’

Je t’adore à l’égal de la voûte nocturne,

Ô vase de tristesse, ô grande taciturne,

Et t’aime d’autant plus, belle, que tu me fuis,

Et que tu me parais, ornement de mes nuits,

Plus ironiquement accumuler les lieues

Qui séparent mes bras des immensités bleues.

Je m’avance à l’attaque, et je grimpe aux assauts,

Comme après un cadavre un chœur de vermisseaux,

Et je chéris, ô bête implacable et cruelle!

Jusqu’à cette froideur par où tu m’es plus belle!

25. ‘Tu mettrais l’univers entier …’

Tu mettrais l’univers entier dans ta ruelle,

Femme impure! L’ennui rend ton âme cruelle.

Pour exercer tes dents à ce jeu singulier,

Il te faut chaque jour un cœur au râtelier.

Tes yeux, illuminés ainsi que des boutiques

Et des ifs flamboyants dans les fêtes publiques,

Usent insolemment d’un pouvoir emprunté,

Sans connaître jamais la loi de leur beauté.

Machine aveugle et sourde, en cruautés féconde!

Salutaire instrument, buveur du sang du monde,

Comment n’as-tu pas honte et comment n’as-tu pas

Devant tous les miroirs vu pâlir tes appas?

For ages! always! in your heavy mane

My hand will scatter ruby, sapphire, pearl

So you will never chill to my desire!

Are you not the oasis where I dream,

My drinking-gourd for memory’s fine wine?

24.’I love you as I love …’

I love you as I love the night’s high vault

O silent one, o sorrow’s lachrymal,*

And love you more because you flee from me,

And temptress of my nights, ironically

You seem to hoard the space, to take to you

What separates my arms from heaven’s blue.

I climb to the assault, attack the source,

A choir of wormlets pressing towards a corpse,

And cherish your unbending cruelty,

This iciness so beautiful to me.*

25. ‘You’d entertain the universe …’

You’d entertain the universe in bed,

Foul woman;* ennui makes you mean of soul.

To exercise your jaws at this strange sport

Each day you work a heart between your teeth.

Your eyes, illuminated like boutiques

Or blazing stanchions at a public fair,

Use haughtily a power not their own,

With no awareness of their beauty’s law.

Blind, deaf machine, fertile in cruelties!

Valuable tool, that drinks the whole world’s blood,

Why are you not ashamed, how have you not

In mirrors seen your many charms turn pale?

La grandeur de ce mal où tu te crois savante

Ne t’a donc jamais fait reculer d’épouvante,

Quand la nature, grande en ses desseins cachés,

De toi se sert, ô femme, ô reine des péchés,

—De toi, vil animal, — pour pétrir an génie?

Ô fangeuse grandeur! sublime ignominie!

26. Sed non satiata

Bizarre déité, brune comme les nuits,

Au parfum mélangé de musc et de havane,

Œuvre de quelque obi, le Faust de la savane,

Sorcière au flanc d’ébène, enfant des noirs minuits,

Je préfère au constance, à l’opium, au nuits,

L’élixir de ta bouche où l’amour se pavane;

Quand vers toi mes désirs partent en caravane,

Tes yeux sont la citerne où boivent mes ennuis.

Par ces deux grands yeux noirs, soupiraux de ton âme,

Ô démon sans pitié! verse-moi moins de flamme;

Je ne suis pas le Styx pour t’embrasser neuf fois,

Hélas! et je ne puis, Mégère libertine,

Pour briser ton courage et te mettre aux abois,

Dans l’enfer de ton lit devenir Proserpine!

27. ‘Avec ses vêtements …’

Avec ses vêtements ondoyants et nacrés,

Même quand elle marche on croirait qu’elle danse,

Comme ces longs serpents que les jongleurs sacrés

Au bout de leurs bâtons agitent en cadence.

The magnitude of all your evil schemes,

Has this, then, never shrunk your heart with fear,

When Nature, mighty in her secret plans,

Makes use of you, o woman! queen of sins!—Of you, vile beast—to mould a genius?

O filthy grandeur! o sublime disgrace!

