Nos différences, c’est clair, entraînent une incompréhension réciproque. Nées différentes, nous pensons différemment. Il y a un point de vue de Grenfell, un point de vue de Knebworth, un point de vue de Wilfred Owen, un point de vue du président du Tribunal du Banc du Roi et le point de vue de la fille de l’homme cultivé. Et tous diffèrent. Mais n’existe-t-il pas un point de vue définitif ? Ne pouvons-nous rencontrer quelque part, écrit en lettres d’or ou de feu : « Voilà qui est juste. Voilà qui est faux » ? – un jugement moral qu’il nous faudra tous, quelles que soient nos différences, accepter. Posons donc la question de savoir si la guerre est bonne ou mauvaise à des gens qui font profession de moralité : le clergé. Si nous demandons, très simplement : « La guerre est-elle bonne ou mauvaise ? », nous obtiendrons, sans nul doute, une réponse si claire qu’il nous sera impossible de la réfuter. Mais non. L’Église anglicane, que l’on pourrait croire capable de dégager tout problème de ses confusions d’ordre séculier, se montre, elle aussi, divisée. Les évêques eux-mêmes sont en désaccord. L’évêque de Londres maintient que « les pacifistes représentent de nos jours la menace véritable contre la paix. Aussi mauvaise que puisse être la guerre, le déshonneur est bien pire(13) ». D’autre part, l’évêque de Birmingham(14) se décrit « comme un pacifiste absolu… Il m’est impossible d’admettre que la guerre puisse s’accorder avec l’esprit du Christ ». Ainsi l’Église elle-même nous donne des conseils opposés : dans certains cas il est bon de se battre, en aucun cas il n’est bon de se battre. C’est navrant, déconcertant, effarant, mais il faut regarder ce fait en face : dans le ciel ou sur la terre, pas la moindre certitude. En vérité, plus nous lisons de récits de vies, plus nous écoutons de discours, plus nous consultons d’opinions et plus la confusion augmente et moins il semble possible d’émettre la moindre suggestion capable de vous aider à éviter la guerre, puisque nous ne pouvons comprendre les pulsions, les motifs ou les principes moraux qui vous poussent à la faire.

Mais, à côté de ces visions d’autres vies, d’autres mentalités, offertes par les biographies et l’Histoire, il existe d’autres images : les photographies. Naturellement, les photographies ne peuvent être employées comme des arguments adressés à la raison. Les faits qu’elles établissent s’adressent au seul regard. Mais cette simplicité même peut nous venir en aide. Voyons si, à regarder les mêmes photographies, nous ressentons les mêmes choses. Les photographies se trouvent là, étalées devant nous sur la table. Le gouvernement espagnol les envoie, avec une patiente obstination, deux fois par semaine. Ce ne sont pas des photographies agréables à regarder. Ce sont, pour la plupart, des photographies de cadavres. La série de ce matin contient la photographie d’un cadavre qui pourrait être celui d’un homme ou d’une femme ; il est si mutilé qu’il pourrait tout aussi bien être celui d’un cochon. Mais ceux-là sont certainement des enfants morts et ceci représente, sans aucun doute, une maison détruite. Une bombe l’a éventrée ; une cage pend encore dans ce qui a dû être le salon, mais le reste de la maison ne ressemble à rien de moins qu’une poignée de jonchets suspendus dans les airs.

Ces photographies ne constituent pas des arguments ; elles ne sont que le constat brutal de certains faits livrés au regard. Mais le regard est lié au cerveau ; le cerveau au système nerveux. Ce système envoie des messages rapides à travers toute la mémoire passée et toutes les sensations présentes.