Je savais ce qui allait se produire, bien sûr. Mais pourquoi aurais-je tué ces gardiens ? Je n’avais rien contre eux. Mais j’avais peur des autres. Quoi qu’il advienne, je ne pouvais pas leur échapper. Je m’étais assis, seul, sur la souche d’un arbre, la tête entre les mains, écœuré à la pensée d’une liberté qui ne pouvait être qu’une parodie pour moi. Soudain, j’ai tressailli en apercevant la silhouette d’un homme sur le chemin proche. Il était parfaitement immobile puis sa forme s’est effacée dans la nuit. Ce devait être le gardien-chef qui venait voir ce qu’il était advenu de ses deux hommes. Personne ne l’a remarqué. Les détenus continuaient de se quereller sur leurs plans. Les meneurs n’arrivaient pas à se faire obéir. L’intense murmure de cette sombre masse humaine était vraiment horrible.
« Finalement, ils se sont divisés en deux groupes et se sont mis en marche. Après qu’ils me sont passés devant, je me suis levé, abattu et sans espoir. Le chemin qui menait à la maison des gardiens était sombre et silencieux, mais de chaque côté les buissons frémissaient légèrement. Bientôt, je vis un mince filet de lumière devant moi. Le gardien-chef, suivi par trois de ses hommes, approchait prudemment. Mais il n’avait pas réussi à bien éteindre sa lampe-tempête. Les détenus avaient eux aussi vu cette faible lueur. Il y eut un hurlement terrible, sauvage, une bousculade sur le chemin obscur, des tirs, des coups, des gémissements ; et dans le bruit des buissons piétinés, les cris des poursuivants et les hurlements des poursuivis, les chasseurs à l’homme, mais aussi ceux qui étaient après le gardien sont passés à côté de moi avant de s’enfoncer dans l’intérieur de l’île. J’étais seul. Je vous assure, monsieur, que tout m’était indifférent. Après être resté immobile pendant un moment, j’ai marché le long du chemin jusqu’à ce que je bute contre quelque chose de dur. Je me suis baissé et j’ai ramassé le revolver d’un gardien. J’ai senti avec mes doigts qu’il était chargé de cinq balles. Dans les rafales de vent, j’entendais au loin les détenus qui s’appelaient les uns les autres, puis un grondement de tonnerre vint couvrir le souffle et le bruissement des arbres. Soudain, un grand trait de lumière s’abattit en travers de mon chemin au niveau du sol. Il montrait une jupe de femme et le bord d’un tablier.
« Je savais que la personne qui portait cette lanterne devait être la femme du gardien-chef. Ils l’avaient totalement oubliée, semble-t-il. Une détonation a retenti à l’intérieur de l’île, elle s’est mise à crier et à courir. Elle est passée devant moi.
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