26. Sed non satiata*

Singular goddess, brown as night, and wild,

Perfumed of fine tobacco smoke and musk,

Work of some Faust,* some wizard of the dusk,

Ebony sorceress, black midnight’s child,

Rare wines or opium are less a prize

Than your moist lips where love struts its pavane;*

When my lusts move towards you in caravan

My ennuis drink from cisterns of your eyes.

From these black orbits where the soul breathes through,

O heartless demon! pour a drink less hot;

I’m not the Styx,* nine times embracing you,

Alas! and my Megaera,* I can not,

To break your nerve and bring you to your knees,

In your bed’s hell become Persephone!*

27. ‘The way her silky garments …’

The way her silky garments undulate

It seems she’s dancing as she walks along,

Like serpents that the sacred charmers make

To move in rhythms of their waving wands.

Comme le sable morne et l’azur des déserts,

Insensibles tous deux à l’humaine souffrance,

Comme les longs réseaux de la houle des mers,

Elle se développe avec indifférence.

Ses yeux polis sont faits de minéraux charmants,

Et dans cette nature étrange et symbolique

Où l’ange inviolé se mêle au sphinx antique,

Où tout n’est qu’or, acier, lumière et diamants,

Resplendit à jamais, comme un astre inutile,

La froide majesté de la femme stérile.

28. Le Serpent qui danse

Que j’aime voir, chère indolente,

De ton corps si beau,

Comme une étoffe vacillante,

Miroiter la peau!

Sur ta chevelure profonde

Aux âcres parfums,

Mer odorante et vagabonde

Aux flots bleus et bruns,

Comme un navire qui s’éveille

Au vent du matin,

Mon âme rêveuse appareille

Pour un ciel lointain.

Tes yeux, où rien ne se révèle

De doux ni d’amer,

Sont deux bijoux froids où se mêle

L’or avec le fer.

Like desert sands and skies she is as well,

As unconcerned with human misery,

Like the long networks of the ocean’s swells

Unfolding with insensibility.

Her polished eyes are made of charming stones,

And in her essence, where the natures mix

Of holy angel and the ancient sphinx,*

Where all is lit with gold, steel, diamonds,

A useless star, it shines eternally,

The sterile woman’s frigid majesty.

28. The Dancing Serpent

How I adore, dear indolent,

Your lovely body, when

Like silken cloth it shimmers—

Your sleek and glimmering skin!

Within the ocean of your hair,

All pungent with perfumes,

A fragrant and a wayward sea

Of waves of browns and blues,

Like a brave ship awakening

To winds at break of day,

My dreamy soul sets forth on course

For skies so far away.

Your eyes, where nothing is revealed,

The bitter nor the sweet,

Are two cold stones, in which the tinctures

Gold and iron meet.

A te voir marcher en cadence,

Belle d’abandon,

On dirait un serpent qui danse

Au bout d’un bâton.

Sous le fardeau de ta paresse

Ta tête d’enfant

Se balance avec la mollesse

D’un jeune éléphant,

Et ton corps se penche et s’allonge

Comme un fin vaisseau

Qui roule bord sur bord et plonge

Ses vergues dans l’eau.

Comme un flot grossi par la fonte

Des glaciers grondants,

Quand l’eau de ta bouche remonte

Au bord de tes dents,

Je crois boire un vin de Bohême,

Amer et vainqueur,

Un ciel liquide qui parsème

D’étoiles mon cœur!

29. Une charogne

Rappelez-vous l’objet que nous vîmes, mon âme,

Ce beau matin d’été si doux:

Au détour d’un sentier une charogne infâme

Sur un lit semé de cailloux,

Les jambes en l’air, comme une femme lubrique,

Brûlante et suant les poisons,

Ouvrait d’une façon nonchalante et cynique

Son ventre plein d’exhalaisons.

Viewing the rhythm of your walk,

Beautifully dissolute,

One seems to see a serpent dance

Before a wand and flute.

Your childlike head lolls with the weight

Of all your idleness,

And sways with all the slackness of

A baby elephant’s,

And your lithe body bends and stretches

Like a splendid barque

That rolls from side to side and wets

With seas its tipping yards.

As when the booming glaciers thaw

They swell the waves beneath,

When your mouth’s water floods into

The borders of your teeth,

I know I drink a gypsy wine,

Bitter, subduing, tart,

A liquid sky that strews and spangles

Stars across my heart!

29.