Presque aussitôt son jeune frère, Pasquale, un garçon de treize ans qui l’adorait, vint la rejoindre. Ses douces paroles, ses tendres embrassements ne parvinrent point à la consoler ; mais comme il tirait un pli de sa poche, elle suspendit ses larmes et lui sourit, sur quoi le gamin lui fit malicieusement attendre cette lettre qu’elle brûlait de lire. Un tel jeu devait leur être fatal, car le père parut tout à coup et les enfants restèrent confondus.
« Cependant le petit Orlando avait vite remis le pli dans sa poche et, comme on le lui réclamait brutalement, il refusa de le livrer avec un entêtement héroïque. Orlando s’était précipité sur son fils et lui aurait fait le plus méchant parti si Maddalena n’était intervenue immédiatement pour ordonner à son frère de livrer le billet. Et le père lut ceci :
On raconte en ville que vous allez épouser Giovanni. Il se vante d’avoir la parole de votre père et que vos fiançailles sont proches. Je ne crois rien de tout cela, Maddalena, mais je suis bien malheureux.
« Ce mot n’était pas signé, mais on imagine facilement l’effet produit sur Orlando et les explications qui s’ensuivirent. Elles furent terribles. Le petit se serait plutôt laissé tuer sur place que de parler, et quant à Maddalena elle se bornait à répéter à son père :
« – Père, vous saurez tout demain !
« Francesca arriva à temps pour mettre fin à cette scène tragique. Orlando condamna sa fille à ne plus quitter sa chambre. Il fit mieux : il l’enferma. Mais, sans doute avec la complicité de son frère, Maddalena, la nuit même, parvenait à en sortir. Les amoureux seront toujours les plus forts et il n’y a point de prison qui les retienne, surtout quand la nature a mis dans leur cœur un sentiment inébranlable.
« Maddalena descendait dans le jardin et gagnait avec de grandes précautions une petite porte qui ouvrait, derrière la villa, sur les champs d’oliviers. Un jeune homme apparaissait aussitôt dans le cadre de cette porte. “Mon Angelo !” murmura la douce voix de Maddalena. La porte fut repoussée et les jeunes gens furent bientôt dans les bras l’un de l’autre, réunis dans la plus chaste étreinte… »
À ce moment du récit du prêtre, il y eut dans la salle comme un sourd et lugubre gémissement. Quelques têtes se tournèrent vers le coin où Tue-la-Mort semblait dormir. Était-ce un rêve, quelque cauchemar qui soulevait cette poitrine de lion ? Les grands fauves, quand ils dorment au fond des forêts, ont de ces grondements qui viennent troubler le repos des voyageurs. Leur sommeil même menace. On n’était jamais tranquille avec ce Tue-la-Mort…
Le prêtre continuait :
– Angelo était le dernier rejeton d’une famille illustre, mais entièrement ruinée par les procès. Il n’avait à offrir à Maddalena que son amour, son orgueil et son nom… Angelo Vico ! C’était un descendant direct, par la ligne maternelle, de ce Sampietro qui balança la fortune de Gênes pendant dix-sept ans et fut l’âme de l’insurrection. Sa mémoire est restée vivante et chère à tous les cœurs. Angelo semblait porter en lui toutes les vertus de l’ancêtre. C’était un fier jeune homme, au caractère indomptable et qui était peut-être né pour de hautes destinées. Cependant les Orlando n’avaient jamais été au mieux avec les Sampietro et les Vico, et quant au père de Maddalena, il n’avait que des sentiments hostiles pour le dernier de leur race, qu’il trouvait trop élégant pour un jeune homme sans fortune et qu’il accusait de paresse.
« Maddalena conduisit Angelo sur le banc où, quelques heures plus tôt, elle s’était refusée à écouter Giovanni, et elle mit au courant le jeune homme de tous les incidents de cette triste journée. Sur quoi Angelo réfléchit profondément et lui dit :
« – Vous savez quel est mon respect pour vous, Maddalena. Il est aussi grand que mon amour. Confiez-vous à moi et fuyons… ou nous sommes perdus.
« Mais la jeune fille secoua la tête.
« – Non ! non ! Angelo ! fit-elle, je veux que ce soit mon père qui me donne à vous !
« Et comme, devant une aussi étrange déclaration, Angelo restait muet, ne comprenant pas :
« – Demain, vous viendrez demander ma main à mon père ! continua-t-elle.
« Mais la stupéfaction d’Angelo ne faisait que grandir. Est-ce que Maddalena rêvait ? Elle savait bien quelle serait la réponse de son père, douloureuse pour elle, outrageante pour lui !… Maddalena, cependant, ne voulut rien entendre.
« – Demain mon père me donnera à vous ou nous mourrons ensemble !… Angelo, auriez-vous peur de mourir ?…
« – Mourir !… fit Angelo, pourquoi mourir ? Notre amour ne demande qu’à vivre, Maddalena, et la vie est si belle pour ceux qui s’aiment !…
« – La mort aussi, répliqua-t-elle d’un air sombre et déterminé !… Quelle volupté pour deux vrais amants qui n’auront point à rougir de paraître devant Dieu, de finir leurs jours volontairement dans les bras l’un de l’autre !… de confondre leurs derniers soupirs, d’exhaler à la fois les deux moitiés de leur âme !… quelle douleur, quel regret peut empoisonner leurs derniers instants ? Je vous le demande, Angelo ! Ils s’en vont ensemble… Ils ne quittent rien !…
« Ainsi parlait Maddalena, et Angelo, la voyant dans cette étrange exaltation, n’hésita plus. Il promit de faire le lendemain cette démarche qu’il prévoyait fatale à tous deux et pressa la jeune fille dans ses bras avec une tendresse désespérée. »
Ici le prêtre suspendit un instant son récit.
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